Dans mes lectures du moment, plusieurs blogs, surtout américains, sur les phénomènes de décroissance, de frugalité poussée à l’extrême. Des individus et des familles entières qui choisissent librement, sans pression financière ou sans but économique précis, de vivre le plus chichement possible. Ils débutent généralement l’engrenage par un changement drastique d’alimentation, recherchant les bienfaits d’une diète riche en oléagineux, lentilles et haricots rouges, végétariens parfois, locavores toujours, un savant mélange du petit manuel pour écolo débutant et d’aspiration purificatrice. Vous êtes ce que vous mangez, vous rendez à la nature ce qu’elle vous donne en chiant proprement dans une cuve de sciure. Du légume à l’engrais, en polluant à minimum, après tout pourquoi pas, je n’ai pas l’âme d’une guerrière verte, et je suis sceptique quand à l’impact globale de ces mesures isolées, mais l’argument se tient, une certaine idée de la relation à la matière, une idéologie où se mélange No Logo et le retour à la terre, rééducation ultime pour capitalistes torturés par leurs consciences. Ces tribus responsables s’affichent sur la toile et partagent leurs découvertes, serviettes hygiéniques en liège, paraben dans les biberons, influence des colorants sur le QI des enfants, éducation à la maison par les parents, culture de champignons en caves et autres savons homemade à la suie de cheminée. Elles partagent, interagissent et s’interrogent, et se rassemblent autour du refus de consommer, d’acheter, de s’intéresser aux tendances et aux modes. Paradoxe moderne, les décroissants seraient perdus sans leur usage forcené d’Internet : les meubles du salon sont dénichés sur Freecycle, les vêtements troqués sur des sites spécialisés, et chaque jour leur permet de découvrir un nouvel ennemi contre lequel s’opposer, quelque chose de plus à ajouter sur la liste des substances bannies. Il n’est pas surprenant de lire sur leurs blogs que le micro-onde tue, que les téléphones portables sont cancérigènes, et que le lait est toxique au delà de 18 mois. Autant de mythes urbains et de demies-thèses défendus par une poignée grandissante d’irréductibles allumés, brandissant le principe de précaution comme ultime pied de nez aux arguments scientifiques et aux recherches qui chercheraient à les contrer.
Je lis ces blogs et ces sites avec l’impression de visiter une foire aux Freaks. Je comprends et j’entends leurs arguments, mais je garde la conviction que la décroissance, quand elle devient massive et générale, est une réaction de crainte, une volonté de préserver quelque chose qui s’échappe inéluctablement. Le caractère obsessionnel des recherches faites par ces individus pour déféquer bio et pour contrôler à chaque instant chaque mouvement de leurs corps, de leurs intestins à leurs poumons, de leurs éjaculations (home basting, charte des glaires) à l’accouchement, me réjouit autant qu’il m’inquiète. J’admire leur volonté de bien faire, de faire mieux, mais je hais leur totalitarisme, et je refuse d’être considérée comme légére et futile parce que je désire continuer à utiliser des tampons non recyclés, la paroi délicate de mon intimité ne se satisfaisant pas des grattoirs spontex en écorce de bouleau non traité. Le prosélytisme m’ennuie, et aurait tendance à me faire renoncer à ces gestes pour la planète pourtant si faciles et familiers : trier, recycler, jeter. Je déteste que l’on puisse s’ériger en exemple de quelque manière que ce soit, je méprise ceux qui pensent pouvoir sauver le monde à coup de café équitable et de culottes en chanvre tissé, je n’aime que les vieux hippies croulants, ceux qui vivent quelque part en Ardèche, sans rien comprendre à rien et sans chercher bien loin, ceux qui ne donnent pas de leçons et qui vivent et laissent vivre. Sans eux, bientôt dans nos supermarchés, on lira sur les étiquettes « ce produit est celui qui vous rendra le moins coupable de crime contre l’humanité », les lieux de consommation seront désertés, occupés par une milice du bien vivre et du bien chier.