Chiant

Je prends le courrier une fois par mois, c’est comme un rituel, un sac poubelle noir posté devant la gueule ouverte de la boîte aux lettres, je pousse toute la merde qui déborde et elle tombe mollement au fond du sac . Je remonte, je chope un second sac poubelle, j’allume la première cigarette et je commence à trier, les publicités d’abord, la merde et les catalogues, je n’ouvre rien, tout à jeter. Ensuite sur le canapé, des piles selon le degrés d’angoisse des intitulés d’enveloppes : banque, impôts, mutuelle, autre inquiétant, autre potentiellement sympathique.

Ca a commencé quand j’avais vraiment des soucis, quand je pensais que ma carte bleue était une source inépuisable de confort et de bonheur facile, une machine à plaisir qui ne dit jamais non, hébergée dans la banque maternelle mes découverts passaient sous silence, et d’autorisation de découvert autorisé en chèque rejeté, je vivais constamment sous la barre du zéro, mais je m’en foutais, l’argent c’était sale, c’était pour les cons. Pourtant je travaillais, j’avais un salaire, la sueur de mon front il paraît, raison de plus pour l’envoyer valser, faire de la merde, acheter de la merde, chier de la merde, consommer de la merde, logique implacable de la capitaliste cyclothymique.

Ca a changé il y a presque deux ans maintenant, doucement, les responsabilités supplémentaires, marre de vivre sans carte bleue, dépendante de la grosse dame permanentée du guichet, toujours à l’affut des pièces oubliées dans un manteau pour m’acheter des clopes, perpétuellement à la dèche. Une vraie crise de croissance, avec des caprices à me rouler par terre, à désirer posséder plus que jamais, juste pour dire que je pouvais, sans désir de l’objet mais dans un délire d’accumulation contrarié, j’étais en colère de vivre enfin dans ma réalité financière, en colère de la vraie vie qui t’oblige à choisir, à renoncer, à penser avant d’acheter, en colère de mon travail de merde pour un salaire de misère. Finalement, dans cette crise de rage, dans cet arrêt brutal de surconsommation, j’ai réglé mon problème de boulimie vomitive. Sans y penser. Comme si j’avais appris la modération, la patience, à gérer la frustration, l’angoisse. J’avalais l’argent comme la bouffe, et je vomissais de façons différentes mais symboliquement jumelles. Un mal pour un bien, un rendu pour un vomi.

La prochaine étape de ma vie d’adulte est donc de confronter mon courrier. Cette masse de papiers chiants, fades et sérieux, qui m’ordonnent de renvoyer, de poster, de signer, de payer, de faire mes comptes. Ces rappels à l’ordre insidieux que ta vie administrative continue, quelque soit ton état d’esprit, ton occupation, le sens que tu donnes à ta vie, je suis à jamais liée à mon inspecteur des impôts préférés, celui que j’appelle régulièrement en panique pour implorer son pardon, comme si j’avais fait une grosse bêtise, cassé un vase ou tâché le tapis, je reste petite fille dès que j’ouvre ces enveloppes grises, les mains derrière le dos, les yeux baissés, j’attends la punition, 10% ou un ATD.