Don’t you know it’s the end

Elle repose la tasse en porcelaine blanche sur la soucoupe. Quelques grains de sucre s’échappent et elle les ramasse sans y penser du bout des doigts. Dehors, la pluie s’arrête juste, le garçon secoue l’auvent. Elle hésite à sortir, elle n’a rien à faire dehors, elle n’a rien à faire du tout. Ce café qu’elle vient de finir, c’est son seul objectif quotidien. Faire l’effort de se doucher, de s’habiller, mettre des chaussures, comme si quelqu’un l’attendait. Descendre l’escalier qui grince, passer devant la loge de la gardienne, éviter la boîte aux lettres qui menace d’exploser, refuser encore pour un matin de prendre le courrier.

Quelques pas dans la rue, sa tête qui commence à tourner, ne pas renoncer, continuer à marcher, vaincre pour quelques mètres l’angoisse qui l’étreint, au moins jusqu’au café du coin. Parfois elle n’y arrive pas, elle tourne les talons et reprend l’escalier, aussi vite qu’elle peut, elle a du mal à retrouver ses clés, ses mains tremblent encore quand elle retourne se coucher, elle allume la télévision, elle ferme les yeux, peut-être que demain ça ira mieux. Des années qui passent sans qu’elle les aperçoive, les mois qui défilent au rythme étrange de ses insomnies, les souvenirs qui ternissent dans son cerveau embrumé, le tunnel qui devait s’arrêter et qui ne finit jamais.

Elle compte une à une les pièces sur le marbre de la table, deux euros quarante, chaque matin, c’est son seul vice, un café allongé, parfois une tartine. Les bruits rassurants du percolateur qui vrombit, les pigeons qui passent sous ses pieds, son quartier qui change et qui ne l’attend pas, les nouveautés dans les boutiques, les fruits et les saisons chez le maraicher, la dame de la librairie morte et enterrée, plus rien qui ne la retienne, plus rien qui ne lui fasse envie, le sourire du patron du café qui n’en finit pas de vieillir, les feuilles et puis la pluie.

Demain je n’irai pas. Je descendais ces escaliers pour la dernière fois. Demain je vais rester allongée, je suis prête à attendre, longtemps s’il le faut, immobile et prostrée, les yeux collés par le poids des années de sommeil, des années d’immobilité. Je ne veux plus faire semblant, je ne veux plus me forcer. J’attends qu’elle vienne et qu’elle m’emporte, qu’elle mette fin à ma peine, qu’elle finisse pour de bon ce qu’elle a commencé, j’attends la mort, résignée et contente, sans rien emporter d’autre avec moi que le gout du café.