Foire Fouille

C’est pas trop compliqué, de vendre un truc. Je veux offenser personne, ni les commerciaux technico-importants, ni les BTS Force de Vente, ni les gens qui pensent que c’est compliqué pour de vrai. Moi j’ai vendu plein de trucs dans ma carrière. J’ai même appris aux autres à la fourrer profond aux clients. C’est pas compliqué, je t’assure. Au départ, c’est un peu comme un slip tout neuf, tu te sens pas super à l’aise, ca pique un peu au coin des lèvres, rapport au sourire Disney que tu te colles aux zygomatiques. Mais ca vient vite, tu trouves vite ton petit discours de parfait rabatteur. Des cuisines, des solutions informatiques, de l’assurance, des cercueils, c’est la même came au final, la même daube à grosse marge sur laquelle tu vas toucher 8%.

Y’a quand même des choses que tu évites de faire, parce que t’as une sorte de conscience. Les petits vieux, qui seraient prêt à t’acheter trois fois le même robot pour découper les concombres, parce qu’ils ne se souviennent de rien, ou juste parce que tu es la seule personne à qui ils parlent de la journée. Les gens limités. Oui, ca arrive. Tu tombes sur des gens qui ne comprennent rien. Qui sont prêt à signer n’importe quoi. Parce qu’ils ont envie de toucher le cadeau en plastique made in Taïwan que tu leur as promis. Parce qu’ils ont envie que tu te barres. Parce qu’ils sont vraiment intéressés par ton offre magnifique qui n’en finira pas de les enculer avec du gravier pendant 3 ans au taux vraiment unique de 18,6%. T’as un peu pitié. Et puis c’est pas des ventes drôles. C’est trop facile. Un peu triste aussi. Alors t’invente n’importe quoi, tu raccroches, tu prétextes un coup de fil et tu les mets dehors, tu pries en secret pour qu’ils ne se fassent pas endormir par les chacals d’à côté.

C’est pas difficile de vendre. Je te jure. Tu renifles un peu ton client, tu lui tournes autour, tu balances quelques phrases qui ne veulent rien dire, sur le temps ou sur les vacances, sur les fêtes ou sur leur voiture, tu fais semblant de t’intéresser, d’ailleurs tu es toujours d’accord, tu as la même voiture qu’eux, le même portable, la même crème de jour, le même lieu du villégiature. T’es pareil qu’eux. Tu partages leurs galères. Bientôt ils ont envie de t’embrasser, tellement tu pourrais être leur pote, leur fille, leur nièce. Tu ne dis toujours rien sur le produit, t’es toujours pas passée à l’offensive. Tu laisses venir. Et puis quand ils font mine de partir, tu lâches une petite phrase traître, genre “bon, moi je vais essayer de gagner de quoi manger”, sur le ton de la blague. Alors, 3 fois sur 10, ils restent. Ils te demandent ce que tu vends. Ils t’écoutent. Ils achétent.

Bien sur, 3 fois sur 10 c’est loin d’être exceptionnel. Tu deviens pas VRP de l’année avec cette technique. Mais ca suffit. Tu fais pas le con, les bras en l’air derrière ton stand, les auréoles de sueurs qui dégoulinent pendant que tu coupes le 120 eme concombre de ta journée, tu hurles pas dans ton micro en effrayant les enfants et en faisant râler les vieux. Tu fais un peu ta pute. Tu souris à Monsieur, tu fais coucou au petit dans sa poussette, tu complimentes Madame, tu échanges un sourire complice avec l’adolescent qui traîne des pieds. Tu les dragues. Tu les fourres. Dans ta tête, c’est le Macumba des soirs de fête, y’a une voix de DJ de province qui hurle en boucle “ON VA LES NIQUER, ON VA LES NIQUER, ON VA ON VA ON VA LES NIQUER”. Alors tu les niques.