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A l’intérieur c’est pas trié, des milliers de boîtes, ouvertes ou fermées, des boites en carton, des dossiers, ca prend un peu la poussière, t’as pas la force de ranger, parfois t’en pousse une pour faire rentrer l’autre, Tetris géant, y’a pas de chemin tracé, y’a pas d’index pour retrouver, l’odeur de ta mère et quand t’es tombé en vélo, ta première bouffée de tabac et la dernière fois que t’as baisé, ça arrive comme ca peut, ca te tombe dessus quand tu t’y attends le moins, overdose sensitive, dans le métro pour rien, parce que ton œil se pose un peu trop longtemps, parce que le son dans tes oreilles devient brouhaha, t’es ailleurs, t’es plus là, t’ouvre une boîte et reviennent les souvenirs.

Le jardin et puis ton chien, l’arbre qui t’aimait et l’odeur du soleil dans ses cheveux, la fête de l’école où on te force à danser sur les Gipsy Kings, la différence entre le désert et le dessert, en bas du grand escalier ton père qui rentre de la clinique crevé, ta mère dans la cuisine et l’odeur des oignons qui brunissent, les images te reviennent mais t’arrive pas à t’y placer, les autres existent mais toi t’es à l’extérieur comme gommée, t’observe tes souvenirs comme on regarde un DVD, marche, arrière, retour rapide, c’est ton enfance qui défile, ou pas vraiment juste les lieux et puis les gens, les sensations et puis le temps, le temps qui passe mais qui ne t’enlève rien, t’as tout gardé en toi planqué, caché, haute sécurité, ne rien dire, ne rien parler, surtout ne pas oublier de respirer, t’avance et les boîtes s’accumulent dans ta tête, si tu les ouvres sans être prête, c’est le passé qui te pête à la tête.

Tu forces un peu le verrou quand tu rentres en thérapie, tu racontes ta légende personnelle, t’envoies valser les peurs et les contraintes, dans ta bouche les boîtes s’animent et tu reprends vie, la gomme se barre et c’est du typex qu’il te faudrait à la place, tu voudrais tout blanchir, tout raturer, tout annuler, mais t’as pas le choix, faut ranger les boîtes pour dégager le passage, faire de la place pour de nouvelles boîtes, trier, ordonner, classer, comprendre enfin, finir avec les idées noires des cartons les plus bousillés, empiler les dossiers pour mieux pouvoir les archiver, ta mémoire vive dégagée, ton disque dur défragmenté, chaque chose à sa place, ne part pas les mains vides, gerbe la poussière de tes plus vieux cauchemars, continue à avoir peur, à te poser des questions, mais maintenant t’es forte, construite de l’intérieur, t’as viré assez de merdes pour retrouver l’interrupteur.

Ca te rend pas différente, plus intelligente ou plus accomplie, ca change complétement ta vie, le regard que tu portes sur toi et celui que tu poses sur les gens, la façon d’analyser la manière dont tu réagis, tes synapses au garde à vous relèvent la garde toutes les secondes, les connexions se multiplient, c’est plus facile, plus cruel aussi, voir sa vie en face, ni délirante ni déprimée, faire le constat objectif de sa médiocrité, s’avouer qu’en fait on est juste tous pareils, les défauts et les qualités, les obsessions et les échecs, ce qui fait de toi un être, comme le mec qui te regarde sourire dans le métro, dans le vague et juste pour rien, parce que t’es partie dans les boîtes que t’as choisi de garder, t’as pas tout balancé, et celle que tu gardes font la différence, elles t’emportent et elles te réchauffent, elles te rappellent d’où tu viens et les routes que tu prends pour y retourner sont les plus belles, parce que cette fois tu choisis.