Ventre

Quand j’étais petite, j’avais un short de sudation. Ce truc un peu immonde, vendu au télé-achat ou dans les parapharmacies pour vieilles bourgeoises complexées. Un short en matière sac-poubelle rembourré cellophane, qui colle à tes capitons comme le pu à tes plaies, chaque mouvement provoque une transpiration excessive, tu fais trois pas et c’est la flaque, tu baignes dans ton jus, tu t’y roules et tu croises les doigts, c’est déjà ça de perdu, sur la balance dans quelques heures, quelques grammes de moins, tu voudrais suer ta graisse, tu voudrais tailler dedans, sculpter dans ton ventre les contours de la fille parfaite, ventre concave et hanches brindilles, l’air ingénu et les cheveux qui brillent.

Dans la baignoire, j’observe mon corps de maintenant et je me souviens de celui que j’avais avant, avant les régimes, les coupes-faim, les diététiciens, les extraits de papaye et de pamplemousse, les attrape-gras, avant la stigmatisation et les désordres alimentaires, avant qu’on me fasse comprendre que j’étais grosse, que j’étais anormale et que je me devais de lutter contre moi même, de rentrer en guerre contre mon corps, de le maîtriser et de le briser, couper ce qui dépasse pour rentrer dans le moule, taillader les chairs trop abondantes, je n’étais pourtant qu’une gamine dodue, le ventre d’un bébé, les joues d’une enfant, je suis aujourd’hui une adulte obèse, perdre 10 kilos n’est qu’une formalité, c’est 50 qu’il m’en faudrait perdre pour oser prétendre appartenir au monde des jolies filles, celles qui ont des franges et qu’on déshabille des yeux, mon charme est ailleurs, paraît-il.

J’observe mon ventre qui surnage dans l’eau déja tiède, les bourrelets, les pleins et les creux, les marques du temps, les vergetures et les veines, quand je suis allongée, entre mes seins j’arrive à voir mon nombril, c’est une vue assez rare pour l’observer, vraiment creux, vraiment vide, seul néant dans l’amas graisseux, je me force à regarder ce ventre qui m’obsède pourtant, que je porte comme un fardeau, dont je rêve de me débarasser, que peut-il y avoir de vital dans cette bouée molle, un couteau aiguisé, d’une hanche à l’autre tracer un sourire à la pointe de la lame, passer par le nombril, juste en dessous, enfoncer la lame et me débarrasser, jeter à la poubelle ces kilos de tissus inutiles, saigner, coaguler, cicatriser. Ne pas toucher d’organes vitaux, ignorer le foie et la rate, couper en surface, précision chirurgicale, me sentir légère et cannibale, je m’imagine dans les mains cette bande courbe sanguinolente, chair rouge et graisse dure et jaune, la malaxer, la couper, la détruire et la jeter.