Absurdite globale

Je n’arrive pas à être forte pour lui. J’arrive juste à retenir mes larmes quelques minutes. Lui, il est là, sans larmes, sans même une grimace. Il est là, debout, le visage juste un peu plus grave, le dos droit, presque comme figé. Il ne baisse pas les yeux, il n’a pas peur. Il se pose des questions, bien sur. Il s’inquiète, pour sa mère, pour ses soeurs, pour ses frères. Mais il ne pleure pas. Il est là pour moi, c’est peut-être l’acte ultime de l’amour, être là pour l’autre alors que tout s’écroule.

Peut-être que je pleure un peu pour lui, je n’ai pas de mérite, j’ai la larme facile. Je pleure pour lui, et surtout pour son père, pour cet homme que j’ai tant aimé, malgré la pudeur et la distance, malgré la gêne et les regrets. Je pleure à force d’implorer un miracle, puisque c’est la seule chose qui puisse le sauver. A chaque sonnerie, chaque vibration, j’ai peur de ce que je vais entendre, peur de ce que je vais lire, peur que la vie finisse. Je prie encore pour que quelque chose change, pour que l’ombre recule, mais je n’y crois plus. Il n’y croit plus non plus. Il m’a dit qu’on attendait maintenant, qu’on avait plus que le temps pour nous, rien d’autre que les heures qu’on gagne sur le néant.

Je n’arrive pas à faire bonne figure, je m’en veux tellement. Je voudrais pouvoir le soutenir, ou le faire pleurer, le faire parler seulement. Je voudrais qu’il me dise ce qu’il ressent, ces nuits passées roulé en boule sur le fauteuil en cuir usé de la chambre de son père, à observer sa poitrine se soulever, l’air venir et s’en aller. Je voudrais le guérir de la peur et de la douleur, je voudrais l’envelopper et le cacher, peindre ses murs en rose, tout changer, tout recommencer, rembobiner. Seulement je ne peux pas, j’arrive à peine à arrêter de pleurer. Tout me paraît absurde, tout me semble sans intérêt. Il n’y a que les minutes qui passent, que le temps passé qui compte.