Baltringue Connexion

Gros cul enfoncé dans un canapé, une odeur de ratatouille brulée, ma clope qui se consume au bord du cendrier, la télévision sans le son, la musique trop fort dans le casque, et le sentiment d’être la reine des Baltringues. Le colère, reflux acide, œsophage cramé, rien n’est seulement psychique, tout est corps, tout s’incarne, l’angoisse en couches jaunes et denses de graisse sur mon abdomen distendu. Quelques pas dans la rue et les regards que j’évite habituellement me hantent, j’ai conscience de mon anormalité, pourtant je suis habituée, ne pas être la même, ne pas avoir de semblables, être celle qu’on repère de loin, un autre jour j’en aurai ri, un doigt d’honneur de plus à faire, je ne compte plus, mais ca ne m’amuse plus, j’ai plus envie, je voudrais fondre, me fondre, me faire oublier, ne pas avoir à affirmer, à renseigner, à éduquer, à insulter. Je suis lasse de porter mon corps, comme je le sens las à son tour de me porter.

Je crois qu’il y a des limites à tout argument. J’arrive au bout des miens. Ce soir j’en ai assez de compter les années à coup de vergetures, j’en ai assez de mes seins, de mes fesses, de mon ventre vide qui passe pourtant comme nourricier quand on me laisse une place dans le bus, ultime humiliation pour la trentenaire en dépression, je ne suis pas enceinte, je suis obèse, et je ne sais pas comment ces deux états vont cesser. Je ne relève pas de Dukan, de Montignac ou du dernier papier régime de Top Santé. Pour mon stade avancé, c’est le court circuit du système digestif qui est recommandé, couper dans ta chair, relier la bouche à l’anus pour empêcher de digérer. Sans moi, merci, si je dois continuer à me torturer, je préfère le faire en solo, pas besoin de céder le scalpel à un professionnel, on est jamais mieux servi que par soi même. Arrêter de manger, avant j’y arrivais, mais la chimie délicieuse qui permet à mon cerveau de se réveiller m’empêche pour le moment d’envisager de jeuner. Alors en bonne baltringue, je ne fais rien, je regarde les jours passer, j’essaie mais rien ne me satisfait.

Je voudrais pour une fois que les connards qui crachent sur les gros aient raison. Je voudrais que tout ne soit qu’une affaire de volonté, tout serait tellement simple, tout serait parfait, je n’aurai qu’à appliquer à la lettre les recommandations d’une diététicienne robot-spammeur dénichée sur le web, tout rentrerait dans l’ordre au bout de quelques mois seulement. Je voudrais qu’ils aient raison, qu’on m’envoie dans un putain de camp, pour revenir six mois après diaphane et amaigrie, prête à croquer la vie plutôt que dans le chocolat. Je voudrais que tout soit noir et blanc, sans nuances, encéphalogramme plat, bête et disciplinée. En attendant, je me supporte, et tous les matins, à poil dans le couloir, devant le grand miroir de l’armoire, je détaille chaque courbe et chaque pli, je mesure les centimètres, je monte sur la balance et je soupire, la petite souris mangeuse de bourrelets n’est pas passée cette nuit.