Boudha

Dans la salle d’attente, il y a un gros Boudha doré, le genre imposant, le ventre distendu, comme si il était rempli d’air, un gros léger, une baudruche transcendantale, un bon Boudha bien gras, posé sur son socle en marbre, qui voudrait nous faire croire qu’il vient de loin, qu’on l’a rapporté en contrebande d’un pays lointain, j’ose pas encore demander, mais je mettrai mes deux mains dans le hachoir à parier qu’il s’agit juste d’une figure en plâtre dénichée par un décorateur d’intérieur un peu perché. Moi, je me méfie des Boudhas, des dragons, des orientalismes, des dorures et des couleurs qui s’accordent sur les coussins damassés, ce que je viens chercher ici c’est juste un peu de repos, la bonne béquille, la bonne oreille, je ne crois pas aux magnétiseurs, aux chamanes, aux illuminés, je crois en la chimie, aux atomes et aux cellules, aux synapses qui s’égosillent, à la symbolique du mot bien plus qu’à celui du lieu, je crois en mon médecin, parce qu’il est un peu D.ieu.

J’ai mis longtemps à comprendre que quelque chose clochait vraiment, que je n’étais pas juste fatiguée, juste triste, juste sensible, juste paresseuse ou juste excitée. J’ai toujours préféré croire que tout était de ma faute, qu’un bon coup de pied au cul finirait par tout régler, que tout ça finirait par passer, que c’était presque une grâce que de ressentir si pleinement les émotions, les joies et les peines, les miennes comme celles des autres, comme si mon épiderme était transparent, inutile, comme si tout me pénétrait sans que je puisse y faire barrière, sans que je puisse rien empêcher de me toucher, vulnérable malgré la carapace de gras, malgré la volonté. J’ai voulu me forcer à être dans une normalité fantasmée, dans une juste milieu kantien mal digéré, j’ai tenté de tout bloquer, de ne plus rien ressentir, mes oreilles fermées, ma tête sous l’oreiller, ne rien entendre, ne plus parler, se recroqueviller, faire de ma solitude une muraille, ne plus pleurer quand je raccroche le téléphone et quand je réalise que l’autre n’est pas juste à côté. J’ai essayé de sortir de moi, j’ai voulu être belle, j’ai voulu être chaire, j’ai voulu être reine de mon harem, j’ai tenté l’extravagant et le clownesque, j’ai cru pouvoir m’oublier derrière un masque, celui de celle qui s’en fout, celle toujours prête à partir, toujours prête à tout, sans réfléchir, surtout sans penser. Rien ne fonctionnait.

J’accepte aujourd’hui souffrir d’un cas commun de réalité augmentée. J’accepte de renoncer à mes espoirs d’auto-régulation, j’accepte avoir besoin de plus de temps que la moyenne pour guérir des petites blessures, celles qui vous semblent stupides, j’accepte d’être faible, j’accepte de demander de l’aide, j’accepte de ne plus me cacher. J’ai couru toutes ces années après une autre forme d’acceptation de moi. Accepter mon corps, me faire accepter des autres, cette guerre de l’intérieur pour ne rien lâcher, ne pas se laisser marcher sur les pieds, toujours se défendre, toujours gagner du terrain, s’affirmer. Je réalise que j’ai pris les choses à l’envers, et que si je suis aujourd’hui fière de ce que je suis, grosse ou mince, obèse ou décharnée, c’est banal, mais c’est mon intérieur dont j’aurai du m’occuper, ce sont mes faiblesses structurelles, ces fissures dans les fondations, que j’aurai du combler. Il n’est pas trop tard, il est encore tôt, j’ai toute la vie pour réparer, je trouve juste intéressant de prendre le temps de constater, de se poser et regarder ce qui vient devant, de ce qui se donne à nous, sans que l’on ai rien demandé.