Dirty Dancing

La première fois que j’ai vu ce mythique film d’adolescente en chaleur, j’avais 12 ans, je passais le week-end chez ma meilleure amie Emira, et elle s’étonnait déja de mon manque de cool, elle ne comprenait pas comment j’avais pu passer à côté de ce monument cinématographique. On a réparé ça dans sa chambre de bonne, ses parents étaient gardiens, je trouvais ça génial, de vivre déja dans son propre appartement à 12 ans, j’ai compris bien après que c’était en fait loin d’être bien, la télé était en noir et blanc mais le magnétoscope crachait sans moufter la bande originale que toute connasse se doit de vénérer, Big Girls Don’t Cry, She’s like the wind, Time of my Life, tous ces airs qui déchaînent encore les fantasmes des femmes mariées de plus de 30 ans, devant leur miroir, mambo, cha-cha-cha, un jour mon Johnny viendra, dans sa Ford Mustang noire il m’emmènera.

Du haut de mes 12 ans, j’avais évidemment décrété que le père de Bébé était un énorme chien capitaliste qui ne comprenait rien à l’amour, ça tombait bien, c’était pile la période où ça se barrait en couilles avec mon paternel, quand celui qui joue à Superman par intermittence dans ta vie se transforme en connard du jour au lendemain, où plutôt quand le voile de l’enfance se lève un peu trop vite et que tu en prends plein la gueule en avance rapide, on partageait ce truc là, Emira et moi, la sensation de voir notre monde s’écrouler de manière sure et définitive, sans qu’on puisse rien y faire et rien y changer, à part peut-être se goinfrer de glaces devant des films, des soirées entières à bouffer et à rêver sur l’écran minuscule de sa télé, peinard dans sa chambre qui sentait le parfum Eau Jeune et les produits pour cheveux bouclés. Je ne prétends pas que Dirty Dancing se soit révélé à moi ce soir comme un péplum philosophique de haute volée, juste que quelques années après, les choses s’équilibrent un peu dans mon jugement, comme dans ma vie finalement.

Ouais, effectivement, le père de Bébé joue un jeu dangereux : il lui fait trop confiance, lui parle comme une adulte, contrairement à sa soeur qu’il méprise totalement, et craque dès qu’il s’aperçoit que sa fille chérie lui a menti, et qu’elle est en train de devenir une jeune femme, en clair, qu’elle a perdu sa virginité dans les bras du séduisant lower-class-guy du coin. Salaud, bouh, huons le. Mais d’un autre côté, Bébé aussi fait la grande, elle se sent pousser des ailes et fréquente les rockeurs à bananes plates du staff, sauve le monde en mentant à Daddy, gagne ses gradins de jeune loubarde du club de vacances en grattant Papa. Les torts sont partagés, entre Frances qui voudrait grandir sans avoir à souffrir, et son père qui refuse de comprendre qu’elle ne restera pas toute sa vie la gamine aux boucles blondes qu’il adulait. Et puis faire le mur, c’est très mal. Sous la pluie en plus. Elle aurait pu attraper la mort, sans déconner. Et puis le discours pseudo-socialiste à l’eau de rose de Bébé, la lutte des classes n’existe pas, on a tous le droit à la parole, les licornes sont des chevaux comme les autres et les domestiques sont nos amis, vingt ans après, j’ai envie de lui enfoncer la permanente dans la cuvette des toilettes. Pour qui elle se prend, la môme gâtée, pour tenir des discours d’émancipation et d’éducation à ceux qui triment pendant qu’elle bronze ? Elle pue la manif’, le kéfié et Marx mal digéré, cette petite, surtout si on s’amuse à noter les allusions à la guerre du Vietnam posées en filigrane.

Je m’en veux presque d’avoir revu Dirty Dancing. Comme si j’avais abimé un truc un peu sacré. Je n’ai même pas pleuré quand Johnny s’en va. Tout se casse la gueule, y’a plus de saisons, j’vous jure. Juste j’ai repassé deux fois la scène où ils s’embrassent pour la toute première fois, dans la cabine :

Bébé : “Danse avec moi”

Johnny : “maintenant ?”

Bébé : “OUI MAINTENANT, PREND MOI CONTRE LE MUR EN CHANTANT DU DICK RIVERS JE N’EN PEUX PLUS DE FROTTER MON PUBIS CONTRE TA CUISSE, FAIS QUELQUE CHOSE, COWBOY DE MES DEUX, SINON JE DIS A MON PÈRE QUE TU AS REFILE DES MORBACS A MA SŒUR”

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