La Petite Vieille

Dans son panier il y a : une escalope de poulet individuelle, une petite conserve de haricots verts, 4 yaourts nature sucrés, deux pommes Golden. Elle a choisi le plus grand panier possible, celui avec les roulettes pour le trainer, mais elle le porte à son bras avec son sac à main, dans le plis du coude. Elle porte une jupe écossaise qui lui couvre les genoux, et une chemise bleue marine cintrée où on lit encore les passages du fer à repasser. Au pied, des Mephistos usées, beiges et plates. Les cheveux sont courts, entre le blond artificiel et le gris souris, une large mèche qu’elle porte sur les yeux lui occupe les mains dans la queue.

Elle guette le bon moment pour installer la barre en plastique du client suivant sur le tapis roulant. Elle la regarde depuis un moment. Je suis juste derrière elle, et dès que je commence à installer mes articles, elle pousse les siens, un peu plus loin, comme pour séparer un peu plus nos deux paniers. Pendant que la caissière scanne, elle sort de son sac à main un sac recyclable aux couleurs d’une autre enseigne, plié raide, l’allure défraichie, et empile consciencieusement son marché. Les yaourts d’abord, suivi de la conserve, les pommes, et pour finir, le poulet. Ses yeux ne lâchent pas l’écran lumineux de la caisse qui affiche maintenant le total des emplettes.

5 euros 04 centimes Madame s’il vous plaît.

Du sac en cuir encore ouvert, elle sort une feuille vert pomme, en tête à blason, une lettre de la Mairie. Elle la glisse à la caissière, comme une copie d’examen, la face contre terre.

Il faut découper le bon Madame, je ne peux pas prendre la feuille en entier.

Elle reprend la feuille. Elle est gênée. Elle tente de plier, elle tremble un peu, elle essaie de découper, elle pince le papier entre ses doigts, elle n’y arrive pas. Je crois qu’elle n’y voit pas. La caissière reprend la feuille et sépare le bon alimentaire du reste de la feuille d’un coup sec, le scanne, et tape un code sur sa machine.

Ca vous fait un total de 04 centimes Madame.

Elle cherche au fond de son sac. Comme il m’arrive de le faire quand je n’ai plus d’argent, quand je fouille les poches de mes manteaux d’hiver, mes sacs à mains et les tiroirs de la salle de bain. Elle cherche ses poches, la jupe n’en a pas, le sac est vide, la petite poche de devant aussi, rien dans le sac de course, et nulle part ailleurs où chercher.

Ce sont les pommes surement, qui m’ont fait dépasser. Vous pouvez les enlever.

La caissière soupire et fait claquer le tiroir caisse d’arrière en avant, lui tend son ticket, et lui demande de s’en aller. Elle ne dit rien de plus, elle est habituée. Elle ne fait pas la charité, elle se rattrapera en scannant deux fois le pack d’eau de la famille d’après. Elle la libère, parce qu’elle craint que la petite vieille ne se mette à pleurer.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *