L’annuaire et le petit carnet

On a tous un petit carnet. Ou plusieurs même. De ceux qu’on garde. Le premier, le mien, Clairefontaine, bleu clair, petits carreaux et spirales, à l’intérieur les adresses des copines avant de partir en vacance en CM2, avant de partir en sixième, avant que tout change, et puis ceux d’après, les agendas qu’on conserve, le premier agenda professionnel, le premier rendez-vous, les dates de nos règles, et puis des numéros, des adresses, ceux qu’on ne veut pas oublier, ceux qu’on a peur de laisser s’effacer au gré d’un téléphone trop intelligent, trop capricieux, les choses qui comptent, toutes rassemblés dans les pages qu’on tourne, semaine par semaine, année par année, ces souvenirs qu’on s’écrit sans le savoir, les annotations et les surlignés.

On a tous un annuaire, quelque part. Malgré Internet. Un annuaire qu’on laisse pourrir dans le hall d’entrée, parce qu’on en a plus besoin, parce que c’est laid, lourd, et encombrant. Un annuaire qui tient le pied d’un lit défaillant, un annuaire marche pied pour un enfant qui veut grimper, un annuaire glissé sous le meuble à téléphoner de nos grands-mères, griffonné et annoté. Cette reliure gigantesque de milliers d’inconnus ne nous intéresse pas vraiment, qui nous en voudrait ? L’annuaire c’est l’utile, le pratique, ou bientôt le désuet, l’annuaire c’est le dehors, c’est les autres, c’est ce carnet que nous n’écrirons pas, parce que l’annuaire ne nous possède pas, on y apparaît juste, une ligne de plus, on peut même choisir de s’en effacer, l’annuaire nous oublie et se laisse distribuer sans que nous entrions chez les autres, sans que personne ne puisse le remarquer.

La vie qui compte, c’est celle que nous inscrivons dans nos petits carnets. Pas celle des annuaires, décidée par l’administration, par les institutions, par le paiement du gaz et de l’électricité. Je ne pourrai pas passer un dimanche penchée à relire mes annuaires, à m’émouvoir d’un nom, à penser à une adresse, à relever une faute d”orthographe, à me souvenir. Ce dont on se souvient, ce qu’on inscrit sur nos carnets, sur nos documents Word ouverts puis refermés, ce qu’on garde secret, enfoui dans nos sacs et dans nos poches, c’est tout cela qu’on emporte, pas l’annuaire, pas la multitude des autres, pas la foule des anonymes, pas les paroles de ceux qu’on croise de loin. Ce qu’on garde, c’est ce qu’on écrit, même par hasard, même pour rien, c’est ce qui colore notre inconscient la nuit.

Une réflexion sur « L’annuaire et le petit carnet »

  1. Tellement vrai…. Dieu bénisse tout ce qui sert a noter, anoter…. Écrire, inscrire.
    Toutes ces phrases sur les murs, les bras, au creux des mains, sur une serviette en papier, un ticket de métro, un emballage de sucre….
    J’adore ton style dariamarx.
    🙂

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