Avoir un bicot dans le fion

Non, je n’ai pas complétement craqué. « Avoir un bicot dans le fion » est la dernière requête ayant permis d’accéder à mon Tumblr via Google. Je ne voulais pas céder au marronnier des mots clés, mais celui ci était bien trop drôle pour que je manque de l’écrire ici, juste pour m’en souvenir, quand je repasserai.

Je vis une période un peu étrange. Je sens que je suis sur le bord de quelque chose de mieux, que ca va être vraiment bien. Que les projets dont on rêve depuis longtemps, ceux dont on ne parle même plus, comme pour ne pas les gâcher, peuvent se réaliser, très vite maintenant, dans quelques semaines, dans quelques mois. C’est terriblement excitant, ca me fait trembler les paupières quand je me laisse le droit d’y penser, ce tremblement incontrôlable, ce spasme de l’attente, ca met aussi un peu la pression, parce qu’à fort de se dire qu’on y arrivera jamais, on a l’air bien con quand l’occasion se présente pour de vrai. Il ne me reste qu’à ramer pour espérer être à la hauteur, montrer mes dents quand je souris et croiser les doigts en secret. J’en ai vraiment envie, ca me porte, ca me donne envie de faire tout un tas d’autres choses chiantes et annexes, comme si je voulais tout régler avant de me lancer dans ce projet, être propre sur moi quand le moment viendra.

C’est un peu nouveau, cette envie, ce truc qui se joue de moi. J’avais un peu oublié ce que ca faisait, de se laisser emporter par une idée, d’avoir quelque chose à quoi penser, c’est peut-être la neige qui fait ça, avec son silence incroyable, ce moment où plus rien ne bouge, où tout se laisse contempler, même les choses les plus laides, le parking de ma résidence, la petite allée à la pelouse brulée, tout prend une allure presque majestueuse, c’est la neige à la Disney, se coller à la vitre et juste regarder les flocons tomber, s’amuser de leurs formes, se rappeler que chacun est unique, c’est ce qu’ils disent dans les livres de psychologies pour abrutis, vous êtes comme un flocon de neige, unique et différent, merveilleux et singulier, alors juste pour un moment arrêter d’être cynique, se laisser aller aux bons sentiments derrière la vitre embuée. S’accorder de regarder la neige tomber, s’accorder d’ouvrir les yeux juste pour soi, sans prisme d’interprétation obligatoire, sans personnage à jouer. Avoir la certitude que tout ira bien, puisqu’il neige, et que tout est beau, silencieux, apaisé, juste pour une minute, puis prendre une respiration, s’éloigner de la fenêtre, et se rendre compte que rien n’a changé, juste nos yeux peut-être, comme lavés.

Je donne rarement dans l’optimisme niais. J’essaie toujours de prévoir, de calculer, cela fait partie de mon côté névrosée, toujours savoir, connaître les itinéraires, se préparer, ne jamais être dépourvue, toujours essayer de tout savoir, ne jamais se lancer au hasard. Pourtant aujourd’hui, j’avais envie de me détacher de mon mécanisme habituel, j’avais envie d’arrêter de compter, d’arrêter de vérifier, d’arrêter de me rassurer. J’avais juste envie de prendre le temps de me dire que tout allait bien se passer.

Les femmes c’est pas des mecs bien.

J’ai du mal avec les filles qui font des listes à cocher des qualités qu’un partenaire se doit de posséder pour susciter leur intérêt. J’ai du mal avec cette séléction artificielle, avec ce fantasme du Prince Charmant plouc, il faudrait qu’il soit grand comme ca, musclé comme ca, en CDI et avec une bonne situation, sans enfants et déjà propriétaire à trente ans. Déja petite, je préférai scalper mes Barbies et prétendre que Ken s’était barré, j’ai donc du mal à envisager qu’on puisse se projeter dans un futur si plastique, comme si ces filles cherchaient juste un support en papier mâché pour coller leurs jolies images et leurs aspirations domestiques empruntées en Amérique, ces questionnaires pour savoir à quelle Desperate Housewife vous ressemblez, ces magazines qu’elles découpent pour mieux coller dans leur calepin secret. Comme s’il suffisait de correspondre à un profil statique pour s’accoupler, comme si elles n’attendaient que l’aval d’une société toute marketée pour être heureuse, courir encore après cette image parfaite, ce bonheur en toc, les dents qui brillent et ces intérieurs en pin aggloméré.

Je ne suis pas complétement idéaliste, je sais que certains paramètres floutent notre prisme amoureux, qu’on rencontre plus facilement les gens qui nous ressemblent, par habitude et par réflexe quasi sociologique. Je crois juste que chaque histoire, quelle que soit la forme qu’elle prenne, longue ou courte, sous la couette ou devant monsieur le maire, est incroyablement particulière, qu’elle fonctionne grâce aux individus, grâce aux angles et aux prises, grâce aux défauts et aux aspérités, grâce à l’envie, à la chair et à la tête. Et que la vision seule d’une fiche d’inscription chez Meetic me fait douter de la réalité de leur slogan, les belles histoires sont celles qui sortent des cases, qui s’étalent et qui débordent, celles qui vibrent trop fort pour être contenues dans l’espace fermé d’une description précise. Je sais que je ne suis pas seule à le penser, j’enfonce peut-être des portes grandes ouvertes, mais à la lecture de plusieurs blogs très girly-rose-princesse cette après-midi, j’ai eu un peu la nausée, une boule dans la gorge goût Barbapapa et Vanille Yves Rocher, l’envie de sortir ces filles de leurs bulles sucrées, parce que dehors c’est mieux, ca bouge et ca vit, rien n’est figé, tout est possible, il leur suffirait d’essayer.

La blague suprême, le truc qui me fait vraiment ricaner dans ma moustache fraîchement épilée, c’est la dichotomie flagrante entre le profil rutilant et imaginaire de leur promis et la réalité médiocre de leurs rencontres, leurs petites aventures sexuelles et leurs déceptions sur l’oreiller. Entre le pompier infidèle, le gendarme qui ne savait pas se poser, le chômeur qu’on essaie sur un malentendu, un soir de grande solitude, comme si elles devaient se justifier d’avoir craqué, comme si elles tenaient un carnet de correspondance des entrées et sorties de leurs vagins, j’imagine qu’une fois la perle rare dénichée, le garçon propriétaire et à la taille suffisante, catégorie CSP+ vérifiée, elles brûleront leur carnet à loseur dans un ultime auto-dafé, préférant effacer les souvenirs de leurs amants sub-par, de leurs histoires à  faire réécrire d’urgence par un biographe autorisé.

Le nouveau pareil qu’avant, c’est ici, promis.

Je me sens un peu coupable d’être dans ce nouvel espace virtuel. Comme si j’étais traître à ma propre cause. Comme si je reniais l’aspect défouloir béton brut de mon précédent Tumblr. Comme si je mettais un pied dans l’engrenage maudit avec des petites cornes piquantes et malodorantes de la vraie blogosphère. Le truc qui m’ennuie le plus, c’est le nom de domaine au final. Comme si l’usage du .com était particulièrement prétentieux. J’aurai du me cacher derrière un .net, plus digne, plus en retrait, plus mesuré. Je n’ai pas réfléchi. On m’a filé une offre gratuite chez Gandhi, et dans un accès de confiance absolue dans l’avenir et dans mon plan machiavélique de domination du monde, j’ai craqué, DARIAMARX.COM, bordel, et j’avoue que ca me fait encore un peu plaisir, un plaisir un peu honteux, comme quand tu baises avec ton mec alors que ta meilleure amie chiale sur sa rupture dans la pièce d’à côté.

Ce qui est sur, c’est que rien ne va vraiment changer. J’ai laissé les commentaires ouverts sur quelques billets, sur ceux qui ne parlent pas de moi, sur ceux où je crache sur les gens, après tout, c’est honnête, le droit de réponse, les opinions des uns et des autres, la pseudo démocratie des Internets. Mais je ne compte pas les ouvrir sur les billets-crachoirs. Je ne demande pas ici l’avis des gens sur la conduite de ma vie. Je ne solliciterai jamais votre opinion sur ma tenue du jour. Je promets de ne pas m’inscrire chez Buzz-Ton-Blog. Je promets de rester chiante, d’oublier de mettre des points, de ne pas penser à accentuer les mots, de me morfondre et de gueuler, de prendre n’importe quel prétexte pour parler de ma gueule. Et ouais. C’est chez moi ici après tout, j’ai finalement compris que mon Tumblr avait quelque chose d’hypocrite, comme si je chiais derrière un arbre au milieu d’une plaine vide. Aller de l’avant, assumer que oui, j’écris. Assumer d’avoir envie de continuer, de me donner un outil un peu plus cool pour le faire. Finalement je n’ai presque plus honte.

Je suis aussi revenue à Twitter. Parce que je traverse une période un peu chiante, à gérer des trucs aussi déments que les papiers du notaire, les paiements d’un caveau, des merdes administratives, des soucis de santé qui se règlent peu à peu, bref, j’ai besoin de rire. Je le regretterai peut-être, à un moment donné, quand mes vieux travers auront repris le dessus, quand j’aurai tweet-clashé plus fort que moi, ou quand je saurais que ma place est ailleurs. Pour l’instant, c’est bien, c’est agréable, j’ai la chance d’avoir retrouvé tous ceux qui m’avaient manqué, et c’est mieux qu’un spectacle de Chantal Goya sous LSD.

L’annuaire et le petit carnet

On a tous un petit carnet. Ou plusieurs même. De ceux qu’on garde. Le premier, le mien, Clairefontaine, bleu clair, petits carreaux et spirales, à l’intérieur les adresses des copines avant de partir en vacance en CM2, avant de partir en sixième, avant que tout change, et puis ceux d’après, les agendas qu’on conserve, le premier agenda professionnel, le premier rendez-vous, les dates de nos règles, et puis des numéros, des adresses, ceux qu’on ne veut pas oublier, ceux qu’on a peur de laisser s’effacer au gré d’un téléphone trop intelligent, trop capricieux, les choses qui comptent, toutes rassemblés dans les pages qu’on tourne, semaine par semaine, année par année, ces souvenirs qu’on s’écrit sans le savoir, les annotations et les surlignés.

On a tous un annuaire, quelque part. Malgré Internet. Un annuaire qu’on laisse pourrir dans le hall d’entrée, parce qu’on en a plus besoin, parce que c’est laid, lourd, et encombrant. Un annuaire qui tient le pied d’un lit défaillant, un annuaire marche pied pour un enfant qui veut grimper, un annuaire glissé sous le meuble à téléphoner de nos grands-mères, griffonné et annoté. Cette reliure gigantesque de milliers d’inconnus ne nous intéresse pas vraiment, qui nous en voudrait ? L’annuaire c’est l’utile, le pratique, ou bientôt le désuet, l’annuaire c’est le dehors, c’est les autres, c’est ce carnet que nous n’écrirons pas, parce que l’annuaire ne nous possède pas, on y apparaît juste, une ligne de plus, on peut même choisir de s’en effacer, l’annuaire nous oublie et se laisse distribuer sans que nous entrions chez les autres, sans que personne ne puisse le remarquer.

La vie qui compte, c’est celle que nous inscrivons dans nos petits carnets. Pas celle des annuaires, décidée par l’administration, par les institutions, par le paiement du gaz et de l’électricité. Je ne pourrai pas passer un dimanche penchée à relire mes annuaires, à m’émouvoir d’un nom, à penser à une adresse, à relever une faute d”orthographe, à me souvenir. Ce dont on se souvient, ce qu’on inscrit sur nos carnets, sur nos documents Word ouverts puis refermés, ce qu’on garde secret, enfoui dans nos sacs et dans nos poches, c’est tout cela qu’on emporte, pas l’annuaire, pas la multitude des autres, pas la foule des anonymes, pas les paroles de ceux qu’on croise de loin. Ce qu’on garde, c’est ce qu’on écrit, même par hasard, même pour rien, c’est ce qui colore notre inconscient la nuit.

Boudha

Dans la salle d’attente, il y a un gros Boudha doré, le genre imposant, le ventre distendu, comme si il était rempli d’air, un gros léger, une baudruche transcendantale, un bon Boudha bien gras, posé sur son socle en marbre, qui voudrait nous faire croire qu’il vient de loin, qu’on l’a rapporté en contrebande d’un pays lointain, j’ose pas encore demander, mais je mettrai mes deux mains dans le hachoir à parier qu’il s’agit juste d’une figure en plâtre dénichée par un décorateur d’intérieur un peu perché. Moi, je me méfie des Boudhas, des dragons, des orientalismes, des dorures et des couleurs qui s’accordent sur les coussins damassés, ce que je viens chercher ici c’est juste un peu de repos, la bonne béquille, la bonne oreille, je ne crois pas aux magnétiseurs, aux chamanes, aux illuminés, je crois en la chimie, aux atomes et aux cellules, aux synapses qui s’égosillent, à la symbolique du mot bien plus qu’à celui du lieu, je crois en mon médecin, parce qu’il est un peu D.ieu.

J’ai mis longtemps à comprendre que quelque chose clochait vraiment, que je n’étais pas juste fatiguée, juste triste, juste sensible, juste paresseuse ou juste excitée. J’ai toujours préféré croire que tout était de ma faute, qu’un bon coup de pied au cul finirait par tout régler, que tout ça finirait par passer, que c’était presque une grâce que de ressentir si pleinement les émotions, les joies et les peines, les miennes comme celles des autres, comme si mon épiderme était transparent, inutile, comme si tout me pénétrait sans que je puisse y faire barrière, sans que je puisse rien empêcher de me toucher, vulnérable malgré la carapace de gras, malgré la volonté. J’ai voulu me forcer à être dans une normalité fantasmée, dans une juste milieu kantien mal digéré, j’ai tenté de tout bloquer, de ne plus rien ressentir, mes oreilles fermées, ma tête sous l’oreiller, ne rien entendre, ne plus parler, se recroqueviller, faire de ma solitude une muraille, ne plus pleurer quand je raccroche le téléphone et quand je réalise que l’autre n’est pas juste à côté. J’ai essayé de sortir de moi, j’ai voulu être belle, j’ai voulu être chaire, j’ai voulu être reine de mon harem, j’ai tenté l’extravagant et le clownesque, j’ai cru pouvoir m’oublier derrière un masque, celui de celle qui s’en fout, celle toujours prête à partir, toujours prête à tout, sans réfléchir, surtout sans penser. Rien ne fonctionnait.

J’accepte aujourd’hui souffrir d’un cas commun de réalité augmentée. J’accepte de renoncer à mes espoirs d’auto-régulation, j’accepte avoir besoin de plus de temps que la moyenne pour guérir des petites blessures, celles qui vous semblent stupides, j’accepte d’être faible, j’accepte de demander de l’aide, j’accepte de ne plus me cacher. J’ai couru toutes ces années après une autre forme d’acceptation de moi. Accepter mon corps, me faire accepter des autres, cette guerre de l’intérieur pour ne rien lâcher, ne pas se laisser marcher sur les pieds, toujours se défendre, toujours gagner du terrain, s’affirmer. Je réalise que j’ai pris les choses à l’envers, et que si je suis aujourd’hui fière de ce que je suis, grosse ou mince, obèse ou décharnée, c’est banal, mais c’est mon intérieur dont j’aurai du m’occuper, ce sont mes faiblesses structurelles, ces fissures dans les fondations, que j’aurai du combler. Il n’est pas trop tard, il est encore tôt, j’ai toute la vie pour réparer, je trouve juste intéressant de prendre le temps de constater, de se poser et regarder ce qui vient devant, de ce qui se donne à nous, sans que l’on ai rien demandé.

Une semaine

La mort sent l’ail et le concentré de tomates, le parfum capiteux de la tante qui vous embrasse d’un peu trop près, la mort sent la lessive des draps qu’on déplie pour couvrir le corps ou un miroir, la mort sent trop la vie pour qu’on réalise vraiment que le vivant est parti, trop brutale pour être saisie, l’instant où il est parti, personne ne sait vraiment, on sait juste qu’il n’est plus là, plus jamais là, et c’est le silence de ses lèvres closes pour le reste du temps qu’il nous reste qui est le plus inaudible, le silence assourdissant, le vide oppressant que laisse le défunt, sa place à la table, sa tasse préférée, sa casquette et son manteau, ses habitudes et ses regrets, jusqu’au ton de sa voix qui raisonne encore, hier encore il me parlait, hier encore nous espérions, à tort ou à raison, qu’il revienne et qu’il vive, qu’il soit fort pour nous, un peu plus, quelques heures, quelques jours, quelques mois, c’était toujours ça de gagné sur l’horreur du départ qui s’annonçait.

C’est la proximité de ce corps vide d’âme qui est le plus difficile, l’envie de soulever le drap, d’éteindre la bougie, et de le serrer contre moi, comme si nos chaleurs réunies pouvaient le réveiller, comme si nos prières avaient été en vain, comme si il suffisait d’y croire pour que tout s’annule, pour que tout s’arrête d’arrêter. C’est le bruit inquiétant de l’eau qu’on déverse près du mort, c’est l’odeur des médicaments qui s’évaporent, c’est le train train insupportable des professionnels de la peine, les allers et venues des pompes funèbres, la table frigorifiée qui refuse de se monter, ce sont les petites choses affreuses et palpables qui nous rappellent que quelque chose de dramatique vient bien d’arriver. C’est la vie qui continue, le facteur qui sonne à la porte pour un recommandé, la femme de ménage qui s’effondre dans la cuisine en polonais, ce sont les paroles répétées par ces centaines d’inconnus effondrés, banalités dégueulasses qu’on sert aux endeuillés. Le temps ne s’arrête pas pour tout le monde, ceux qui viennent saluer le défunt repartent vers leurs appartements douillets, vers leurs familles et leurs vies, j’ai de la colère pour ceux qui se sentent épargnés, ceux qui en rentrant serreront leurs parents un peu plus fort qu’à l’accoutumée, parce qu’ils comprennent pour une seconde grâce à notre peine la chance de les avoir encore juste à côté.

C’est étrange, mais je pleure en pensant à son âme solitaire, celle qui voyage à présent vers celui qu’il a tant servi, cette âme départie de son enveloppe qui observe et qui juge, qui nous regarde nous rassembler pour nous réchauffer, qui nous regarde continuer à essayer de faire comme si tout allait bien, comme si tout était normal, comme si nous étions prêts pour vivre sans lui. J’ai peur qu’il s’ennuie, j’ai peur qu’il pleure de rage d’être parti, de nous laisser, sans avoir pu tout faire, sans avoir pu terminer. Je sais qu’il aurait détesté nous voir pleurer, nous voir craquer, nous portons nos masques, empreints d’une fausse dignité, d’un deuil assumé, mais quand le soir vient, quand vient l’heure du diner, quand sa place à table reste vide et que personne ne peut le remplacer, quand les visiteurs sont partis et que seuls les proches gardent sa mémoire, alors seulement je les vois hurler de douleur, sans larmes presque, leurs yeux sont secs et usés, seule leur voix se mue en cri. On raconte pour la centième fois les minutes avant la mort, les derniers mots et le médecin, on se raccroche à une parole, à un conseil, à son dernier rire ce matin, on se souvient.

Absurdite globale

Je n’arrive pas à être forte pour lui. J’arrive juste à retenir mes larmes quelques minutes. Lui, il est là, sans larmes, sans même une grimace. Il est là, debout, le visage juste un peu plus grave, le dos droit, presque comme figé. Il ne baisse pas les yeux, il n’a pas peur. Il se pose des questions, bien sur. Il s’inquiète, pour sa mère, pour ses soeurs, pour ses frères. Mais il ne pleure pas. Il est là pour moi, c’est peut-être l’acte ultime de l’amour, être là pour l’autre alors que tout s’écroule.

Peut-être que je pleure un peu pour lui, je n’ai pas de mérite, j’ai la larme facile. Je pleure pour lui, et surtout pour son père, pour cet homme que j’ai tant aimé, malgré la pudeur et la distance, malgré la gêne et les regrets. Je pleure à force d’implorer un miracle, puisque c’est la seule chose qui puisse le sauver. A chaque sonnerie, chaque vibration, j’ai peur de ce que je vais entendre, peur de ce que je vais lire, peur que la vie finisse. Je prie encore pour que quelque chose change, pour que l’ombre recule, mais je n’y crois plus. Il n’y croit plus non plus. Il m’a dit qu’on attendait maintenant, qu’on avait plus que le temps pour nous, rien d’autre que les heures qu’on gagne sur le néant.

Je n’arrive pas à faire bonne figure, je m’en veux tellement. Je voudrais pouvoir le soutenir, ou le faire pleurer, le faire parler seulement. Je voudrais qu’il me dise ce qu’il ressent, ces nuits passées roulé en boule sur le fauteuil en cuir usé de la chambre de son père, à observer sa poitrine se soulever, l’air venir et s’en aller. Je voudrais le guérir de la peur et de la douleur, je voudrais l’envelopper et le cacher, peindre ses murs en rose, tout changer, tout recommencer, rembobiner. Seulement je ne peux pas, j’arrive à peine à arrêter de pleurer. Tout me paraît absurde, tout me semble sans intérêt. Il n’y a que les minutes qui passent, que le temps passé qui compte.

Transfusion

Le lien du sang, celui qui paraît-il est le plus puissant. Le sang encore, celui qu’on s’apprête à changer à un monsieur malade demain matin, pour faire repousser les cellules et respirer les plaies, changer de sang comme on change d’avis, briser les liens à jamais, rhésus variable, tirer un trait. J’admire les adoptés qui partent à la recherche de leur identité, ceux qui traversent les obstacles pour observer sous le microscope d’un dossier leur hérédité, le sang n’a pas changé, malgré leurs adoptions, malgré les années, la même hémoglobine, le même caryotype. Impossible de fuir ce qui nous construit organiquement, ceux qui ont permis à nos membres de grandir et à notre fontanelle de se fermer, liés à jamais dans une biologie implacable, sans issue, ni fuite, ni chirurgie, pas d’amputation possible de notre génétique.

Le délire de puissance, celui d’être une génération spontanée, d’être une variation sporadique d’une éprouvette qu’on aurait fait tomber, l’ego, la peur, la colère, le souvenir, l’envie d’être un individu entier et circonscrit à sa seule identité. Ne plus rien porter des générations d’avant, des habitudes et des traditions, s’ébrouer comme un animal, se débarrasser des contradictions, être eugéniste pour soi, tuer l’enfant malheureux, être adulte seulement, des ces grandes personnes raisonnées et ordonnées. Finir Freud à l’acide, enfermer Jung et Lacan dans une boîte scellée au plomb, ne plus jamais se retourner, ne pas chercher à comprendre, à analyser. Vivre sans mémoire, sans cauchemars, juste demain, mettre un réveil et avoir envie d’y être. Ne plus revoir son visage, ne plus sentir son odeur, ne plus reconnaître ses traits quand je me regarde dans la glace, marquer au pointillé les parties de chair à enlever, reconnaissance biométrique impossible, se débarrasser enfin du sang ancien, celui qui rouille et qui oxyde, revivre.

Je lis ces phrases choisies pré-mâchées pour gogos décérébrés, “ce qui ne tue pas rend fort”, mais ce qui me tue me tue, à force de force, à force de me tuer. Je ne suis pas amère, je ne suis pas triste, je suis forte, trop forte encore, malgré les pleurs. Je ne sais pas comment ne plus l’être, je me suis construite derrière une porte blindée, surtout qu’on ne me dérange pas, tête dans le sable, les mains sur les oreilles pour ne rien entendre, chanter à tue tête pour couvrir les voix qui voudraient me raconter, me dire, me blesser. Je refuse qu’on me prenne ma carapace, je refuse de la laisser tomber. J’en ai trop chié, j’ai trop eu mal, on m’a trop torturé le dedans pour que je le laisse respirer, marche ou crève, maintenant c’est pareil, la voie est tracée. C’est le revers de la blessure originelle, la peau repousse plus épaisse, moins sensible, un moins vivante à chaque coup porté. La nécrose est avancée, je ne peux plus lutter, scalpel, lame de douze, nous allons trancher.

Baltringue Connexion

Gros cul enfoncé dans un canapé, une odeur de ratatouille brulée, ma clope qui se consume au bord du cendrier, la télévision sans le son, la musique trop fort dans le casque, et le sentiment d’être la reine des Baltringues. Le colère, reflux acide, œsophage cramé, rien n’est seulement psychique, tout est corps, tout s’incarne, l’angoisse en couches jaunes et denses de graisse sur mon abdomen distendu. Quelques pas dans la rue et les regards que j’évite habituellement me hantent, j’ai conscience de mon anormalité, pourtant je suis habituée, ne pas être la même, ne pas avoir de semblables, être celle qu’on repère de loin, un autre jour j’en aurai ri, un doigt d’honneur de plus à faire, je ne compte plus, mais ca ne m’amuse plus, j’ai plus envie, je voudrais fondre, me fondre, me faire oublier, ne pas avoir à affirmer, à renseigner, à éduquer, à insulter. Je suis lasse de porter mon corps, comme je le sens las à son tour de me porter.

Je crois qu’il y a des limites à tout argument. J’arrive au bout des miens. Ce soir j’en ai assez de compter les années à coup de vergetures, j’en ai assez de mes seins, de mes fesses, de mon ventre vide qui passe pourtant comme nourricier quand on me laisse une place dans le bus, ultime humiliation pour la trentenaire en dépression, je ne suis pas enceinte, je suis obèse, et je ne sais pas comment ces deux états vont cesser. Je ne relève pas de Dukan, de Montignac ou du dernier papier régime de Top Santé. Pour mon stade avancé, c’est le court circuit du système digestif qui est recommandé, couper dans ta chair, relier la bouche à l’anus pour empêcher de digérer. Sans moi, merci, si je dois continuer à me torturer, je préfère le faire en solo, pas besoin de céder le scalpel à un professionnel, on est jamais mieux servi que par soi même. Arrêter de manger, avant j’y arrivais, mais la chimie délicieuse qui permet à mon cerveau de se réveiller m’empêche pour le moment d’envisager de jeuner. Alors en bonne baltringue, je ne fais rien, je regarde les jours passer, j’essaie mais rien ne me satisfait.

Je voudrais pour une fois que les connards qui crachent sur les gros aient raison. Je voudrais que tout ne soit qu’une affaire de volonté, tout serait tellement simple, tout serait parfait, je n’aurai qu’à appliquer à la lettre les recommandations d’une diététicienne robot-spammeur dénichée sur le web, tout rentrerait dans l’ordre au bout de quelques mois seulement. Je voudrais qu’ils aient raison, qu’on m’envoie dans un putain de camp, pour revenir six mois après diaphane et amaigrie, prête à croquer la vie plutôt que dans le chocolat. Je voudrais que tout soit noir et blanc, sans nuances, encéphalogramme plat, bête et disciplinée. En attendant, je me supporte, et tous les matins, à poil dans le couloir, devant le grand miroir de l’armoire, je détaille chaque courbe et chaque pli, je mesure les centimètres, je monte sur la balance et je soupire, la petite souris mangeuse de bourrelets n’est pas passée cette nuit.

Qui veut cracher a la gueule d’Elfassi ?

Préambule :

http://www.wat.tv/video/giuseppe-explique-en-exclu-36p6f_2exyv_.html

“Dans l’extrait 3 (du casier judiciaire) qui a été fourni, seules les peines d’emprisonnement supérieur à deux ans peuvent être inscrites.” (Tf1.fr)

http://www.trimtab.fr/le-point-giuseppe

Toutes des salopes, ces midinettes de télé-réalité, prêtes à tout pour un quart d’heure de célébrité, un mauvais papier dans un magazine glacé, celles qui trahissent la cause féministe pour se réduire à un pion dans un jeu orchestré par Bouygues. Salopes, peut-être, vu comme ca, c’est facile, une mini-jupe, des bottes à talons, le maquillage qui dégouline et les yeux dans le vide. Salopes tristes,  vaines au point de se vendre, de tout accepter, chirurgie esthétique, mauvais jeux de mots, tentatives puériles de séduction par un orang-outan au brushing étudié, aux rides creusées par les UV. Des salopes télévisuelles, des salopes tout court. Toutes des salopes.

Les salopes ont-elles le droit pour elle ? Les salopes méritent elles qu’on s’intéresse à leur survie ? Les salopes doivent-elles être protégées ? Quel est le rapport mathématiques entre le nombre de salopes assumées prêtes à tout pour réussir prêtes à tricher, à mentir, à calomnier, et le nombre de femmes qui subissent l’étiquette de salope, de bonne à rien, de merde, de pute, par des conjoints violents ? Ce calcul même est ignoble. Mais la télé-réalité force à l’ignominie. Combien de français pensent en secret “elle l’a bien mérité” quand une fille un peu trop apprêtée, un peu trop sure d’elle, un peu trop belle, se fait violer ? Combien de bons pères de familles ne sont pas surpris quand une femme un peu grande gueule se fait démolir le portrait ? Combien pensent encore que la violence conjugale n’est pas vraiment un hasard ? Que la femme “cherche”, provoque l’homme. Qu’elle ne reste pas à sa place. Qu’il faut parfois l’y remettre. Par tous les moyens.

Toutes des salopes, surtout les putes, les strip-teaseuses, les serveuses, les infirmières, les hôtesses de l’air, les coiffeuses, celles qui sont connues pour être faciles, celles qui couchent sans réfléchir, celles qui jouissent trop fort et qui ne s’excusent pas, celles qui passent juste dans la rue au mauvais moment et qui ont le tort de sourire, d’aguicher, de séduire. Toutes des salopes, ces femmes au sexe fantasmatique, comme si elles portaient leurs vulves sur leurs lèvres, et qu’elles n’attendaient qu’à recevoir l’offrande généreuse d’un pénis divin.

Toutes des salopes. Surtout celles qui portent plainte d’ailleurs. Les autres, on en entend peu parler après tout. Celles qui se refusent à pousser la porte du commissariat, celles qui se taisent, celles qui meurent. Celles qui rentrent après le viol ou la violence, posent leurs affaires sur le canapé du salon, comme si rien ne s’était passé, celles qui ont comme seul réflexe cette douche sans fin, brulante, comme si la vapeur pouvait exfolier la laideur de l’homme qui frappe, qui prend, qui viole, comme si les ongles passés sur la peau rougie pouvaient emporter le souvenir de la claque, du coup de poing, des cheveux arrachés.

Toutes des salopes, vraiment. Surtout celles qui s’inquiètent pour leurs sœurs, leurs amies, leurs collègues. Celles qui alertent, qui s’alarment, qui haussent le ton. Celles qui refusent de laisser passer les actes communs de la maltraitance. Les insultes, les remarques, il m’a juste poussé, il ne m’a pas frappé, ca ne compte pas. Celles qui sentent le vent tourner, celles qui partent avant la première beigne, à la première mise en garde, tu vas voir ce que je vais te mettre, ca suffit, claquer la porte, s’en aller, sans rien prendre, sans rien emporter. Juste parce que le regard du mâle change, parce que ses poings se serrent, parce qu’on sait. Nous savons.