Automatique

D’abord il y a eu ce matin, vers 9h, peut-être un peu avant, je dormais fort, parce que ma nuit a commencé vers 6h, alors tu vois vraiment je dormais, alors quand ça sonne à la porte et que ca tambourine, je me dis que le facteur est énervé, et que vraiment, c’est pas le moment, alors avec le chat, on reste sous la couette et on se dit qu’on ira chercher le recommandé au guichet, comme ça, parce qu’on a pas envie de se faire chier la bite à encadrer un employé des PTT mal réveillé. Seulement ca s’arrêtait pas, alors je me suis levée, et comme je dors à poil, j’étais emmerdée, j’aime pas m’habiller, alors j’ai mis une robe, un pull de marin et comme c’était trop tard pour me coiffer, j’ai mis le bonnet en laine qui trainait sur la porte d’entrée, enfoncé par dessus les oreilles en mode couvre chef de l’extrême, je devais être super jolie, vraiment, une beauté.

J’ouvre la porte, et là, y’a trois personnes, un grand tout maigre, un petit gros et puis une fille un peu vieille et un peu moche, le grand me dit qu’il est huissier, et que je dois beaucoup d’argent au Trésor Public et qu’il va devoir sévir, alors comme j’ai pas vraiment peur des huissiers, rapport à ce que j’ai pas grand chose de toutes façons, je leur ai dit de rentrer, et puis avec Monsieur Ramirez de la trésorerie, on s’était mis d’accord, que je lui dis, à l’huissier et aux deux autres qui restent derrière lui comme si j’allais frapper le grand maigre à coup de casserole ou de sac poubelle rempli, ils avaient pas l’air rassurés. Il fait le tour avec ses yeux, c’est là qu’on voit que c’est un grand professionnel de sa profession, il a même pas fait un pas en avant pour s’assurer d’un panorama plus avancé, il a fait le tour du salon avec ses petits yeux bleus plissés, il m’a demandé combien ca coutait ma télé, j’ai dit je sais pas, parce que d’abord elle est pas à moi, et j’ai cherché la facture dans le tiroir de l’entrée, ca l’a calmé, le grand blond avec ses petits yeux qui savent chercher.

Ca a duré quelques minutes, il a même pas voulu que je lui montre les toilettes ou la salle de bain ou même la pièce du fond du couloir où il n’y a rien, à croire que la vision dévastée de mon salon de pauvre l’avait dégouté, il m’a filé des papiers, et le plus marrant c’est que sur ces papiers, y’a la liste des trucs qu’ils pourraient saisir, si jamais Mr Ramirez décidait qu’il en avait assez de transiger. Sur la liste y’a marqué : ITEM 1 : un lot de DVD. J’aurai du lui expliquer que j’avais un ordinateur et que Hadopi, bon, comment dire, j’avais pas trop peur, et que j’avais cent fois plus de films dans mon ordinateur, d’ailleurs il a pas noté mon ordinateur, il est tout neuf pourtant, à croire que lui aussi est atteint de laideur post pauvreté, même l’huissier n’a pas voulu l’emporter. Après ça, je me suis recouchée, mais j’ai eu du mal à m’endormir, parce que je savais qu’il fallait que j’appelle Mr Ramirez, et qu’il m’énerve, avec son air condescendant et son petit bouc à poils écartés et transparents, on dirait qu’il y a trop de peau sur son menton et qu’il va tomber.

Après j’ai tapé des trucs dans Google et j’ai vu que des gens de ma famille, comme des grands-pères, étaient morts, et comme j’étais un peu triste, j’ai juste essayé de continuer à respirer, ca m’a bien pris trois heures pour y arriver pour de vrai.

Cinq ans

Cinq ans que je suis dans le noir. Au début, je n’ai pas compris. J’ai cru que j’allais mourir. Qu’ils allaient me tuer. Très vite. Qu’est ce que je suis, après tout. Pas grand chose. Juste un soldat de plus. Mes parents ne sont pas riches. Ils ne font pas de politique. J’étais juste là au mauvais moment. Sur la mauvaise route. Putain d’armée. Putain de pays. Je ne suis pas fier d’être dans le noir, je n’ai rien à revendiquer. Je voudrais juste qu’on me laisse m’en aller. Ca fait cinq ans que je l’attends. Je ne suis pas prisonnier, je n’ai aucune idée du temps que durera ma peine, combien de jours encore je vais rester enfermé.

Je ne sais pas où je suis. On me change souvent de pièce, de maison, de ville. Un tissu sur la tête, parfois juste un sac en papier, je n’arrive pas à voir la route, j’entends juste parler, le ronronnement du moteur et les bruits des villes qu’on traverse. Mais la destination est toujours la même. Une cave quelque part. Des hommes qui viennent m’apporter à manger. Parfois des toilettes. Un journal, dans une langue que je ne comprends pas. Un matelas. Je pense à des choses stupides, comme le temps qu’il fait dehors, ce qui passe à la télévision, ces petites choses que je ne sais pas. Parfois je crois devenir fou, j’oublie ma langue maternelle, je n’arrive plus à parler, même tout bas, même en silence, même pour personne. C’est long, ces années sans rien entendre de familier.

J’ai eu vingt quatre ans je crois. Si je compte bien. Je devrais être en train de voyager, quelque part entre l’Asie et New York, après mes trois ans d’armée. Je devrais être libre, de cette guerre qui se joue en mon nom, de ces hommes qui se servent de moi comme d’un appât. On me demande de parler devant une caméra, de temps en temps. Je n’ai pas vraiment le choix. Alors je lis ce que l’on me demande, j’essaie de ne rien laisser paraître, parce que je pense à mes parents, qui doivent me chercher. Je ne voudrais pas qu’ils pensent que je vais mal, que je me laisse aller. Alors je lis bêtement le texte que l’on me soumet. Et je prie pour qu’on me laisse tranquille. Qu’on vienne me chercher. Je voudrais juste rentrer chez moi. On ne doit pas être loin, quelques centaines de kilomètres seulement. Sauter dans une voiture et surprendre ma mère dans la cuisine, mettre mes mains sur ses yeux et lui faire une surprise.

Bien sur il y a la mort. Cette possibilité. Je ne sais pas si on tue un otage au bout de cinq ans. Mais je ne sais rien. Je ne connais pas ces gens. Je ne comprends pas ce qu’ils attendent de moi, des miens, des gens. Je ne sais pas pourquoi je vis. C’est peut-être cela le plus compliqué. Ne rien pouvoir faire. Ne rien pouvoir échanger, marchander, demander. Être le pion qu’on déplace. Je voudrais que quelqu’un prononce mon nom. Je passe des mois entiers sans qu’on m’appelle par mon prénom. J’ai l’impression de m’effacer progressivement. Alors je le répète dans ma tête, encore, et encore, pour m’endormir et pour me réveiller, quand les minutes sont trop longues et que la peur me casse le ventre, dans ma tête comme une chanson, je m’appelle Gilad, je m’apelle Gilad, je m’apelle Gilad, ils ne peuvent pas m’enlever mon prénom, ils ne peuvent pas me faire oublier qui je suis, je m’appelle Gilad, j’ai été enlevé, je ne suis que Gilad, j’attends qu’on vienne me libérer.

Pas drôle

Le blocage devant le clavier, ca m’arrive rarement. Pourtant, depuis mon anniversaire, je n’arrive pas à écrire. J’ai sorti des notes que j’avais en brouillon, rafistolé quelques trucs que je devais envoyer, mais c’est tout. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, ce qu’on pense clairement s’écrit facilement. Je ne pense pas clair. Je ne trouve pas de mots pour le dire en français, en plus. J’ai une “debilitating pain” qui me colle au ventre, qui me fait hurler pour de vrai, qui me fait vomir ma colère, ma hargne, ma douleur. Une douleur sourde qui voudrait crier, voilà la meilleure traduction que je puisse trouver. C’est dire l’état de mes neurones. Je végète dans un état semi-contemplatif. Je regarde la plaie s’ouvrir, j’observe les vers et les pourritures en sortir, je la regarde se nécroser, doucement, surement.

Je commence à croire que j’ai hérité d’une putain de malchance congénitale. Un don pour la tristesse, une aversion à la douceur. Quand je crois que je vais y arriver, quand j’arrive à rassembler mes forces pour me lancer, je me prends un nouveau paquet de merde en pleine face. Et la merde sèche, se craquèle, pourrit et s’immisce sous ma peau pour ne plus me quitter. Une couche de plus. Après tout pourquoi pas. Qu’est ce qu’on pourrait rajouter sur le constat de mon accident perpétuel ? C’était pas de ma faute, j’avais pas vu le panneau à la sortie de l’utérus, c’était mal indiqué. Bien sur c’est un peu ma faute. J’ai fait des erreurs, j’ai fait des choix contestables à l’arbitrage. J’essaie de prendre ma part de merde, pour me sentir responsable, pour ne pas avoir cette impression horrible d’être un corps noyé balayé dans une vague, sans jamais arriver à reprendre pied, sans jamais se sauver. Le plus joli compliment qu’on me fasse est de me dire que j’ai un putain de caractère. Cela prouve au moins que je ne me suis jamais laissée faire. Que j’ai toujours essayé. Que j’ai fait de mon mieux. Parfois bêtement, avec l’enthousiasme du jeune scout, mais toujours de mon mieux.

Encore une fois, il va falloir vaincre, conquérir, se battre, y arriver. Une nouvelle fois, surmonter l’épreuve. Pour combien de temps ? Combien de semaines de repos avant la prochaine tempête, avant la prochaine mort, avant le prochain malade, avant le prochain revenant, avant la prochaine trahison, avant le nouveau pétage de plombs. Avant la bataille, je me retire en asthénie, le pays merveilleux de la fatigue si forte qu’elle t’empêche de penser, ce lieu si particulier qui gomme tout raisonnement logique, tout besoin, toute envie. Ne rien brusquer, ne rien envisager d’autre que le sommeil comme porte de sortie. Toute autre proposition sera refusée par le Komintern, pas la peine d’essayer. Comme ce hamster enveloppé de coton, qui kiffe bêtement la chaleur, je n’aspire qu’à être un rongeur heureux. Pour l’instant. En attendant que la douleur me permette de récupérer la parole et le verbe, la rage et puis la vie.

Encore Elles

On a aperçu les filles. De loin d’abord, les lumières et les néons. Dans l’embouteillage de la rue, coincé devant les vitrines, on a observé. Des filles défigurées par la lumière bleue et par l’auto-bronzant, dessous blancs et piercings apparents. Des filles à la peau noire, en dessous rouges, toutes, comme si les charte graphique était stricte. Des femmes d’un certain âge, expression pénible, assises sur des tabourets hauts, jambes écartées sur leur ennui. Des dodues, des maigres, des asiatiques, des maghrébines, des blondes bébé, des décolorées, des sympathiques qui font signe et des commerciales qui dansent autour d’une barre. En 500 mètres, c’est l’évolution de la pute, jeune première demandée ou travailleuse habituée, les mêmes vitrines pourtant, espace compté, décors basique, léopard et machine à fumée. En 500 mètres, des centaines de paires d’yeux se posent sur leurs corps, les déshabillent et les baisent. En 500 mètres des centaines de cerveaux les méprisent, les envient, les détestent, les insultent et finissent par les oublier.

Ces femmes en vitrine sont anonymes. Elles travaillent sous pseudonyme. Elle sont chronométrées, il y a un menu, un début et une fin à l’échange. Ces femmes n’existent plus dès qu’elles ont fini de servir. Quand elles ont rempli leur devoir, quand elles ont fini leur passe. Ces femmes n’ont plus de noms, plus d’odeurs, plus d’âges. Elles sont comme des fantômes, on vient s’y frotter pour se faire peur, pour se sentir exister. On se fout de leur histoire, on est pas là pour ça. On repassera dans une semaine, pour voir si elles ont changé, si il y a des nouvelles et si la chaire est encore fraîche, si on a envie de les posséder. Pendant ce temps, elles attendent, perchées sur leurs talons transparents, regard vide, sourire figé, le temps est long quand on est constamment observée, jugée, soupesée, jaugée, évaluée. Comme à l’usine la pointeuse sonne, là aussi. Le même manège, la même comédie, l’entreprise du sexe n’est pas vraiment différente, y’a les gagneuses et les petits employés, des primes à la performance et le patron qui met la pression. La seule différence c’est le produit finalement, mais quand on sait vendre, on vendrait sa mère, c’est l’expression consacrée, alors pourquoi pas son cul, ses ovules et son sperme, ils appellent ça une banque de l’espoir, la prostitution c’est la banque des branques, celle où tu croises n’importe qui à n’importe quel moment, les noms ne sont jamais les mêmes, les visages et les perruques changent, comme l’impression que rien n’est permanent, comme l’orgasme du dernier client, effacé à coup de lingette anti-bactérienne sur le matelas caoutchouté.

J’ai l’obsession des putes, mais j’ai surtout l’obsession des femmes qui disparaissent, de ces visages qu’on ne retient jamais, de leurs corps qui s’effacent, qui sont échangés pour quelques minutes contre deux billets, c’est la possession qui m’agace, cette idée qu’on peut prendre, qu’on peut appartenir, ce fantasme masculin qui se répète, et les mots pour le dire, fille de rien, fille commune, être à tous sans être à soi, pourtant ils paient pour venir se perdre entre leurs cuisses, certains reviennent, chaque semaine à la même heure, visite conjugale dans la prison imaginaire du studio loué sans salle-de-bain au dernier étage d’un immeuble parisien. Je voudrais croire aux vieilles images de putes en noir et blanc, un de ces films avec Gabin, se réfugier dans l’iconographie pour échapper à la réalité des talons en plastique qui trépignent sur le pavé, le bon mac et la putain serviable, le client enamouré et la fin pleine de morale et de respect, oublier les centaines de chinoises assises devant le Monoprix de Strasbourg Saint Denis, leur teint gris maquillé en rose trop frais, et les hommes qui défilent pour les enlever, toujours plus pressés, plus avares, plus laids.

J’voudrais pas

J’voudrais pas qu’il meure maintenant, tu vois, ca m’arrange pas. Parce que la vie est déja trop compliquée sans ça, parce qu’il y a trop de souffrances, trop de non-dit, parce qu’elle restera seule et que je sais pas comment on s’organisera. Je voudrais pas qu’il meure, mais je voudrais pas qu’il reste comme ça, petit dans son lit, drap HP, c’est pas normal, y’a quelque chose qui ne percute pas, quand tu admires quelqu’un et quand tu l’écoutes parler des heures, quand tout ce qu’il dit est vrai, alors tu peux pas le voir diminué, ca marche pas, ça connecte pas, mon cerveau refuse de regarder ce qui est en train de se passer, et puis j’ai pas la force pour soutenir ceux qui vont rester, je pourrais pas, je vais être nulle, juste les regarder pleurer sans savoir quoi dire, c’est pas le moment, c’est pas maintenant.

J’voudrais pas qu’il meure parce que la mort est une salope, une connerie encore, qu’il ne mérite pas d’y passer, parce que si comme je le crois y’a quelqu’un qui dirige tout ça, j’voudrais pas qu’il laisse faire le crabe sans rien changer, j’voudrais pas qu’il le laisse partir sans avoir voyagé une dernière fois, vu ses enfants, ses petits-enfants, embrassé la tombe de ses parents, j’voudrais pas qu’il parte l’âme décue d’avoir trop peu accompli, j’voudrais pas qu’il pleure, j’voudrais pas le voir pleurer, c’est égoïste ce que je demande, je voudrais qu’il reste parce que je ne supporterai pas qu’il s’en aille sans avoir vraiment vieilli, les statistiques sont avec lui, les hommes vivent vieux, ils le disent partout à la télévision, l’espérance de vie, le mot sonne juste, on espère juste qu’il vive, sans trop demander, même avec une maladie chronique à supporter, on voudrait juste pouvoir l’entendre nous tailler encore quelques années, on sera jamais aussi bien que lui, on sera toujours les jeunes qu’il accueille à sa table le vendredi, j’voudrais qu’il soit grand, qu’il soit fort, qu’il ne craigne rien de la mort.

J’voudrais pas qu’il parte, mais souffrir ca suffit comme ca, j’voudrais qu’on prononce un non lieu, qu’on arrête tout ça, qu’on suspende en l’air les traitements et les médicaments, que ca s’arrête pour quelques années, pour quelques mois, le temps de voir venir, le temps de lui dire, de lui expliquer, faire des promesses, tenir sa main en secret quand il descend l’escalier, lui rapporter des boules au miel et le regarder manger, c’est rien tout ça, ca compte presque pas, alors faut pas nous priver, faut le laisser tranquille, ce presque vieux qui n’a rien demandé, qui n’a presque rien fait pour mériter d’être là, quelques cigarettes, la saleté de l’hérédité, l’injustice chronique de la maladie qui bouffe les cellules et qui transforme le vivant en pourri, les prières qui montent mais qui ne redescendent pas comme on voudrait, je sais que j’ai pas le droit de demander, j’ai pas assez de points dans ma banque à miracles, mais si j’pouvais, j’voudrais qu’on soit deux ans auparavant, que tout ça n’existe plus et qu’on reparte comme avant.

Caca Pipi Prout

C’est pas beau de manger ses crottes de nez. C’est pas poli. Pas élégant. Mais surtout c’est pas beau. Pas féminin. Pas bien. Pourtant les crottes de nez, c’est pas pire que le sang des règles, la cyprine, les croutes qu’on arrache sur une plaie qui sèche. C’est à nous. C’est pas beau. C’est pas bon. Mais c’est nous. Alors parfois je me demande si je suis normale, parce que rien ne me dégoute chez moi, ni mes crottes de nez, ni mon sang, ni mon urine, ni rien d’autre en fait. Quand j’essaie d’expliquer ça, on me répond que je suis sale ou bizarre. Pourtant je ne prends pas de bain de pipi. Pourtant je ne mange plus mes crottes de nez. Juste je m’en fous. Et si je me pisse dessus en riant, je change de culotte, sans vomir, ni en faire un drame. Ca ne veut pas dire que j’entretiens des relations perverses aux diverses secrétions de mes partenaires sexuels. Non, non. Ca veut juste dire que ce qui sort de mon corps me semble relativement propre. Pour faire une comparaison affreuse, je crois que je préfère plonger les deux mains dans ma propre urine que de toucher les cheveux de quelqu’un que je ne connais pas. Je ne peux pas dire que j’aime mon caca. Ca serait mentir. Mais je préfere le mien à celui de l’autre.

C’est un peu comme la première fois que tu passes un week-end chez ton mec. Et que tu te demandes comment tu vas aller aux chiottes sans mourir de honte. Enfin, pas moi. Moi je m’en fous. Je ne dois pas être normale. Je n’ai pas honte de ma miction. je comprends qu’un homme s’enferme dans les toilettes avec des bandes dessinées. Prétendre que nous sommes des robots-princesses qui ne pétons jamais, ca m’angoisse, plutôt. Y’a le bruit et l’odeur, bien sur. Mais quand bien même. Qu’est ce que ça fait au final ? Ouvre la fenêtre, monte le son, pense à autre chose. Le fait même de se mettre la pression sur une possible défécation me semble amplement plus pervers. Comme ces nanas qui se maquillent avant que leurs mecs se réveillent, qui se parfument et qui se recouchent, comme des momies, embaumées, intouchables, recoiffées. Ca va durer deux jours ton histoire, meuf, sérieusement, ca me donne envie de pleurer. Tu feras quoi pendant ton accouchement, quand tu seras violette d’énervement à force de beugler, que ton utérus sera en vrac et que trois sages-femmes observeront tes dilatations ? Tu demanderas à ton mari d’attendre sagement dans la salle des pas pressés ? Tu demanderas une lipopsucion après ta césarienne, pour ressortir fraîche et vaine, prête à assurer ton rôle de jeune maman potiche ?

Dans mon entourage très proche, il y a ce couple. Ils sont mariés depuis 45 ans. Il est malade. Cancer du colon. Anus artificiel. Quand ils se tiennent la main autour de la table le vendredi soir, quand elle passe sa main dans son dos, quand elle l’appelle à travers l’appartement pour finir les mots croisés, je suis sure qu’elle est bien loin de penser à la poche qu’elle s’apprête à changer. Elle s’en fout. Elle a accouché, elle a été opérée, elle a été malade, il était là. Maintenant c’est son tour, les nuits sans dormir, les bruits intestinaux, les diarrhées, les opérations plus dégradantes encore, et alors ? Est-ce qu’elle y pense, tu crois ? Je ne pense pas. Elle veut juste qu’il reste encore un peu là, à côté d’elle, même avec le bruit et l’odeur, même avec la peur. Elle s’en fout, elle te dit.

Dirty Dancing

La première fois que j’ai vu ce mythique film d’adolescente en chaleur, j’avais 12 ans, je passais le week-end chez ma meilleure amie Emira, et elle s’étonnait déja de mon manque de cool, elle ne comprenait pas comment j’avais pu passer à côté de ce monument cinématographique. On a réparé ça dans sa chambre de bonne, ses parents étaient gardiens, je trouvais ça génial, de vivre déja dans son propre appartement à 12 ans, j’ai compris bien après que c’était en fait loin d’être bien, la télé était en noir et blanc mais le magnétoscope crachait sans moufter la bande originale que toute connasse se doit de vénérer, Big Girls Don’t Cry, She’s like the wind, Time of my Life, tous ces airs qui déchaînent encore les fantasmes des femmes mariées de plus de 30 ans, devant leur miroir, mambo, cha-cha-cha, un jour mon Johnny viendra, dans sa Ford Mustang noire il m’emmènera.

Du haut de mes 12 ans, j’avais évidemment décrété que le père de Bébé était un énorme chien capitaliste qui ne comprenait rien à l’amour, ça tombait bien, c’était pile la période où ça se barrait en couilles avec mon paternel, quand celui qui joue à Superman par intermittence dans ta vie se transforme en connard du jour au lendemain, où plutôt quand le voile de l’enfance se lève un peu trop vite et que tu en prends plein la gueule en avance rapide, on partageait ce truc là, Emira et moi, la sensation de voir notre monde s’écrouler de manière sure et définitive, sans qu’on puisse rien y faire et rien y changer, à part peut-être se goinfrer de glaces devant des films, des soirées entières à bouffer et à rêver sur l’écran minuscule de sa télé, peinard dans sa chambre qui sentait le parfum Eau Jeune et les produits pour cheveux bouclés. Je ne prétends pas que Dirty Dancing se soit révélé à moi ce soir comme un péplum philosophique de haute volée, juste que quelques années après, les choses s’équilibrent un peu dans mon jugement, comme dans ma vie finalement.

Ouais, effectivement, le père de Bébé joue un jeu dangereux : il lui fait trop confiance, lui parle comme une adulte, contrairement à sa soeur qu’il méprise totalement, et craque dès qu’il s’aperçoit que sa fille chérie lui a menti, et qu’elle est en train de devenir une jeune femme, en clair, qu’elle a perdu sa virginité dans les bras du séduisant lower-class-guy du coin. Salaud, bouh, huons le. Mais d’un autre côté, Bébé aussi fait la grande, elle se sent pousser des ailes et fréquente les rockeurs à bananes plates du staff, sauve le monde en mentant à Daddy, gagne ses gradins de jeune loubarde du club de vacances en grattant Papa. Les torts sont partagés, entre Frances qui voudrait grandir sans avoir à souffrir, et son père qui refuse de comprendre qu’elle ne restera pas toute sa vie la gamine aux boucles blondes qu’il adulait. Et puis faire le mur, c’est très mal. Sous la pluie en plus. Elle aurait pu attraper la mort, sans déconner. Et puis le discours pseudo-socialiste à l’eau de rose de Bébé, la lutte des classes n’existe pas, on a tous le droit à la parole, les licornes sont des chevaux comme les autres et les domestiques sont nos amis, vingt ans après, j’ai envie de lui enfoncer la permanente dans la cuvette des toilettes. Pour qui elle se prend, la môme gâtée, pour tenir des discours d’émancipation et d’éducation à ceux qui triment pendant qu’elle bronze ? Elle pue la manif’, le kéfié et Marx mal digéré, cette petite, surtout si on s’amuse à noter les allusions à la guerre du Vietnam posées en filigrane.

Je m’en veux presque d’avoir revu Dirty Dancing. Comme si j’avais abimé un truc un peu sacré. Je n’ai même pas pleuré quand Johnny s’en va. Tout se casse la gueule, y’a plus de saisons, j’vous jure. Juste j’ai repassé deux fois la scène où ils s’embrassent pour la toute première fois, dans la cabine :

Bébé : “Danse avec moi”

Johnny : “maintenant ?”

Bébé : “OUI MAINTENANT, PREND MOI CONTRE LE MUR EN CHANTANT DU DICK RIVERS JE N’EN PEUX PLUS DE FROTTER MON PUBIS CONTRE TA CUISSE, FAIS QUELQUE CHOSE, COWBOY DE MES DEUX, SINON JE DIS A MON PÈRE QUE TU AS REFILE DES MORBACS A MA SŒUR”

Les jours d’avant

C’est sans doute lorsque quelque chose de très important, de très significatif, de très lourd arrive que l’on se rend compte de ce que l’on offre à l’autre de soi. Il s’est passé quelque chose d’important dans ma vie, ces jours-ci. Et pourtant, je ne peux pas l’écrire, je ne peux pas en parler. Je me rends compte que je suis bien plus pudique que ce que je peux laisser croire ici. On choisit toujours l’angle sous lequel se présenter, même inconsciemment, même sans y penser. Il y a des choses dont je ne parle pas, ni ici, ni dans la vraie vie. Parce que les mots ne veulent rien dire tant qu’on ne sait pas ce qu’on veut en faire. Parce qu’ils sont importants et qu’ils sont trop rares, trop précieux, pour être jetés sur un écran, juste pour se débarrasser. Il existe des silences qui m’habitent tout entier, il y a des gouffres de blanc, de bruits sourds, aussi signifiants que les argumentations les plus développées. Alors je ne parlerai pas, je n’écrirai pas. Parce que je n’arrive pas à penser. Parce que je me refuse à le faire. Parce qu’il me faut du silence, pour digérer, pour évacuer. Pour faire taire les cris dans ma tête, pour arriver à faire le tri, à organiser, à gérer. Il y a le silence donc, et les bras de ceux qui ont assez d’empathie pour m’y accueillir sans poser de questions, qui ne me pressent pas, qui me laissent être, sans m’imposer de structures pré-définies de relations ou d’amitiés.

J’ai l’impression d’avoir passé la semaine précédant mon anniversaire à hurler en silence. La bouche ouverte, la gorge écartelée, la langue trop sèche, les lèvres en sang, hurler, crier, sans faire de bruits, juste en silence, pour évacuer, la peur et le chagrin, faire disparaître les monstres dans l’armoire et les démons dans ma tête. J’attendais que mon anniversaire, cette période de plus ou moins 24 heures se finisse. Parce qu’enfin je pourrai repartir. Disparaître encore. Ne plus être. Ne plus avoir à répondre aux sollicitations aimables. Ne plus faire semblant. Tomber le masque qui s’incarne dans mes chairs, repartir me cacher. Mais je ne peux plus, la vie passe, la vie s’en va, que tu décides d’en faire partie ou pas. Les saisons continuent de changer, on meurt et puis on naît, je ne peux pas me contenter de regarder les lumières défiler au loin derrière la fenêtre du train, comme dans les compartiments anciens, sièges de cuir brun, porte coulissante et contrôleur discret, juste le front collé à la vitre et les villes au loin qui s’allument et disparaissent trop vite, fumer une clope entre deux voitures, les pieds sur l’accordéon gondolé du wagon, l’air de la nuit qui t’enveloppe, plus dense, plus noir, écraser le mégot sous son pied et repartir se caler, encore des paysages sans intérêt, ni beaux ni intéressants, juste l’existence de milliers d’autres qui se lèvent et se couchent, toi qui les regarde, sans rien penser, sans rien dire, les yeux dans le vide jusqu’à la prochaine gare, surtout descendre avant la fin.

La fatigue, pas celle du corps, celle des doigts qui glissent trop rapides sur le clavier parce qu’ils veulent en finir, celle du cerveau qui n’en peut plus de procéder cent fois aux traitements des mêmes informations, des mêmes données, qui refuse à présent de s’activer pour autre chose que pour le nécessaire absolu, ne pas se faire écraser en traversant la rue, respirer par le nez, uriner et se coucher, autruche en carton, position de sécurité en avion, la tête entre les pieds, ceinture bien attachée, pas le choix, quelqu’un là-haut conduit pour toi.

Cauet, puis-je te vomir dans la bouche ?

Hier soir, je suis en voiture, et je tombe sur l’émission de Cauet sur NRJ. Je pensais que ce monstre du PAF français était plutôt à la télévision, manque de bol, il envahit même nos ondes, à m’en faire regretter Max et les poèmes de Gégé. Que dire sur Cauet ? Que c’est certainement un business man de première classe, puisqu’il a compris qu’en faisant de la merde aux heures de grande écoute, il pourrait faire fructifier sa petite entreprise d’abaissement général de l’intelligence des français. Mon opinion est donc partiale, je le hais d’avance, je continue juste à écouter parce qu’il reçoit les danseuses du show New Burlesque, qui de passage à Paris, font de son émission un passage en promo obligé. On peut critiquer la tendance neo-burlesque qui se préoccupe plus du nombre de paillettes sur son téton que du message qu’il représente, mais je trouve que ces nanas ont su monter quelque chose de plutôt chouette, de différent, dans l’esprit direct de “Tournée”. Bref, ca m’intéresse.

Cauet, 1m80 de haut, tout en calvitie naissante et en mèche savamment rabattue sur le côté pour se laisser l’espoir d’une capillarité, s’empresse de faire remarquer que les danseuses ne sont pas mannequins, qu’elles ont toutes des gros culs, et que le show devrait être vendu avec une incitation à la diététique. Il décrète d’ailleurs que ce spectacle est d’intérêt public pour les enfants, puisque la vision horrible de ces femmes se déshabillant les dégoutera à jamais du moindre aliment hyper-calorique. C’est tout ce qu’il retient de cette troupe de performers. Il ne parlera pas un seul instant de l’esprit du Burlesque, du côté punk de la représentation, de l’aspect anti-conformiste du projet. Le picard le plus con de sa région confirme mes suspicions : pourquoi perdre une seule seconde à expliquer ce qu’il se passe vraiment sous ses yeux, pourquoi creuser, même une minute, un sujet ? Son émission est une auto-promotion permanente : les invités s’adaptent au moulin à merde Cauet, d’ailleurs la troupe est anglophone et ne comprend rien à ce qu’il dit. C’est la bétise crasse du mec un peu laid qui a lutté toute sa vie pour briller, et qui une fois parvenu préfère chier à la gueule du monde pour conforter sa place de premier roquet. C’est le trauma de psychologie de comptoir du mec qu’on choisit toujours en dernier pendant les cours de sport, qui passant contremaitre à l’usine, décide de se venger de tout ceux qui l’ont emmerdé. C’est le melon complet, la forme la plus laide de divertissement, l’annihilation complète de toute possibilité d’éducation ou de réflexion. Il aurait suffit de 35 secondes d’antenne pour expliquer ce qu’est le Burlesque. Mais pas chez Cauet. C’est tellement plus politiquement correct, ca rapporte tellement plus, de rester au premier degrès. Huons les gros culs. Huons les nains. Tuons les handicapés. Normal. Au Royaume de Cauet, seuls les hommes bedonnants ont le pouvoir de décision, retour direct aux bonne valeurs de la France rouge-qui-tâche, faudrait pas choquer l’auditoire.

Je suis vieille, j’aurai 30 ans vendredi. Enfin je ne suis pas vieille, plutôt, je vieillis. La meilleure émission de radio que j’ai jamais écouté, à heure égale et à format comparable, à presque 20 ans d’âge. J’écoutais Supernana sur Skyrock, quand ils passaient encore du Rock, ca parlait cul, ca parlait différent, ca envoyait chier les gens, y’avait des personnages, des invités inconnus, des sons nouveaux, on avait la sensation d’entrer dans quelque chose de vraiment intéressant, dans l’univers de cette nana qui nous tenait la grappe trois heures par jour sans relâche, sa voix grave et son physique de camionneuse, ses déguisements pourris et sa grande gueule. Elle a été licenciée pour avoir chié à la gueule du CSA, elle est même morte maintenant, mais je pense qu’elle hurle six pieds sous terre d’entendre ces merdes, elle qui a façonné sans le savoir mon goût pour les chansons de merde, qui m’a donné envie de l’ouvrir quand on me marchait sur les pieds, c’était Supernana, c’était GNIAGNIAGNIA, et je suis une vieille conne, bonsoir.

Boboland

Aujourd’hui j’avais rendez-vous à Boboland, ces quelques morceaux d’arrondissements où tu croises plus de mecs barbus que dans un meeting de bikers, les meufs sont moches et bonnes, affublées de lunettes grotesques et de bonnets poilus, ca roule en vélo hollandais, ca fume des roulées ou des light importées, c’est tellement cool et classieux d’investir des quartiers ouvriers pour se sentir exister, je les entends déja se pâmer sur l’authenticité de ce petit atelier de soudeur délicieux, découvert par hasard au fond d’une cour, ils en feront un loft pour une collocation branchée, on y écoutera Minitel Rose en tricotant des slogans engagés, on oubliera avec élégance les occupants de lieux sur dix générations qui nous vomissent dessus, ils n’ont pas été à New York, ils ne connaissent pas le rêve ultime du hipster français, riche mais dégueulasse, cultivé mais obtu, puant mais parfumé.

Y’a surtout cette nana, qui m’a roulé sur les pieds pendant que je traversais au passage clouté quelque part en bordure du Sentier, sa besace en cuir vintage, sa marinière et son air d’oie sotte, je lui aurai fort volontiers fait bouffer le portable hors de prix qu’elle se collait à l’oreille pour papoter, j’aurai aimé lui arracher ses lunettes oversized et trépigner sur les verres comme un personnage de dessin animé, cette connasse so-very-chic a oublié de s’excuser, alors comme un réflexe, j’ai chopé le panier de sa bicyclette d’un coup sec, et je l’ai laissé se vautrer, sous mes yeux amusés, au ralenti, sans comprendre ce qui se passait, toujours agrippée à son téléphone, l’écharpe en alpaga dégoulinant entre les rayons de la roue avant, elle n’a pas eu mal, elle s’est relevée, je ne suis pas si vilaine, j’étais juste énervée. J’aurai pu me contenter d’une injure, d’un mot un peu naze qu’on hurle vite fait, mais j’avais envie de crever sa bulle, de la faire sortir de son parfait petit monde de bourgeoise bohème, elle a peut être un peu écorché son jean, son Libé s’est éparpillé sur le macadam mouillé, mais je le jure, monsieur le juge, c’était pas fait exprès.

Elle a fait quelques mètres avant de remonter sur son engin, ajusté ses lunettes, mis fin à son appel, et puis l’air de rien, toujours l’air sotte pourtant, sans se retourner, ni m’insulter, ni me foutre son poing dans le nez, elle est repartie sur son chemin.

Faut dire que j’avais rendez-vous, alors j’avais mis des chaussures de filles, des ballerines avec un chat japonais dessus, tu vois le genre, la fille de presque 30 ans qui a pour souliers du dimanche les restes de son adolescence, j’avais mis mes grosses baskets qui brillent dans mon grand sac, elles refoulaient tranquillement à l’aise entre mon bouquin et mon briquet. J’aime moyen qu’on me roule sur la chatte, au sens propre comme au figuré, et puis elle tombait mal, cette dinde au jean retroussé, c’est la grève, je pouvais pas rentrer dans ma Banlieue en Velib’, alors elle a payé, pour mon énervement et puis pour la jalousie, de ne plus être à la frange de la hype, mais bien en bordure du commun, c’est tout le paradoxe de l’ex-parisienne repentie.