L’appétit vient en mangeant

C’est ce qu’on dit. Assiette pleine, couverts, un, deux, trois, partez. Pour le cul c’est plus compliqué. T’as beau avoir une bite saillante à proximité, un homme délicieux et poilu allongé juste à côté, parfois la mécanique des fluides refuse de s’enclencher. Alors tu fais un effort, tu sens qu’il y a une demande, tu branles mollement, tu suces du bout des lèvres, tu fermes les yeux, tu penses à autre chose, t’essaies d’y mettre du coeur, pour qu’il vienne, pour qu’on passe à autre chose. Tu sens tes bras qui commencent à trembler, position de merde, la crampe ne va pas tarder, tu changes de coude pour d’appuyer, t’es pas bien, t’as pas envie, tu soupires et tu lèves les yeux, il a compris. Rien à voir avec les sentiments ou le plaisir qu’il soit là, rien à voir avec l’attirance, juste pas ce soir, tu ne sais pas pourquoi, la baisse totale de désir, ca ne s’explique pas, surtout pas, si tu commences à parler, t’es sure de trébucher, maladroite sur les adjectifs comme sur les verbes, ca pourrait mal finir cette histoire de passage à vide, sur un malentendu tu peux le vexer, alors endors toi, demain matin, ca reviendra.

Je lis partout que la baisse de désir est un indice important de l’échec prévisible d’un couple. Pour moi, il n’y a pas vraiment d’équation valable entre désir et amour. Le sexe est important, vital presque, c’est sur. Mais son absence ne me fait pas souffrir, je n’aime pas moins, je ne désire pas moins, je ne me projette pas moins sans pénétration automatique. Mon corps réclame parfois de longues plages de vide. Je ne ricane pas des hommes qui n’arrivent pas à bander, cela m’arrive aussi. Les organes caverneux se déconnectent du reste, et c’est tant mieux. J’ai de milliers d’envies stockées, et des milliers de jours et de nuits pour les réaliser, j’ai le temps d’attendre, de me laisser le temps. C’est peut-être le luxe ultime du couple équilibré, d’arriver à réaliser que le manque de désir de l’autre ne nous met pas en danger, ne nous range pas directement dans la case inbaisable, et qu’il existe d’autres moyens de se frotter, de s’exciter, de se donner, que d’écarter les cuisses en ne pensant à rien d’autre qu’à la fin. Je n’ai pas besoin de la routine rassurante de la baise du samedi soir devant la télévision allumée, je ne m’inquiète pas de nos rapports intimes sans fluides échangés. Notre vitesse de croisière s’adapte à nos vies, à nos besoins, à nos emmerdes aussi.

Peut-être que je suis vieille. Ou relativement vieille. Il y a dix ans, je pensais qu’une bonne baise dynamique était le remède parfait à toutes les angoisses. Je soutenais cette théorie par de multiples explications scientifiques foireuses liées au endorphines qu’on libère, à l’orgasme salvateur, vraiment, j’y croyais. Le résultat était souvent décevant, le partenaire peu coopératif, et le souci toujours présent une fois la capote jetée. On efface pas un découvert béant grâce à une sodomie décapante, il ne faut pas croire tout ce qu’on voit à la télé. L’idée de remplacer chaque moment de tristesse et de vide par une bite est tentante, je soupçonne mes amies les plus cochonnes de n’être au final que de grandes angoissées. Peut-être aussi que je suis devenue chiante, ou simplement plus posée. Je me surprends à dire « tu verras quand tu seras grand », je pense que je suis définitivement passée de l’autre côté, là où tu te rends compte que l’urgence et la passion ne font pas tourner le monde à elles seules, et qu’on gagne souvent à faire la vaisselle avant d’aller se coucher.