La Voisine 3/3

La Voisine 1

La Voisine 2

J’ai jamais pu la voir. Déjà, à l’école maternelle, j’avais envie de la frapper, de traîner sa tête contre la vitre et de lui arracher les cheveux. J’étais pas un gamin facile. J’ai reçu assez de claques et de coups de pieds au cul pour dire que mes parents ont tout essayé pour me calmer. Ca ne fonctionnait pas. On a fait toute notre scolarité ensemble, c’est l’avantage des petites villes. Je la voyais arriver avec sa mère le matin, à travers la cours de récréation, et je me demandais quelle connerie j’allais pouvoir inventer, comment j’allais pouvoir l’embêter. Mon père disait que c’était de l’amour en fait, que j’osais pas lui dire, que j’étais trop con, comme un mec. Mais c’est pas de l’amour, ce que je ressens pour elle, c’est différent. L’amour je l’ai, avec ma femme, avec les petits, l’amour ca ronronne, c’est tranquille, ca va pas chercher loin mais c’est plaisant, on se pose pas de questions, on se marie et on regarde devant. Avec l’autre, c’est de la rage, c’est un truc à l’intérieur de moi qui se réveille quand je la vois. J’ai mis des limaces dans son cartables, je lui ai coupé les sourcils, j’ai brûlé ses nattes en biologie, je l’ai forcée à bouffer du sable devant toute l’école, j’ai tordu ses doigts et j’ai cassé ses stylos, elle a pleuré, elle a demandé pardon, elle a tout raconté aux maîtres et aux maîtresses, ca ne changeait rien. On m’a menacé de pensionnant, de maison de correction, d’école militaire, de m’enfermer dans un placard, de me priver de nourriture, je laissais passer quelques jours et je recommençais, plus fort, plus dur, jusqu’à ce qu’elle ne dise plus rien, jusqu’à ce qu’elle se recroqueville en boule sur le carrelage rose des toilettes des grands, la tête baissée, les yeux vides, les tibias en sang.

Y’avait bien les grandes vacances qui venaient nous séparer à chaque fois, elle partait chez ses grands-parents, j’étais expédié chez les miens, silence radio, elle devait croire que je l’oubliais, la garce, mais je pensais à elle, même à onze ans, c’est là que je lui ai envoyé ma première lettre, une lettre d’enfant, un peu niaise, un peu tarte, « j’ai hâte de te revoir au collége », je lui disais, c’est mon grand-père qui est parti la poster, elle n’a pas répondu, elle a du comprendre. Elle a grandi, cet été là, ses vêtements sont devenus trop petits d’un coup, son pantalon battait sa cheville, ca lui donnait l’air un peu débile, j’ai même pas eu besoin de la forcer, c’est elle qui est venue vers moi, un mardi matin, elle s’est adossée sur le muret à côté de moi, sans rien dire, l’air résigné, j’avais gagné. Je peux pas dire qu’on soit devenus amis, c’est bien plus compliqué, elle a toujours eu peur de moi, j’ai toujours aimé lui faire peur, la cogner et l’utiliser, mais comme autour d’elle c’était n’importe quoi, elle se prêtait au jeu, et je pense que parfois, elle a aimé ca. Elle aurait pu partir, c’est ce que je me dis encore, quand je la vois qui rentre du boulot juste en face de chez moi, j’ai pas de pouvoirs magiques, elle peut s’enfuir si elle le veut vraiment, à quoi ca sert de chialer, à quoi ca sert de me demander d’arrêter, si elle voulait vraiment, elle se casserait.

C’est pratique d’avoir une copine prête à tout, c’est utile. Ca m’a évité de me prendre la tête pour perdre ma virginité ou pour essayer des trucs, même les plus osés. Et puis ca fait monnaie d’échange, quand t’es dans la merde et que tu peux pas payer ton essence, quand t’as besoin de quelqu’un pour faire le ménage avant que les parents rentrent, ou que t’as juste envie de baiser à 4h du matin, j’avais qu’un mot à dire, une baffe à donner, et c’était fait. Le problème, c’est que je l’ai jamais trouvée belle, vraiment attirante. Juste pratique. C’est comme si elle avait pas grandi, toujours habillée comme pour aller à la messe ou chez le toubib, jamais vraiment bien maquillée, toujours trop ou pas assez, toujours cet air gauche, à moitié maladroite, à moitié absente, à moitié chiante. J’ai tout essayé, je l’ai déguisée, je lui ai fait acheter des vêtements, je lui ai coupé les cheveux, je l’ai épilée, j’arrête pas de lui dire de faire des efforts, de se donner du mal, y’a rien qui marche, elle est toujours pas à mon goût, toujours pas celle que je voudrais. Je lui dis pourtant, c’est pas comme ca qu’elle va se trouver un mari, mais ca lui fait rien, elle chiale et elle dit rien.

Moi j’ai trouvé une femme, une belle, une gentille, elle bossait dans les bureaux d’à côté, ca a pas loupé. On a fait un beau mariage, avec deux cents invités, dans un moulin, buffet campagnard et orchestre, j’avais mis l’autre dans un coin, à la table des célibataires, je la regardais se trémousser, toute gênée, incapable de dire par qui elle était invitée, engoncée dans la robe trop décolletée choisie par mes soins, j’ai passé une super soirée, je me sentais comblé. Quand ma femme a cherché à acheter une maison et qu’elle m’a emmené choisir, j’y croyais pas, c’était mieux que dans les films, la baraque d’en face, le vis à vis parfait, y’avait plus qu’à y foutre une véranda pour que je puisse la contrôler, pour que je puisse tout vérifier, comment elle s’habille et à quelle heure elle sort, avec qui elle rentre et à quelle heure elle dort. J’ai inventé un changement d’horaires au bureau, je pars un peu plus tôt, je rentre un peu plus tard, je passe par le chemin communal juste derrière chez elle, je saute la haie et je rentre par la cuisine, je la secoue dans son lit et je fais mon affaire, elle me prépare un café et je vais travailler. En rentrant c’est pareil, je lui fais sa fête, le seul problème c’est la vieille qui n’arrête pas de gueuler, va falloir qu’on s’en occupe, ca commence à me miner.

Avant que son père passe l’arme à gauche, c’était plus compliqué, on se voyait dans ma voiture, à la sortie du travail, sur les parkings, c’était plus possible, on a plus l’âge pour ce genre de conneries. Alors quand le vieux est parti, je lui ai dit d’envoyer sa mère en maison, quelque part au soleil, comme tous ces vieux trop bronzés qu’on voit à la télé. Seulement ca coûte cher, et puis elle voulait pas partir, la vieille bique, elle voulait rester dans sa maison, dans ses meubles, elle gueulait ca toute la journée. Elle voulait tout raconter à ma femme, à mon patron, elle était hystérique, elle commençait vraiment à me gonfler. Alors un matin, je suis rentrée dans sa chambre qui pue la vieillesse et l’eau de cologne passée, j’ai fermé les volets, tout doucement, pour ne pas la réveiller, et puis j’ai fermé la porte à clé. J’ai dit à l’autre d’aller me chercher ce qu’il fallait dans le coffre de sa voiture, on pourrait endormir une armée avec ce qu’elle trimballe comme échantillons de médicaments, j’ai écrasé six  Stillnox dans un café, et j’ai envoyé la conne lui porter son petit déjeuner, comme une bonne fille gentille et attentionnée. Depuis, j’ai la clé de la chambre de la vieille sur mon trousseau, on la réveille pour la faire bouffer et pour la gaver, mais les médicaments sont puissants, elle délire dans son sommeil, elle hurle, j’ai été obligé de l’attacher. Et puis y’a les couches, l’odeur, les voisins qui voudraient avoir des nouvelles de la vieille, c’est plus comme avant, les gens jouent aux détéctives, ils voudraient tout savoir, c’est pénible.

Ca meurt vite, une vieille. Ca prend quelques minutes, pas plus. C’est plus fort que ca en a l’air. Le corps bouge, des grands spasmes, faut appuyer à deux personnes sur l’oreiller pour qu’il rester en place, les mains se tordent, de l’urine se met à couler entre ses jambes, c’est dégueulasse. Et puis quand les tremblements s’arrêtent, t’as peur d’enlever l’oreiller, t’as peur qu’elle feinte, qu’elle soit pas tout à fait crevée. Alors t’enfonce tes coudes dans les plumes, tu mets tout ton poids sur sa face, tu sens son nez qui se brise, elle ne crie pas, c’est bon, c’est torché.

6 réflexions sur « La Voisine 3/3 »

  1. Je ne m’attendais pas du tout à ce genre de dernier chapitre. C’est vraiment une très bonne nouvelle. Je relirai tout d’une traite d’ici quelques temps pour savoir ce que ça fait.

    P.S. : Stilnox ne prend qu’un L.

  2. OMG J’ai lu les trois d’un coup puisque je viens de débarquer sur ton blog !!!!

    Quelle histoire !!!
    J’en prendrai bien un quatrième chapitre.

    En tout cas tu écris très bien.

    Continues…

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