Jurassic Park

Sur le blog du Reilly, il parle de Jurrasic Park. Je ne vais pas débattre de la qualité intrinsèque de ce chef d’oeuvre du genre, d’abord parce que mes connaissances en cinéma sont un peu limitée,  ensuite parce que je n’ai jamais vu la fin de ce film. J’ai vu les quarante cinq premières minutes au cinéma, c’était en 1993, j’avais donc 13 ans ou un peu moins, c’était au Gaumont de la place de la Convention, un dimanche, pendant des petites vacances que je passais chez mon père. Ma mère habitait à Paris, moi aussi donc, mon père en banlieue lointaine et chiante, desservie par les trains en métal historique du RER C. Comme souvent, mon géniteur avait décidé de travailler, et j’étais donc libre la plupart du temps, sans aucune supervision. Quelques tunes en poche, et Paris était à moi, j’avais l’impression d’être grande, très grande, presque adulte, c’était grisant, je me souviens, y’avait pas Internet pour prévoir quand passait le prochain train, tu partais au hasard, ton petit dépliant pourri pour seul bagage, pas de téléphone portable, comment on faisait, bordel.

Je devais avoir rendez-vous vers 15H avec mes potes, mais dans ma grande et précoce angoisse, j’avais du me barrer après le déjeuner, histoire d’être large, histoire de ne rien manquer de ce dimanche avec les potes, ce qui m’avait royalement permis d’atteindre le 15eme vers 14h, une heure à tuer, quand t’as 13 ans et pas une tune, ouais, c’est pas génial en fait, c’est même assez flippant, tu te poses sur un banc, tu grilles des clopes que tu ne fumes pas, de toutes façons tu ne fumes pas vraiment, tu fais un peu semblant, je sais plus si j’avais un walkman ou un journal, mais en tout cas je me souviens que le temps était long, qu’il pleuvait à moitié, et que mon unique challenge était de savoir si j’allais oser rentrer dans un café et commander un chocolat, et si cette première partie de mission était réussie, si il allait me rester assez de sous pour aller au cinéma. J’étais pas bien dégourdie, quand je vois les petits de maintenant, en ray-ban en terrasse, le plié Longchamps au bras, j’me dis que vraiment, j’étais bien gourde, ou alors on était tous lourds, j’en sais rien. Au final, je suis montée dans un bus et j’ai fait quelques allers-retours, au moins il faisait chaud, y’avait du monde, j’étais assise, et ma carte orange 1-2 était largement amortie, grosse ambiance, j’te dis.

Retour sur zone à 15h, pas de potes à l’horizon, la séance c’est bientôt, l’après-midi commence à se gâter vraiment, ils sont tous en retard, déposés par leurs parents excédés d’avoir à interrompre leur sieste pour conduire l’adolescent  survolté, ils sont tous à l’aise, frais, moi je commence à fatiguer, on vient de rater le film, je sens que je vais devoir rentrer, tout ca commence à me saouler, on part se poser au Mc Do, 2 petites frites, 6 petits cocas, tu vois le genre, de vrais rats, on décide de choper Jurassic Park dans le ciné d’à côté, séance de 17 heures, presque deux heures à tuer. On discute, bataille de paille, y’en a une qui fait ses devoirs, et puis on descend à la cabine téléphonique pour prévenir qu’on change d’horaire pour la sortie, moi j’appelle pas, parce qu’il n’y a personne à la maison, et puis que je serais de toutes façons rentrée avant lui. Mais je suis pas triste, sur le coup, maintenant un petit peu peut-être, mais à l’époque je trouvais ça dingue, de pouvoir disparaître un après-midi complet sans que personne ne me fasse chier.

C’est l’heure du film, on va acheter nos places, une petite queue, ca y est, on est dans la salle, à l’aise, enfin, les pubs, les bandes annonces, et puis le film. Seulement j’arrive pas à penser à autre chose qu’à la nuit qui tombe. J’aime pas prendre le train la nuit, ca m’angoisse, et puis une fois descendue, j’ai une petite trotte jusqu’à la maison, y’a pas grand monde le soir, je me sens pas rassurée, et puis déjà en rentrant dans le ciné, la nuit commençait à tomber. J’y pense tellement que je ne regarde pas le film, j’oublie le pop corn, je déchire mon ticket en petites lamelles fines, et puis à un moment, je me barre, je décide de me casser, j’ai trop peur de la nuit, du noir, du RER, si je ne rentre pas maintenant, c’est sur il va m’arriver quelque chose. C’est tellement con, avec le recul,  ma mère était à 2 kilomètres, elle serait venue me chercher, elle m’aurait raccompagnée, on se serait arrangé, mais j’étais tellement dans mon trip de louve solitaire adolescente débile, dans mon autisme de fille de divorcés, qu’il m’était impossible d’appeller au secours, de déclarer forfait.

J’ai pas dit au revoir, j’ai couru penchée comme une naine jusqu’à la sortie de secours, dans le noir, comme une tarée. J’ai pris le métro, la tête qui tournait, Javel, quai du RER, attente interminable du dimanche, lampadaires jaunes, wagons qui puent la pisse, sièges en skaï troués, 45 minutes plus tard, j’ai repris ma course, sans respirer, jusqu’à la maison de mon père, la clé sous la pierre, la serrure et le canapé. Personne bien sur. J’ai allumé la télé.

Une réflexion sur « Jurassic Park »

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