Février

La playlist de Février est ici sur Spotify

Pour ceux qui n’ont pas accés à Spotify, voilà les titres :

Nena – 99 Luftballons
The Cure – A Letter To Elise
Archive – Fuck U – Unplugged
Ghinzu – Jet Sex
Smashing Pumpkins – Crestfallen
Siouxsie And The Banshees – Israel
Radiohead – Idioteque
Beck – Devil’s Haircut
Bloc Party – Better Than Heaven
Cockney Rejects – Oi! Oi! Oi!
Les Amis D’ta Femme – Marie-odile
Skids – The Saints Are Coming
The Offspring – Self Esteem
Rage Against The Machine – Take The Power Back
A Static Lullaby – Toxic
Dead Can Dance – The Host Of Seraphim
Jack Lee – Llorando

Petite menteuse

Odile est une menteuse. Elle a ça dans le sang, dans la tête, ca ne s’explique pas, pour vivre, elle ment, elle affabule, elle raconte, elle enjolive, elle s’arrange avec la réalité. Je la croise pour la première fois sur Internet en 2007, sur un forum de filles rondes. Elle dit avoir 16 ans. Elle se plaint, beaucoup, elle est en rémission d’une grave maladie, elle est agressée par ses camarades de collége à cause de sa religion, elle dit être juive, elle dit vouloir apprendre, vouloir comprendre, comme une bleue, je me laisse avoir, je passe des heures sur MSN avec elle, à la réconforter, à lui expliquer, à la diriger vers des sites, vers des personnes. J’apprends que je ne suis pas la seule à jouer ce rôle de grande soeur virtuelle, elle est soutenue par toute une communauté d’anonymes, en rang serré derrière elle, tant elle sait se montrer touchante. Je me prends à pester contre ses parents démissionnaires, contre les institutions qui l’oublient, et puis peu à peu, quelque chose se trouble, je commence à me poser des questions. Des questions justement, je trouve que Yaelle en pose trop. Oui, pour moi elle s’appelle Yaelle, pas encore Odile, pas encore Salomé.

Comment on écrit mon nom en hébreux ? Et comment on fait pour aller en Israël ? Et comment on fait pour aller dans une école juive ? Et tu peux m’aider ? Et tu connais des sites pour avoir des papiers ? Oui, j’ai porté plainte, mais on a pas voulu me donner de déposition, j’ai rien signé. Et puis j’ai rechuté. Je vais à l’hôpital. Mais je suis championne de ski, j’ai des sponsors qui veulent parier sur moi, il faut que je guérisse vite, tu comprends, c’est important. Et si je viens à Paris, tu peux m’emmener acheter des souvenirs de Jérusalem ? C’est pour ma professeur d’hébreux, je voudrais lui faire un cadeau. Je me suis cassée le bras, tu crois que je choisis quoi comme couleur de plâtre, je crois que je vais avoir le choix. Je me suis encore faites agressée, j’en pleure parce que mes grands parents ont été déportés, tu vois, je me rends compte de ce que ca fait, d’être détesté pour sa religion, j’ai peur maintenant, je suis toute seule, aide moi. Ca va mieux maintenant je vais partir en Internat juif. Je peux pas te dire le nom de l’école, c’est un secret. Finalement je n’y vais pas, mes parents n’ont pas renvoyé les papiers. Et puis je dois me soigner.

J’en parle autour de moi, tellement tout me semble énorme. Bien sur, on se fout de ma gueule. Je me fais manipuler par une petite mythomane, une petite fille perdue en manque d’affection. Faut arrêter de croire tout ce qu’on te raconte sur Internet. Je sais bien, je sais. Seulement elle sait y faire, elle se raconte si bien, entre ses blogs et ses messages, ses photos et ses sms. Je coupe le cordon, j’essaie de ne plus y penser. Elle a des parents après tout, je ne suis pas à ma place, pourquoi j’essaierai de la sauver ? Je n’y pense plus. Et puis un jour, un coup de fil. Une connaissance du Net, une fille de ce forum pour filles rondes, me demande d’intervenir, de passer un coup de fil aux parents de Yaelle, dont elle a démonté les supercheries. Elle pense qu’il est de notre devoir de les prévenir. Après tout, elle est mineure, elle s’attire des tas d’ennuis, et il n’y a pas de fumée sans feu, elle a besoin qu’on s’occupe d’elle, vite. Elle a déjà appelé, c’est à mon tour. Maman occupe un poste important, j’arrive à la joindre à son domicile, je lui explique, que sa fille Yaelle s’amuse à mentir, qu’elle cherche le soutien d’inconnus, qu’elle s’invente une leucémie, qu’elle implore l’aide d’autres internautes, qu’il faut intervenir. La femme que j’ai au bout du fil met du temps à réagir. Je ne pense pas qu’elle comprenne vraiment ce que je suis en train de lui dire. Sa fille ne s’appelle pas Yaelle. Elle a bien une adolescente à la maison, Odile, qui n’est ni malade, ni juive, ni championne de ski, ni agressée, ni déscolarisée. J’ai l’impression qu’elle ne me croit pas, le monde tourne à l’envers, je lui débite mon curriculum vitae en espérant la convaincre de mon honnêteté, je lui laisse mon nom et mon numéro de téléphone, je raccroche mal à l’aise, avec l’impression que cette mère se fout un peu de ce que je viens de lui raconter, que mon coup de fil ne va rien changer. Mais surtout avec la sensation qu’Odile est une môme un peu paumée, et que personne ne va vraiment l’aider.

Presque 4 ans passent. J’oublie Yaelle-Odile. Jusqu’à ce qu’un message Twitter vienne réveiller tout ça. Je découvre Salomé-Odile. La petite menteuse est passée dans le rang des professionelles. Elle commence par s’inventer une soeur jumelle, malade elle aussi. Elle tient un blog déchirant, racontant les opérations, les chimiothérapies, les amours et les peines d’une enfant de 16 ans. Noa, la soeur imaginaire, son double, qu’elle fera mourir en 2009. En deux ans, elle aura eu le temps de s’entourer d’une foule d’internautes prêts à se sacrifier pour cet hologramme, à courir des marathons au nom de la guérison de Noa, à créer des groupes de prières, à effectuer des dons à l’association Laurette Fugain. Elle invente autour de sa soeur fantôme des amis imaginaires, des petits amis fictifs, qu’elle fait tous participer par écrit sur le blog, mais aussi par SMS dans les moments les plus critiques. Quand Noa s’efface, elle pousse le vice jusqu’à orchestrer les fiançailles fantasmées de celle ci sur son lit de mort, joignant le faire part à l’avis de décès par courrier aux soutiens les plus proches. Elle choisit avec soin ceux qui recevront cette lettre : ce sont principalement des familles de vrais malades, qui se battent réellement contre la mort.

Salomé-Yaelle-Odile a tué Noa. Que faire alors pour continuer à être le centre de l’attention qu’elle recevait ? Comment faire pour qu’on s’occupe d’elle ? Elle reprend un blog « Les tribulations d’une skieuse », dans laquelle elle raconte la vie sans sa soeur, et sa vie hallucinée, entre compétitions de ski à haut niveau et études prestigieuses. Mensonges, encore. Cela ne suffit pas. Alors elle tombe malade, elle aussi. Elle n’épargnera rien à ses lecteurs : photos au ketchup et à la bétadine de ses fausses blessures, faux papiers médicaux photoshopés, plâtres DIY, cateters scotchés. Elle organise autour d’elle une chaîne de solidarité incroyable, demandant à ses amis virtuels voyageurs de se prendre en photo avec un citron, qui devient le symbole de sa lutte acharnée, comme son ours en peluche Cookie, qu’elle place de manière adroite sur chacune de ses photos, il cache les points d’entrée des aiguilles et les cicatrices, et permet de semer le doute dans l’esprit des infirmières et du personnel médical qui suivent son blog.

Je ne suis pas médecin, pourtant je suis sure qu’Odile est malade, souffrante. Comment une jeune adulte de 19 ans maintenant peut elle demander à des internautes de venir lui changer les couches et de venir lui faire sa toilette intime sous prétexte que ses parents ne veulent pas l’aider, et que son assurance n’assure pas de tels soins ? Comment supporte-t-elle qu’on entre à ce point dans son intimité ? Comment peut-on pousser la farce jusqu’à risquer légalement gros en produisant de fausses ordonnances visibles de tous sur Internet, de faux dossiers médicaux ? Comment peut on à ce point sombrer dans la folie, sans que personne ne le remarque, personne de vrai, un parent, un ami, un professeur ? Quelqu’un de tangible, puisqu’elle a continué à faire des études et à vivre normalement pendant toutes ces années et malgré toute cette supercherie.

Depuis trois jours, Yaelle-Odile-Salomé est démasquée. Un groupe Facebook rassemble tout ceux qui se sont fait berner. Je l’ai rejoint, pour comprendre, parce qu’en réalité, je ne me sens pas blessée ou utilisée. J’avais compris qu’il y avait quelque chose de terrible dans le destin de cette jeune fille. J’ai voulu croire que mon avertissement, trois ans auparavant, avait pu jouer son rôle. Qu’elle aurait pu se calmer. Je la plains terriblement. Je pense à toutes ces heures devant son écran, consacrées à faire tenir droite une histoire toute niquée, aux recherches qu’elle a faite, aux mensonges qu’elle devait inventer chaque heure pour tenir, aux personnages multiples qu’elle animait, à tout ce qui faisait sa pauvre vie. Maintenant tout est mort. Tout est parti. Elle se retrouve seule, réellement isolée, sans même le soutien illusoire des inconnus bernés. Seule, avec tous ces personnages inventés, qui dansent autour d’elle, toutes les traces laissées sur la toile, en cache sur Google, tous ces gens qui la traquent, qui attendent des explications, qui l’épient. Le piège se referme. Courage Odile.

http://www.facebook.com/pages/La-fin-des-mensonges-de-Salome-Elisheva-lymwn/188820747815147

L’article de Sonia : http://www.leschroniquesdesonia.com/archive/2011/02/14/noa-et-salome-la-fausse-leucemique-la-fausse-skieuse-malade.html

Viens je t’emmène

On plaque tout, on s’en fout, on a quinze ans, on se barre de là, on prend pas nos papiers, on laisse tout derrière nous, les impôts et les mômes, le loyer et la caisse du chat, on prend juste du cash, comme les mecs en cavale, personne ne nous cherchera, c’est pas grave, on s’inventera des poursuites et des caches secrètes, on chaussera nos lunettes noires, on donnera de fausses identités débiles à l’hôtel, on a même pas besoin d’aller loin, juste quelques degrés de plus, quelques minutes de soleil en bonus, on peut renaître à quelques kilomètres, je sais pas combien de temps ca va durer, juste le besoin pressant de me retrouver juste avec toi, juste contre toi, sans réveils et sans courses à faire. Tu conduis, je pose ma tête sur ton épaule, je ferme les yeux, je me réveille pour le péage, je suis bien, je ne sais pas si tu me guides ou si je te force à partir, mais il est trop tard pour penser à tout ca, trop tard pour se dire que ce qu’on laisse derrière nous s’accroche à la caisse, malgré nous, malgré les panneaux qui défilent et l’odeur de la mer. Il est tard quand on s’arrête enfin de rouler, tu es fatigué, tu as peut-être déjà compris que ce voyage ne changerait rien, moi j’ai encore envie, envie de toi, envie de me taire aussi, fais semblant un instant s’il te plaît, juste quelques heures, rentre dans mon monde, soyons débonnaires, ne pensons plus à rien.

Tu t’endors tout de suite, la fenêtre est ouverte, je fume sur le balcon, devant moi une ville que je connais pas, des lumières et des ombres, la fumée semble plus lourde ici, elle stagne autour de moi, volutes mastodontes, l’appel du vide quand je me penche, rambarde branlante, béton abimé, le bruit de ta respiration comme fil tendu attaché à mes pieds. Si je saute, je t’emporte avec moi, je le sais. Je quitte le balcon, respectons les distances de sécurité, attachez votre ceinture en cas de dépressurisation de la cabine, tu dors toujours, impassible, tu ne sais pas, les envies folles qui me prennent au ventre, l’appel du rien, la sensation de l’air sur mes joues, je joue avec l’idée d’en finir depuis si longtemps, c’est comme un scenario qu’on ne finit jamais. Accrochée aux piliers du pont, je refuse de sauter, je veux juste voir ce que ca fait, ce moment entre le départ et la raison, entre le pas qu’on fait en trop et celui qui ramène vers la vie, quinze centimètres de différence, toute une vie. Le bruit des fils de l’élastique qui craquent un à un, des allumettes qu’on brule juste pour leur odeur, la dernière gorgée d’une bouteille d’eau quand il fait trop chaud, ce sont les petites choses qui m’empêchent de me lancer, c’est égoïste, je sais.

Un drap seulement suffit, il fait doux, je ne dors pas. Je te regarde, je t’apprends, chaque centimètre de peau, chaque poil, chaque pli, chaque grain de ta peau, j’enregistre, je note. Tu m’appartiens vraiment quand tu dors, rien ne m’échappe, tu ne peux rien me cacher, rien déguiser, le sommeil rend vulnérable, le tien est lourd, profond, une main crispée sur le drap, l’autre posée sur ta cuisse repliée. Je voudrais te raconter ce qu’il se passe, ces nuits où je ne dors pas. Je voudrais tout te dire. Je voudrais être vulnérable, moi aussi. Je voudrais dormir. Je ne m’y autorise pas. On m’en empêche plutôt. Ces boues à l’intérieur de moi. Je ferme les yeux dès que tu commences à reprendre conscience, je me sens protégée, tu n’es plus loin, tu es juste là, ton esprit est revenu, je peux m’assoupir, je prends ta main. Tout à l’heure, au bord de l’eau, tu me diras que j’ai l’air fatiguée, qu’il faut s’occuper de moi, qu’on va tout changer. Je n’y croirai pas. Toi non plus. Ce n’est pas grave, je ne veux pas en parler. Je suis venue ici pour oublier.

L’appétit vient en mangeant

C’est ce qu’on dit. Assiette pleine, couverts, un, deux, trois, partez. Pour le cul c’est plus compliqué. T’as beau avoir une bite saillante à proximité, un homme délicieux et poilu allongé juste à côté, parfois la mécanique des fluides refuse de s’enclencher. Alors tu fais un effort, tu sens qu’il y a une demande, tu branles mollement, tu suces du bout des lèvres, tu fermes les yeux, tu penses à autre chose, t’essaies d’y mettre du coeur, pour qu’il vienne, pour qu’on passe à autre chose. Tu sens tes bras qui commencent à trembler, position de merde, la crampe ne va pas tarder, tu changes de coude pour d’appuyer, t’es pas bien, t’as pas envie, tu soupires et tu lèves les yeux, il a compris. Rien à voir avec les sentiments ou le plaisir qu’il soit là, rien à voir avec l’attirance, juste pas ce soir, tu ne sais pas pourquoi, la baisse totale de désir, ca ne s’explique pas, surtout pas, si tu commences à parler, t’es sure de trébucher, maladroite sur les adjectifs comme sur les verbes, ca pourrait mal finir cette histoire de passage à vide, sur un malentendu tu peux le vexer, alors endors toi, demain matin, ca reviendra.

Je lis partout que la baisse de désir est un indice important de l’échec prévisible d’un couple. Pour moi, il n’y a pas vraiment d’équation valable entre désir et amour. Le sexe est important, vital presque, c’est sur. Mais son absence ne me fait pas souffrir, je n’aime pas moins, je ne désire pas moins, je ne me projette pas moins sans pénétration automatique. Mon corps réclame parfois de longues plages de vide. Je ne ricane pas des hommes qui n’arrivent pas à bander, cela m’arrive aussi. Les organes caverneux se déconnectent du reste, et c’est tant mieux. J’ai de milliers d’envies stockées, et des milliers de jours et de nuits pour les réaliser, j’ai le temps d’attendre, de me laisser le temps. C’est peut-être le luxe ultime du couple équilibré, d’arriver à réaliser que le manque de désir de l’autre ne nous met pas en danger, ne nous range pas directement dans la case inbaisable, et qu’il existe d’autres moyens de se frotter, de s’exciter, de se donner, que d’écarter les cuisses en ne pensant à rien d’autre qu’à la fin. Je n’ai pas besoin de la routine rassurante de la baise du samedi soir devant la télévision allumée, je ne m’inquiète pas de nos rapports intimes sans fluides échangés. Notre vitesse de croisière s’adapte à nos vies, à nos besoins, à nos emmerdes aussi.

Peut-être que je suis vieille. Ou relativement vieille. Il y a dix ans, je pensais qu’une bonne baise dynamique était le remède parfait à toutes les angoisses. Je soutenais cette théorie par de multiples explications scientifiques foireuses liées au endorphines qu’on libère, à l’orgasme salvateur, vraiment, j’y croyais. Le résultat était souvent décevant, le partenaire peu coopératif, et le souci toujours présent une fois la capote jetée. On efface pas un découvert béant grâce à une sodomie décapante, il ne faut pas croire tout ce qu’on voit à la télé. L’idée de remplacer chaque moment de tristesse et de vide par une bite est tentante, je soupçonne mes amies les plus cochonnes de n’être au final que de grandes angoissées. Peut-être aussi que je suis devenue chiante, ou simplement plus posée. Je me surprends à dire « tu verras quand tu seras grand », je pense que je suis définitivement passée de l’autre côté, là où tu te rends compte que l’urgence et la passion ne font pas tourner le monde à elles seules, et qu’on gagne souvent à faire la vaisselle avant d’aller se coucher.

Couloir jour

Salle d’attente d’un hôpital, linoleum jaune passé, fauteuil soudé au sol, table basse en formica, plante artificielle, Voici et Gala. Je déteste attendre, et cette pièce ne m’aide pas, rien qui n’accroche ton regard, rien pour se distraire, juste les paroles étouffées du médecin qui consulte dans la pièce d’à côté. J’enchaîne les parties foireuses d’Angry Birds sur mon téléphone presque déchargé, je gratte un peu dans un carnet, j’essaie de dessiner, le temps ne passe pas, j’ai envie de me casser, seulement je ne peux pas, on m’attend, la prochaine sur la liste, c’est moi. Le toubib est en retard, bien sur, pourquoi ca changerait, à chaque fois je me dis que je vais arriver à la bourre, puisque de toutes façons être ponctuel est juste une politesse illusoire, mais comme à chaque fois, je n’ose pas. Ma dernière clope écrasée devant l’entrée du service il y a plus d’une heure m’envoie des signaux de fumée, je donnerai ma mère pour un café, je suis pas d’humeur à poireauter, j’ai plus envie d’être là, et puis y’a quelqu’un qui se met à gueuler dans le couloir, c’est flippant cette ambiance de no man’s land, odeur de désinfectant industriel et de couche souillée.

C’est une femme celle qui crie. Elle voudrait aller fumer une cigarette, bordel. Elle arrête pas de le répéter. Elle a le droit, d’aller, fumer, une, putain, de, cigarette. Elle, n’est, pas, folle. Ca n’a pas l’air de plaire trop aux infirmiers et aux autres membres du personnel hospitalier. Ca discute pas mal, ca a l’air de s’exciter derrière la cloison en aggloméré. Elle doit avaler son traitement et elle aura le droit d’aller fumer après. D’abord elle doit prendre ses médicaments, c’est pas raisonnable. Et puis fumer, c’est pas un droit, seulement une permission qu’on lui donne, alors elle ferait mieux de se calmer. Je me sens mal. Je ne voudrais pas entendre tout ca. Je ne connais pas la femme qui réclame sa clope à quelques mètres de moi, c’est peut-être une névropathe patentée, c’est peut-être une folle à lier, mais j’ai envie de me lever et de claquer la gueule des soignants, de la prendre par la main, de lui offrir mon paquet et qu’elle arrête de hurler. La discussion tourne en rond, elle veut bien prendre ses gélules, mais seulement après sa clope, c’est comme ca et pas autrement, elle pleure, y’a des coups dans les murs, sourds et inquiétants, et puis le silence, d’un coup. Plus rien, des pas dans le couloir, une porte qui s’ouvre, le bruit d’un trousseau de clés, mais la femme ne pleure plus, ne crie plus, ne parle plus.

Le silence bouffe la salle d’attente, me bouffe, je saute sur mes écouteurs, je ne sais même pas ce que j’écoute, mais il faut remplir le vide, je n’entends même pas la porte s’ouvrir, c’est le médecin qui me tape sur l’épaule pour me signifier que c’est mon tour d’entrer. Je m’assois en face de lui, consultation normale, pas un mot au dessus de l’autre, ordonnance, bonjour chez vous, merci. Quand il se lève pour m’indiquer la sortie, je lui demande si il a entendu ce qui s’est passé juste avant, si il a une idée de ce qui est arrivé à la nana qui gueulait pour cloper. Il me dit qu’elle a probablement été sédatée. Endormie par injection, pour l’empêcher de s’énerver. Qu’elle ira mieux dans quelques heures, une fois qu’elle se sera reposée. Poignée de main, couloir, portes automatiques, de l’air, enfin. J’allume une cigarette et je marche vers dans la cour de l’hôpital. Je pense à cette malade qu’on vient de piquer parce qu’elle voulait fumer. Je suis en colère. La confiance thérapeutique que je pouvais avoir dans mon médecin vient de se briser. Je ne suis pas folle, on ne m’a jamais enfermée. Mais comment remettre sa santé mentale dans les mains d’une institution qui applique aux souffrants une logique de non-droit aussi radicale ? Je déchire consciencieusement l’ordonnance siglée AP/HP. Sans moi les mecs, désolée.