Born and raised in the ghetto

Je ne suis pas née dans le ghetto. Je ne suis pas née dans une cité. Je ne suis pas née en banlieue. Je suis née à Paris, de parents cultivés et travailleurs, d’un père médecin et d’une mère cadre. Je ne suis pas une enfant de la balle, je ne suis pas une enfant défavorisée, je suis un produit de la classe moyenne supèrieure qui aurait bien voulu mais qui n’a pas pu. Toutes mes amies au pedigree approchant sont des femmes aux vies classiques, elles veulent surtout ne pas manquer aux aspirations de leurs parents, ne pas se tromper de bouton et faire descendre de classe l’ascenseur social familial. Quelque chose m’échappe, dans cette transmission. Je me sens plus proche de l’image que je me fais de mon grand-père paternel, ouvrier monté en grade, que de mes parents aux parcours d’étudiants parfaits. Peut-être parce que j’ai avorté leurs espoirs de grandes écoles et de grandes carrières, peut-être aussi parce que rien ne m’attire dans la vie et les sacrifices qu’ils ont fait pour me permettre d’être confortablement ce que je suis aujourd’hui. Mon grand-père me racontait comme exemple que mon père dormait debout pendant ses études de médecine, et ma mère faisait deux heures et demies de route pour aller à son premier job. J’ai fait des études qui ne mènent à rien dans notre formidable université, j’ai enchaîné les boulots de merdes pour finir par gagner correctement ma vie et avoir en vie de me flinguer. Je suis donc une connasse égoïste paresseuse, ou juste quelqu’un qui n’y croit plus vraiment, selon le point de vue.

Ma mère m’avait prévenu, c’était classe préparatoire et concours des grandes écoles ou rien en sortant de pension, ou en tout cas, c’est comme ca que je l’avais entendu. Je n’ai donc jamais cherché ce que je voulais faire de ma vie ou de mes études. J’ai traîné mon cul au salon de l’étudiant une fois, surtout pour rigoler avec les potes, pas vraiment pour me renseigner ou pour m’interroger sur une hypothétique vocation. Je suis rentrée en prépa, j’ai foiré ma prépa, et il m’a fallu quelques années pour me rendre compte que je m’étais vraiment plantée. Je vivais la fac comme une voie de garage, la dernière solution possible, sans y prendre de plaisir, on m’avait appris que les perdants allaient à l’université, pas l’élite de la France, tu vois le genre. Et puis avec la vie qui vient chier dans te bottes, le boulot qu’il faut trouver, l’envie de gagner ta vie, les décisions que tu prends sans vraiment y penser, pim pam poum, c’était torché. Aujourd’hui, j’aimerai reprendre des études, à la fac, pour le plaisir. La vieille conne dans toute sa puissance quoi, la nana qui a mis dix ans à comprendre ce qui la faisait vraiment kiffer. Erase and rewind, seulement c’est pas possible, alors à trente ans tu te demandes quoi faire de tes talents, comment bouffer sans trop sucer, et c’est là que ca se complique vraiment. « Hannn oui mais Dariaaaaa tu devrais écriiiiire », oui super, j’adorerai, j’ai juste les pieds un peu trop ancrés dans la réalité pour me permettre d’y penser. Comme je ne peux donc pas me déclarer artiste-écrivain-dilettante à plein temps, je me cherche une activité professionelle, un genre de truc sympathique et dans mes cordes, si possible pas payé au lance pierre, et avec des RTT. Ca fait sourire beaucoup de mes amis quand je décris le job de mes rêves, parce que cela dénote de mon manque notoire d’ambition corporate. C’est vrai. Je voudrais juste faire un truc bien dans une boîte bien. Et continuer à faire les autres choses qui occupent ma tête quand j’en sors.

Bien sur, comme tout le monde, je suis aussi auto-entrepreneuse, ce qui me permet de déclarer un chiffre d’affaire démesurément plat chaque mois, ce statut censé nous permettre de bosser simplement en tant qu’individu, c’est surtout la libéralisation à outrance de toutes les individualités. Jacqueline qui fait bien la purée devient auto-entrepreneuse de purée, Robert change bien la roue et se lance donc, et Daria, euh, Daria ne fait rien de bien, mais elle essaie poliment quand on lui demande. Je ne suis pas sure que la révolution se fasse par l’auto-flagellation non plus, j’essaie donc de faire et de bien faire, mais c’est vrai, je suis complètement à la ramasse en terme de démarchage et « d’animation de réseau amical et professionnel ». Et ca me manque pas mal, soyons honnêtes. Je gagnerai sans doute quelques euros de plus à fermer un peu ma gueule et à ne pas m’embrouiller systématiquement avec les gens susceptibles de me faire bosser (you know who you are). Je me console en me disant que le karma est une pute, et qu’ils pourriront dans d’atroces souffrances, je leur garde un chien de ma chienne pour toute la vie, prêt à mordre et à ronger leurs os dès que la première occasion se présentera, je suis au taquet.

6 réflexions sur « Born and raised in the ghetto »

  1. On passe tous par là. Nos parents ont toujours une idée de ce qui est bon pour nous. Alors qu’en fait c’est souvent ce qui est d’abord bon pour eux. Pas qu’ils aient tort à chaque fois non, mais on peut penser que ça part d’un bon sentiment.
    Après tout est une question d’intrusion dans notre libre arbitre. Et plus l’intrusion est grande et plus les chances de rejet sont importantes.

    Ceci dit, à un moment donné, on remet toujorus en question nos propres choix, parce que ça serait mieux si, parce qu’on aurait dû faire ça, parce que finalement la vie est méchante.

    Et puis comme tu le disais, tout est question d’ambition également. La grande question est : de quoi avons nous besoin ? et non de quoi avons nous envie. Car le besoin dure plus que l’envie.
    C’est beau, on dirait du Michel Sardou ou du Balavoine.
    Bon faut que j’aille me laver la bouche du coup.

  2. merci pour cet article, me sens moins seule tout d’un coup….
    Toujours cette sensation d’être un imposteur partout où je me trouve surtout au boulot (quand j’en décroche un….) en gardant cette manie de faire la carpette pour faire oublier manque d’expérience et compagnie…
    la corvéabilité en réponse à une recherche de légitimité
    et cette envie de retourner sur les bancs de la fac, pour se redonner des ailes, côtoyer des personnes plus ouvertes d’esprit…
    Bref merci encore

  3. Coucou ! je suis en train de monter une maison d’édition de livre électroniques. J’aime beaucoup ce que tu écris, alors si tu me propose quelque chose pour le publier, j’accepterais probablement, et ça me ferait très plaisir.
    Va voir mon site (:

  4. Laisse sourire tes amis…

    P.S. : Comment ? Tu n’as pas planté médecine (tu sais la fac ) comme tout le monde ? je suis outrée.

  5. (bonjour daria)
    j’ai bien suivi moi aussi le chemin tout trace, mais en partant au bout du monde, un compromis pour ma survie. au final je m’en sors plutot bien, je travaille dans une toute petite association ecolo sans hierarchie (sauf celle des salaires, faut pas rever), une bonne planque interessante. mais je me retrouve au meme point: rever de retourner a l’universite, ecrire une these sur Elise Reclus. Le reve numero 2 c’est faire du miel, du vin et du fromage de chevre en dordogne.
    l’experience ultime: faire ce pour quoi nous etions le moins prepares par nos parents et destines par la vie.
    amicalement

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *