La fille du train

Ca fait quatre fois qu’elle se lève pour aller aux toilettes, la fille du train. Depuis le départ de Paris, moins d’une heure, quatre fois qu’elle me demande si elle peut me déranger et que je la vois se presser sur le dos du siège, contorsionnée. Je me dis que ca compense un peu, elle n’avais pas l’air très contente d’avoir une voisine à grosses fesses, l’accoudoir central relevé, je ne suis pas très heureuse d’avoir une pisseuse cystique, la balle au centre. Quand elle revient, elle déplie la tablette et se love sur le métal, comme pour dormir, les bras pliés comme à l’école, quand on ne voulait plus rien écouter, comme si tout l’ennuyait profondément, comme si elle attendait la sonnerie, deux heures encore à tenir avec ma neurasthénique endormie. Mais elle ne dort pas, elle soupire et ses yeux se noient, alors je me tourne vers le couloir, égoïsme suprême, je croise le genou sur l’accoudoir et je monte le son, il y a juste encore le reflet de ses cheveux qui se soulèvent en rythme dans le miroir des glaces d’en face, saleté de TGV aux vitres sales.

Je l’ai vue se relever et se pelotonner contre le coin de son siège, son pull comme oreiller. J’ai cru qu’elle dormait. Je lui tournais le dos. J’ai senti son corps glisser. Ses épaules entrainant son buste tout entier vers moi, sa tête baissée, la joue comme encastrée dans son sein, son buste tout entier contre moi. Je n’ai rien dit, après tout, pourquoi pas, elle ne sentait pas mauvais, elle ne mordait pas, elle est restée un temps contre mon épaule tournée, le temps de quelques chansons que je n’écoutais pas, concentrée sur cette inconnue qui me collait sans le savoir, qui s’imbriquait contre moi, qui ne partait pas, malgré les soubresauts du train, malgré les appels de la voiture bar et les vibrations de son portable. C’était étrange, j’ai cru qu’elle était morte pendant une minute, malgré sa chaleur,  j’ai secoué mon épaule de bas en haut, elle a grogné, je me suis rassurée, j’ai continué à ne pas bouger, activité prenante, sous les yeux interloqués des autres voyageurs, stupéfaits. Il se passait quelque chose de particulier, mais je n’avais pas envie de savoir, pas envie de chercher. Je voulais juste la laisser dormir. Elle ne me gênait pas. La crampe dans mon épaule un peu plus, quelques minutes après.

J’aurai pu me racler la gorge, tousser, bouger, me trémousser, lui faire comprendre qu’elle m’indisposait, qu’elle devait se déporter vers la droite, mais finalement moi aussi, j’étais bien. Je n’aime pas prendre le train. J’ai reposé mon genou droit à terre, mes épaules se sont retournées, droites contre le dossier, sa tête est venue se poser sur ma poitrine d’abord, puis lentement sur mon ventre, et sur mes genoux. Elle a croisé les jambes, j’ai compris qu’elle ne dormait pas. Je l’ai laissée là, sans rien dire. Je ne sais pas pourquoi. Elle n’a rien dit. Quelques minutes avant l’arrivée en gare, elle s’est relevée d’un coup, elle m’a demandée si elle pouvait passer, elle est allée aux toilettes, elle a pris sa valise au dessus de son siège, elle est allée attendre dans l’entre-deux, juste à côté. A ma descente, elle m’a dit merci, elle est partie.

Fake it ’till you make it

J’ai mis ma tête sur pause pendant quelques jours, au point d’oublier que je devais me laver ou me brosser les cheveux, à sortir dans la rue avec une grande trace de mascara qui dégouline jusqu’au menton, les croutes blanches collées au ras des cils, le cheveu gras et l’air ahuri, l’impression d’être décérébrée, d’oublier jusqu’au son de ma voix, me parler seule dans l’acoustique parfaite de mes toilettes pour m’en souvenir. J’ai passé trois jours seule, sans parler à personne d’autre qu’à moi même. Je ne me suis pas trouvée de très bonne compagnie. Je ne peux même pas dire que j’ai profité de ce moment pour faire le point sur ma vie, pour tirer de grandes leçons, ou pour être productive. J’ai usé toute mon énergie à continuer à respirer et à ne pas me rouler par terre. C’est stupide, c’est irrationnel. Je le sais. C’est comme ca. Si j’avais eu accés au téléphone, à une connexion Internet, à la télévision, j’aurai sans doute pu me distraire, faire passer en tâche de fond mon angoisse, ma folie des heures qui passent. Au lieu de ça, je me suis incrustée dans mon canapé avec une pile de bouquins que j’ai fait semblant de lire. J’ai regardé les poils blancs du chat former des moutons transgenres sur le parquet. J’ai ouvert la fenêtre, pour écouter les voisins discuter sur le balcon. Je me suis sentie idiote. Je me suis sentie petite. Je me suis sentie folle. J’ai repris mon livre. J’ai mangé. J’ai dormi à l’envers, comme pour fuir les journées. J’ai attendu qu’il se passe quelque chose. J’ai attendu qu’on vienne me chercher. Je me suis moquée de moi. Je me suis emportée. J’ai pleuré. Je me suis mise en colère. J’ai dit plus jamais. J’ai pensé à des trucs que je devais écrire. Je n’ai pas réussi à trouver la moindre idée, à former le moindre paragraphe imaginaire, à tracer le moindre mot. J’ai pensé aux impôts, au syndic, à la gardienne. A ma mère. A mon père. Entre deux sommeils, j’ai pensé à Caroline, à Emilie, aux amies que j’avais eu, que j’avais perdu, ou pas, ou peut-être. Je me suis trouvée inadéquate. C’est le bon mot je crois. En inadéquation totale avec tout ce que je voudrais être, avec ce que j’attends de moi, avec ce que les autres voudraient voir, avec ce qu’ils attendent. Ce n’était pas un bon moment.

Y’a un truc qui a sauvé ces trois jours. Un slogan bien lourd, à l’américaine, avec des frites et du ketchup. « FAKE IT ‘TILL YOU MAKE IT ». C’est un truc des alcooliques anonymes en fait. Si tu n’y arrives pas, si c’est trop dur maintenant, fais semblant. Et ca va venir. Donne le change. Pas aux autres, pas en mettant un masque. Juste pour toi. Fais semblant d’aller bien pour le quart d’heure qui arrive, on verra ce qui se passe après. Alors j’ai fait semblant de super bien gérer ma solitude. De n’en vouloir à personne. D’être un ermite baba-cool super class’. One fucking day at a time. Chaque jour, chaque heure compte. Et j’y suis arrivée. Ma tête a arrêté de tourner. Pas tout de suite. Quart d’heure par quart d’heure. Demie heure par demie heure. Heure par heure. Nuit par nuit. J’y suis arrivée. I made it.

Prostitution, client, hard discount

Je ne comprends pas le projet de loi visant à pénaliser les client des prostitués. On tombe dans l’hypocrisie de la graine de beuh, tu sais, celle que tu as le droit d’avoir dans la poche, mais pas le droit d’avoir acheté, ni le droit de faire pousser. T’as toujours le droit de te prostituer, mais pas de racoler, et ton client va se prendre une amende. Tout est donc logique. Je ne comprends pas en quoi ce projet va aider à sortir les individus qui subissent l’esclavage sexuel et les mauvais traitements des mafias de leurs enfers. Au contraire, il me semble que ces derniers, qui ne manquent jamais d’imagination quand il s’agit de gagner des ronds sur le dos de la misère, n’hésiteront pas une seconde à trouver d’autres lieux, d’autres filières, d’autres moyens, pour faire venir les clients et pour les assurer d’une expérience tarifée sans la peur du gendarme. Quand au client lambda, celui qui aime se faire faire sa petite gâterie dans un BMC défraîchi en sortant du boulot, je doute que ca l’arrête, car aussi respectable soit la police, elle n’est pas partout, et n’inspire pas la même crainte à tous. Au mieux, cela déportera le problème des réseaux de traffic humains vers des pays plus accueillants et frontaliers, comme la Belgique et l’Espagne. Et ca emmerdera les individus qui se prostituent par choix, donnant une image un peu plus sale et criminelle de leur activité. Comme si ils avaient besoin de ça, en plus, pour être stigmatisés.

Il est évident qu’il faut combattre de toutes nos forces les traffics d’individus. Je ne parle donc pas dans la suite de ce billet des femmes et des hommes qu’on force de manière physique ou psychologique à la prostitution. Je ne suis pas POUR la prostitution. Je ne suis pas CONTRE non plus. Je suis résolument persuadée qu’il existe une liberté des corps et des personnes, et que certains décident de la pratiquer, en connaissant parfaitement leurs motivations, ce qu’ils en attendent. Ce n’est pas une position théorique, je connais des femmes prostituées, qui exercent leur métier en toute conscience, qui mènent une véritable entreprise, avec rendez-vous, gestion de clientèle, pose de limites, chiffre d’affaire déclaré. Contrairement au discours habituel des abolitionnistes, ces femmes n’ont pas été violées, abimées, réifiées. Elles savent ce qu’elles font. Elles en connaissent les risques, tant sur le plan pratique, que sur le plan psychologique. Elles s’interrogent sur leur avenir, sur la maternité, sur leurs prochaines vacances. Elles ont la particularité d’être travailleuses du sexe, et de ne pas pouvoir l’inscrire sur les fiches de renseignement à l’école du petit. Je ne sais pas quel pourcentage exact représentent ces individus libres de leur prostitution sur le nombre total des individus proposant des services sexuels en France. Ils ne sont sans doute pas majoritaires. Mais ils existent. Et ils n’ont pas à se taire. Et puis au fond, au nom de quoi voudrait-on m’interdire de faire prestation de mon corps ? Si la sexualité revêt pour certains un caractère sacré, animal à deux têtes, entre le corps et le coeur, il n’en est pas de même pour tous. On parle de violence faite aux femmes dans toute la prostitution, qu’elle soit volontaire ou subie, je ne suis pas d’accord. Les femmes qui choisissent la prostitution ne sont pas des idiotes, des victimes, des attardées mentales, qui n’obéiraient qu’à des traumatismes anciens ou à des pulsions de mort. Il faut sortir du fantasme de la pute.

Mais puisqu’on parle des clients, je pense que c’est à eux de se responsabiliser. Impossible sans doute, quand on lit les témoignages de ces punters très fiers d’avoir négociés une passe à 10 euros sans préservatif à un travesti ivre, ou de n’avoir réglé qu’une heure sur deux à l’agence Tchèque pour le délicieux moment passé dans les bras d’une jeune fille qui ne parlait pas un mot de français, mais qui se laissait faire, docile. Je parle beaucoup d’hommes, désolée de stigmatiser, mais je n’ai pas lu ou entendu de témoignages de femmes clientes de ce genre. Je me demande souvent comment un homme peut avoir une érection dans un local poubelle du boulevard Barbes, alors qu’il besogne une femme dont il vient de négocier l’accés au vagin pour 15 euros. Sa queue n’est pas en relation avec son cerveau ou avec son émotion, bien sur. Il n’est pas là pour ça. Il est là pour se payer le trou le moins cher de la rue, faire son affaire, et partir. C’est cru, mais il n’y a pas d’autres mots. C’est le hard discount de la prostitution, le producteur, donc le macrot, se fout du prix auquel la fille se vend, l’important c’est ce qu’il touche au bout du compte, au bout de la nuit, alors une passe ou 15, qu’est ce que ca change pour lui. Le client, veut baiser pour rien, ou presque. Quand les deux se rencontrent, l’économie du vice est au point 0 de l’humain.

On parle de Philippe Caubère. Je n’ai pas beaucoup apprécié son texte. Mais passons. Prenons le en exemple. Il dit fréquenter des escorts girls, le nom joli de la prostitution 2.0. Cela veut sans doute dire qu’il passe de longues heures la main devant son caleçon sur des annuaires de prostituées à cliquer sur des photos et sur des grilles de tarifs à se demander avec qui il passera son prochain moment coquin. Une fois son choix visuel effectué, il contacte la prostituée en question, souvent par téléphone. C’est là qu’il se dit qu’elle a l’air sympathique, ou pas. C’est là aussi que l’escort juge de la santé mentale de son potentiel client, elle se dit qu’une voix peut dire beaucoup. Ils discutent de prestations sexuelles, elle ne fait pas le A+, la sodomie quoi, il dit que ce n’est pas grave, il n’en avait pas très envie, il dit « c’est toujours 300 de l’heure ? », elle répond que oui, et que comme d’habitude, ce n’est pas négociable. Il approuve. Ils prennent rendez-vous, il paie, ils baisent, elle repart. Elle aurait pu refuser. Elle aurait pu annoncer un autre tarif, une autre prestation. Il aurait pu ne pas accrocher au téléphone. La relation commerciale aurait pu s’arrêter en pleine négociation. Ils vont au bout du contrat. Et ca ne me choque pas.

Laïcité pur porc

Depuis hier, Le Point et Mediapart se font le relais d’une information qui semble bouleverser les laïcs de tout poils : les sessions de concours pour les écoles de Polytechnique et Centrale ont été organisées pendant la Paque juive. Pour éviter aux étudiants juifs pratiquants de perdre injustement une année d’étude, une session spéciale a été organisée, dans des conditions permettant de préserver le caractére solennel et secret du concours : « les candidats concernés devant rester confinés toute la journée du 20 avril au moment officiel de l’épreuve jusque dans la nuit où ils pourraient à leur tour composer. Rebelote le 26 avril. » (source Le Point).

La Pâque juive, c’est culturellement l’équivalent familial de Noel ou de l’Aïd. Un moment où les familles se rassemblent, on rapatrie la grand mère, l’oncle et le cousin, on met les petits plats dans les grands, on évoque deux soirs de suite la sortie d’Egypte dans un rituel appelé Seder.  Religieusement, selon les préceptes de la loi juives, les jours de fêtes sont des jours chômés, comparables au Shabbat : il y est donc interdit d’y travailler, et par extension de conduire, d’écrire, d’emprunter les transports en commun, tout ce qui pourrait permettre aux étudiants de passer sereinement leurs concours. Ces interdictions ne sont pas de simples indications de vie, elles sont au coeur de la pratique des juifs religieux, et ne souffrent d’aucun passe droit. A chaque Pessah, on compte quatre jours chômés rituels, qui viennent ouvrir et clore les célébrations de la Pâque : cette année ces jours tombent du lundi 18 avril à la tombée de la nuit au mercredi 20 avril à la tombée de la nuit, puis du dimanche 24 avril à la tombée de la nuit au mardi 26 avril à la tombée de la nuit. Les concours organisés en journée le 20 et le 26 avril sont donc strictement impossibles aux juifs qui souhaitent fêter Pessah conformément à ce qui leur est demandé par leur religion. Les concours de ces écoles sont l’aboutissement de plusieurs années de classes préparatoires difficiles, et ouvrent la possibilité à de multiples autres écoles, puisqu’on compte plus d’une cinquantaine d’écoles accessibles sur la base des résultats de ces épreuves. Il ne s’agit pas d’un système comparable à celui de la faculté, où de nombreux étudiants juifs religieux se contentent de passer les rattrapages de septembre quand leurs partiels tombent pendant une fête ou un Shabbat, ici, c’est un événement unique, sans session ultérieure dans l’année. Raté pour raté.

Que fallait il donc faire ? En amont, il aurait certainement fallu que les institutions en place fassent leur travail d’harmonisation. Le Consistoire, représentant des juifs de France, a le devoir de communiquer chaque année le calendrier des fêtes au ministère de l’éducation nationale ainsi qu’aux différents universités et grandes écoles. Dans ce cas précis, on ne sait pas si cela a été fait. On ne sait pas non plus si les organisateurs du concours ont pris le temps de regarder un calendrier multi-confessionnel avant de prendre une décision. C’est d’abord ce manque d’information et de communication qu’il faut sanctionner à mon sens, et pas les étudiants, qui n’ont pas à subir ce genre de ratés. Ce qui me révolte, ce sont les arguments des laïcs-athées, qui prétendent à demi mot que le gouvernement privilégie les candidats juifs en organisant cette session. Je ne vois pas en quoi passer la fête la plus importante, tant sur le plan familial, culturel, que religieux, enfermé dans une école vide à manger du pain azyme et du thon en boîte leur confère un quelconque avantage. Le 26 avril au soir, alors que tous les autres juifs de France célébreront la fin de Pessah, qu’ils dégusteront leurs premières baguettes fraîches depuis une semaines, ils passeront un examen. Imaginez vous qu’on organise la première épreuve du baccalauréat le soir du réveillon de Noel. Ou l’examen du concours de médecine à l’heure précise de la fin du jeune du Ramadan. Si la laïcité, c’est de ne reconnaître aucune religion, alors je réclame à mon tour de pouvoir faire mes démarches administratives le 25 décembre à midi en mairie, Noel n’est qu’un jour comme les autres pour moi, un jour sans tabac ouvert, un peu comme un long dimanche pénible, c’est tout. Je réclame également qu’on fasse taire les cloches des églises et qu’on interdise les feux d’artifices du 15 aout.  Mais est-ce que cela aurait du sens ?

Je ne crois pas en une laïcité pure porc, qui forcerait la rillette dans le gosier de chacun, quelque soit sa confession ou son niveau de pratique. La comparaison au porc est flagrante pour moi, puisque c’est l’interdit que tout le monde connaît pour les religions juives et musulmanes. Il me semble insultant pour l’idée même de la laïcité d’obliger un enfant musulman à manger du porc à la cantine, ou à le priver de repas si il n’y a que du porc au menu. Il me semble insultant pour la laïcité de ne pas prévoir des dates d’examen qui permettent à tous les étudiants de pouvoir accéder à l’épreuve. Comment pouvons nous demander aux autres religions de s’aligner sur l’existant, alors que les chaînes de télévisions publiques continuent à nous citer le Saint du jour à météo tous les soirs et qu’on sert du poisson à la cantine le vendredi ?

Edit : il semble suite à la note envoyée en Février par le directeur de Centrale à l’Elysée que le véritable problème soit la publication au Journal Officiel des dates à éviter pour fêtes religieuses. Pessah n’a pas la chance de figurer sur cette circulaire, ce qui semble explique la confusion de l’organisation de cette épreuve. Je n’approuve en aucun cas l’atmosphère de secret qui l’enveloppe, qui fait peser sur la communauté juive des soupçons injustifiés. Je souhaite qu’à l’avenir, des calendriers multi-confessionnels corrects soient distribués, et surtout qu’on cesse de considérer comme normal une laïcité qui ne semble ne fonctionner que pour les athées.

Edit 2 : et si finalement, tout ca n’était que beaucoup de bruit pour rien ?

Féministe, chanson poétique et révolutionnaire

‎ »I don’t think every second of the day about the fact that I am a woman – I just am – but it impacts on every single thing that I do and how others perceive me. The same goes for being a feminist. I am a feminist because in so many things I do there is a form of inequality caused by being a woman, whether it’s walking down the street alone at night or the bill being presented to a man in a restaurant. »  Ellie Levenson

Je suis féministe, je l’ai toujours été, sans pourtant m’être jamais posée une seule fois la question de ma mouvance ou de mon courant d’appartenance. Je suis féministe, parce que je suis un être vivant de sexe féminin, dotée d’un système de reproduction de type utérus et trompes, et de caractéristiques sexuelles secondaires de type nichons, et que le monde qui m’entoure fait une différence entre ceux qui ont un pénis et celles qui n’en n’ont pas. J’ai le sentiment profond que mon appartenance physique à la grande sororité utérine s’accompagne de la nécessité de me battre pour notre égalité totale, comme si mon tour de poitrine m’avait été délivré avec un permis à point de féminité. Tu seras une bonne femme, ma grande, mais tu ouvriras les yeux, sur la place que tu tiens dans le monde, sur les possibilités que ce dernier t’offre, tu n’accepteras rien, tu prendras exemple et tu hausseras le ton, tu t’indigneras, tu dénonceras, tu t’informeras et tu éduqueras à ton tour. J’ai le sentiment d’être reliée aux autres femmes, d’une manière invisible, parce que nous partageons dans notre chair et dans nos existences, le poids des traditions des hommes, des décisions, des ordres et des lois imposées. Il serait illusoire de penser que je puisse me sentir semblable en tout point à une chilienne de 55 ans ou à une malienne de 18 ans, ou même à ma voisine de pallier, je crois juste de toutes mes forces à la puissance des femmes qui se rassemblent et qui pensent et travaillent ensemble, je crois à l’universalité d’une condition féminine et à l’urgence de nos demandes, quelles que soient nos conditions de vie.

Je suis une féministe, mais en grandissant, il m’a fallu apprendre. On ne peut pas dire qu’on est féministe sans se heurter aux deux questions qui semblent résumer la cause des femmes en Occident aujourd’hui : avortement et prostitution. Je trouve toujours terrible qu’on résume le féminisme pour le grand public à ces deux problématiques, la femme et ce qu’elle fait de sa chatte, comme si on ne pouvait pas en sortir, comme s’il n’existait pas d’autres injustices, d’autres violences, comme si seul ce qui rentre et sort de nos trous et la façon de le contrôler posait problème à la société. J’ai toujours refusé de rentrer dans un débat moralo-religio-éthique sur l’IVG, il ne m’intéresse pas, je respecte l’avis des femmes qui refusent d’avorter, je respecte l’avis des femmes qui refusent les IMG. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on vienne empêcher celles qui choisissent cette solution légale et médicalement sure, c’est qu’on vienne pratiquer une politique grasse et laide de désinformation :  dans les lycées, dans les planning familiaux et sur Internet, en infiltrant les mots clés de recherche sur l’avortement,  en rachetant les noms de domaines comme ivg.net pour proposer une alternative « plus morale, plus catholique ». Ce qui me révolte, c’est la marche des chrétiens intégristes qui portent fièrement au revers de leurs vestes un pins représentant deux petits pieds dorés, censés être à l’échelle les pieds d’un foetus avorté, connerie médicale majeure, je sais, j’y étais. En plein débat sur la laïcité, on semble oublier que les religieux n’ont pas à intervenir dans le parcours de soin laïc dans nos hôpitaux, et ca me fout en rogne d’apprendre que des femmes sont obligées de faire la manche dans les services pour se faire avorter, parce que les médecins sont overbookés, parce qu’ils refusent de pratiquer l’intervention, ou juste parce qu’ils n’en n’ont pas envie. Combien de pétitions allons nous signer avant que l’état d’urgence soit déclaré et que le service minimum obligatoire soit exigé des médecins compétents ? Combien de femmes vont-elles continuer à se retrouver hors délais légal et à aller avorter en Angleterre ou en Hollande avec le soutien des associations qui connaissent la situation ? On adore dire qu’on refait des poitrines de rombières dans une clinique chic, mais on refuse de dire qu’on pratique l’avortement, parce que c’est un acte mal payé ? Je suis féministe parce que je refuse qu’on enlève ou qu’on rogne sur le droit des femmes à disposer de leur corps et de leur grossesse, parce que je conchie l’hypocrisie des médecins, et que je fais la différence entre ce que ma religion propre m’apprend et ce que je souhaite pour le bien global des femmes.

Je suis donc farouchement pour la défense du droit des femmes à disposer de leur corps et de leur cerveau. Et ca marche aussi pour la prostitution.Si je ne peux pas supporter l’idée qu’un réseau puisse utiliser le corps d’une femme pour le marchander et le monnayer, qu’un mari intimide et batte sa femme jusqu’à l’épuisement pour qu’elle accepte de se prostituer, ou toute autre situation d’échange prostitutionnel dans la force et la violence, j’accepte l’idée qu’une femme décide en toute conscience de « vendre son corps » (je rajoute les guillemets et une explication, il ne s’agit pas de marchander le corps mais bien d’une prestation) contre une somme d’argent, qu’elle assure une prestation sexuelle auprès de clients contre une rémunération. Il existe de nombreux courants féministes qui militent pour l’abolition de la prostitution, car le commerce du corps des femmes serait une violence faite aux mêmes femmes. Je crois que la prostitution existe en diagonale, et à divers niveaux de lecture, je crois aussi que la prostitution choisie existe, et que nous n’avons pas à juger les motivations et les chemins de vie de celles qui la pratiquent. Je n’imagine pas sucer des queues inconnues toute ma vie pour 30 euros, mais je n’imagine pas non plus mettre des knacki balls à la chaîne en boîte de conserve à l’usine pour 7,07 euros net de l’heure, et j’aimerai que les travailleurs du sexe puissent bénéficier des mêmes droits et des mêmes avantages que les salariés Herta. Les exemples espagnols et hollandais de la prostitution légale sont pitoyables, avec leurs hangars à filles de l’Est importées spécialement pour rincer le client, il est temps que nos parlementaires sortent de leur désir de légiférer contre les prostitués (Racolage passif), et pensent à des solutions viables et humaines. Je suis féministe parce que je ne tolére pas qu’on fasse violence à une femme, qu’elle soit rom, nigériane, chinoise ou française, parce que je persiste à penser que les lois françaises votées vont à l’encontre des prostituées et ne font rien pour mettre fin au traffic des êtres humains et aux violences dont elles sont victimes, et que je crois à la liberté de chacune à disposer de ses orifices, quitte à en faire commerce.

Je suis féministe parce que je n’ai pas d’autre choix. Je suis féministe parce que je refuse d’être un maillon de plus dans l’exploitation d’une image commercialement édulcorée du corps de la femme, je suis féministe parce que je refuse d’obéir à des lois et des coutumes que je ne comprends pas et qu’on ne m’explique pas, je suis féministe parce que je refuse de perpétuer chez mes nièces, mes filles, mes cousines, une image de la féminité passive et étranglée, je suis une féministe qui se fout que les femmes portent des burkas, des hijabs ou des bikinis, pourvu qu’elles l’aient décidé en conscience, je suis féministe parce que j’ai compris l’impact et de la force de la sexualité des femmes, je suis féministe parce que je m’étrangle de rage à chaque fois que je reçois mon relevé bancaire parce que le nom de mon conjoint apparaît systématiquement en premier malgré la logique alphabétique, je suis féministe parce que je prends conscience à chaque fois que je vais voter ou que je vais travailler du chemin parcouru en 70 ans seulement, je suis féministe parce que Germaine Greer et Camille Paglia, parce que Peggy Sastre et Virginie Despentes, parce que j’ai vu ma mère souffrir de sa relation aux hommes, parce que je l’ai vu s’en sortir, je suis féministe par défaut aussi, parce que j’ai grandi sans image masculine aimable autour de moi, et que mes idoles sont des femmes, parce qu’on a jamais eu besoin de paire de couilles pour se sortir les doigts dans la famille, je suis une féministe qui aime ses soutien-gorges et son mec, qui ne cherche pas à les brûler, qui se désespère des nanas qui reproduisent à l’infini le schéma de la pouffiasse Barbie, persuadées qu’elles ne peuvent pas être au monde et plaire autrement qu’enfermées dans une jolie boîte en carton coloré.

Elle descendait de la montagne en chantant une chanson paillarde une chanson de collégien, la fille du coupeur de joints, la fille du coupeur de joints.

Y’a ces chansons qui te restent en tête, toute la vie, comme celle là, que j’ai mis 10 ans à écouter pour de vrai, pour moi Thiéfaine c’était le mec qui jouait de la guitare pendant qu’on chantait, personne d’autre, j’arrivait pas à me dire qu’il y avait un disque, un truc solide et vendu en boutique, avec toutes nos chansons dessus, tous nos étés, nos voix fausses et cassées à force de trop fumer, de trop gueuler, dormir à la belle étoile, regarder le jour se lever, le froid qui descend au petit matin sur tes pieds, la fatigue le long des cils, les épaules de ta copine, le mauvais café dans la petite casserole cabossée, qu’est ce qu’on fait, on fait rien, on se cherche et on s’allonge sur une plage, les sacs pleins de bières, les cheveux pas lavés, l’eau de mer qui pique tes genoux écorchés, la serviette pleine de sable, on s’en fout, on s’arrache, à 7 dans la voiture, parfois y’en a un dans le coffre, faut pas le dire. Y’en a un qui crève de faim, il fait des pates au ketchup, y’en a partout, la cuisine sent l’herbe et la tomate, sur la balustrade les serviettes s’agitent et tombent leur sel, y’a toujours quelqu’un dans la douche quand tu veux y aller, ta piaule sent un peu les pieds, tu fais des essais capillaires, un foulard et des tongs, te voilà roots-rock-reggae, on s’en fout, c’est l’été, c’est plus facile à chanter, c’est plus lent, ca change de Santiano et des Têtes Raides, si tu connais pas les paroles, y’a toujours quelqu’un pour éclater d’un rire massif quand tu te concentres sur l’accord.

Quand tu vieillis et que t’as plus de sous, tu pars au ski, tu joues les grands, l’appart pour 8 avec lits superposés dans la salle à manger-salon-bureau-buanderie, ca sent toujours des pieds, mais cette fois tu gueules un peu, les chaussures de ski c’est sur le balcon s’il vous plaît, les meufs ont investi la salle-de-bain, y’a un calendrier pour y entrer, c’est douche en alternance, faut pointer, on se lève tôt, on veut pas rater, le forfait à 800 balles, faudrait pas gâcher, départ glacial, temps de merde, on s’en fout, on est là pour skier, ouais ouais, premier resto d’altitude, premier vin chaud, première crise de motivation, scission des troupes, les glandeurs et les acharnés, les transats-soleil et les pistes-noires-ampoules-aux-pieds. Y’a toujours le mec à la guitare, mais il la laisse un peu de côté, cette année, la musique on l’écoute, on se bat pour la mettre, à grand coup de coude dans les cotes pour changer de CD, de la grosse dance avant de sortir, pour se chauffer, y’en a un qui finit torse-poil sur le toit du chalet, on a forcé sur l’apéro, marque mon nom dans la neige quand tu fais pipi, c’est moyen drôle, mais merci. La deuxième partie des vacances commence à 22H, tournée des bars de la station, ca se frotte avec les saisonniers, on se perd de vue, rendez-vous officiel au pied des pistes à 9h au cas ou l’un d’entre nous finirait la nuit ailleurs qu’à l’appart, de toutes façons on a qu’une clé, alors si tu scotches pas avec la chef de bande, t’es condamnée à pieuter avec le premier hollandais bronzé sous peine de geler dans le hall d’entrée. On compare nos nez cramés et nos lèvres gercés, nos bleus et nos chaussettes trempées, t’oublie de te réveiller, tu te fais une ultime grasse-mat, toute seule à l’appart’, pendant que tout le monde est barré, tu savoures ce moment de solitude, tu te fais un petit-déjeuner au soleil, toute seule avec Libé, t’envoie des cartes postales, les jolies pour tes parents, les nazes pour tes potes, tu penses à la rentrée.

Maintenant tu bosses à plein temps, t’en as plein le cul d’ailleurs, alors les vacances, c’est un peu sacré. Tu veux partir sur une plage, avec personne à côté, juste le bruit de la mer, le soleil, un cocktail trop sucré, ton bouquin, tes lunettes, ta meuf, le bonheur si tu veux, quand tu veux, surtout te reposer. L’hôtel est vachement bien, y’a deux restaurants, un typique et un européen, c’est une formule all-inclusive, alors à l’apéro, on force un peu sur le Mojito, on plaisante, les yeux dans le vides, perdus dans le soleil qui se couche à l’horizon, carte postale vivante, le site Internet est crédible, t’en as pour ton argent, tu reviendras peut-être, pas dans le même pays, mais dans la même chaîne, pour la gentillesse du serveur et la qualité de l’accueil, pour le mini-club et pour la garderie, aussi. T’écoute encore de la musique, dans ton Ipod, au bord de la piscine, tu partages tes écouteurs avec ta nana, c’est neo-romantique, elle aime ca, un mix d’indie, de folk, et de bossa nova, rien d’agressif, de contestataire, rien qui ne se chante vraiment, ca se fredonne tout doucement, c’est elle qui trouve ta playlist honteuse pendant que tu te douchais, et quand tu t’approches, tu l’aperçois en train de murmurer qu’elle aussi, elle descendait de la montagne, sur un charriot chargé de paille, sur un charriot chargé de foin, la fille du coupeur de joints, la fille du coupeur de joints…