Elle descendait de la montagne en chantant une chanson paillarde une chanson de collégien, la fille du coupeur de joints, la fille du coupeur de joints.

Y’a ces chansons qui te restent en tête, toute la vie, comme celle là, que j’ai mis 10 ans à écouter pour de vrai, pour moi Thiéfaine c’était le mec qui jouait de la guitare pendant qu’on chantait, personne d’autre, j’arrivait pas à me dire qu’il y avait un disque, un truc solide et vendu en boutique, avec toutes nos chansons dessus, tous nos étés, nos voix fausses et cassées à force de trop fumer, de trop gueuler, dormir à la belle étoile, regarder le jour se lever, le froid qui descend au petit matin sur tes pieds, la fatigue le long des cils, les épaules de ta copine, le mauvais café dans la petite casserole cabossée, qu’est ce qu’on fait, on fait rien, on se cherche et on s’allonge sur une plage, les sacs pleins de bières, les cheveux pas lavés, l’eau de mer qui pique tes genoux écorchés, la serviette pleine de sable, on s’en fout, on s’arrache, à 7 dans la voiture, parfois y’en a un dans le coffre, faut pas le dire. Y’en a un qui crève de faim, il fait des pates au ketchup, y’en a partout, la cuisine sent l’herbe et la tomate, sur la balustrade les serviettes s’agitent et tombent leur sel, y’a toujours quelqu’un dans la douche quand tu veux y aller, ta piaule sent un peu les pieds, tu fais des essais capillaires, un foulard et des tongs, te voilà roots-rock-reggae, on s’en fout, c’est l’été, c’est plus facile à chanter, c’est plus lent, ca change de Santiano et des Têtes Raides, si tu connais pas les paroles, y’a toujours quelqu’un pour éclater d’un rire massif quand tu te concentres sur l’accord.

Quand tu vieillis et que t’as plus de sous, tu pars au ski, tu joues les grands, l’appart pour 8 avec lits superposés dans la salle à manger-salon-bureau-buanderie, ca sent toujours des pieds, mais cette fois tu gueules un peu, les chaussures de ski c’est sur le balcon s’il vous plaît, les meufs ont investi la salle-de-bain, y’a un calendrier pour y entrer, c’est douche en alternance, faut pointer, on se lève tôt, on veut pas rater, le forfait à 800 balles, faudrait pas gâcher, départ glacial, temps de merde, on s’en fout, on est là pour skier, ouais ouais, premier resto d’altitude, premier vin chaud, première crise de motivation, scission des troupes, les glandeurs et les acharnés, les transats-soleil et les pistes-noires-ampoules-aux-pieds. Y’a toujours le mec à la guitare, mais il la laisse un peu de côté, cette année, la musique on l’écoute, on se bat pour la mettre, à grand coup de coude dans les cotes pour changer de CD, de la grosse dance avant de sortir, pour se chauffer, y’en a un qui finit torse-poil sur le toit du chalet, on a forcé sur l’apéro, marque mon nom dans la neige quand tu fais pipi, c’est moyen drôle, mais merci. La deuxième partie des vacances commence à 22H, tournée des bars de la station, ca se frotte avec les saisonniers, on se perd de vue, rendez-vous officiel au pied des pistes à 9h au cas ou l’un d’entre nous finirait la nuit ailleurs qu’à l’appart, de toutes façons on a qu’une clé, alors si tu scotches pas avec la chef de bande, t’es condamnée à pieuter avec le premier hollandais bronzé sous peine de geler dans le hall d’entrée. On compare nos nez cramés et nos lèvres gercés, nos bleus et nos chaussettes trempées, t’oublie de te réveiller, tu te fais une ultime grasse-mat, toute seule à l’appart’, pendant que tout le monde est barré, tu savoures ce moment de solitude, tu te fais un petit-déjeuner au soleil, toute seule avec Libé, t’envoie des cartes postales, les jolies pour tes parents, les nazes pour tes potes, tu penses à la rentrée.

Maintenant tu bosses à plein temps, t’en as plein le cul d’ailleurs, alors les vacances, c’est un peu sacré. Tu veux partir sur une plage, avec personne à côté, juste le bruit de la mer, le soleil, un cocktail trop sucré, ton bouquin, tes lunettes, ta meuf, le bonheur si tu veux, quand tu veux, surtout te reposer. L’hôtel est vachement bien, y’a deux restaurants, un typique et un européen, c’est une formule all-inclusive, alors à l’apéro, on force un peu sur le Mojito, on plaisante, les yeux dans le vides, perdus dans le soleil qui se couche à l’horizon, carte postale vivante, le site Internet est crédible, t’en as pour ton argent, tu reviendras peut-être, pas dans le même pays, mais dans la même chaîne, pour la gentillesse du serveur et la qualité de l’accueil, pour le mini-club et pour la garderie, aussi. T’écoute encore de la musique, dans ton Ipod, au bord de la piscine, tu partages tes écouteurs avec ta nana, c’est neo-romantique, elle aime ca, un mix d’indie, de folk, et de bossa nova, rien d’agressif, de contestataire, rien qui ne se chante vraiment, ca se fredonne tout doucement, c’est elle qui trouve ta playlist honteuse pendant que tu te douchais, et quand tu t’approches, tu l’aperçois en train de murmurer qu’elle aussi, elle descendait de la montagne, sur un charriot chargé de paille, sur un charriot chargé de foin, la fille du coupeur de joints, la fille du coupeur de joints…

4 réflexions sur « Elle descendait de la montagne en chantant une chanson paillarde une chanson de collégien, la fille du coupeur de joints, la fille du coupeur de joints. »

  1. Joli texte… C’est fou comme on fait un bond en sensation de proximité et de complicité face à quelqu’un qui a les mêmes repères dans le passé, les mêmes souvenirs que nous…

  2. Géant. T’es arrivée par l’ascenseur de 22H43, et on cherche nos futurs.

    Ce qui est bizarre, en fait, c’est qu’il ne soit pas plus connu. Parce que Gérard Lambert, quand même…

    Bizz

  3. concernant la totalité de ton site : j’ai une envie fulgurante de pleurer.
    bonne chance !

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