Tu vas où quand tu pars ?

Je ne sais pas ce qui me fait partir là bas, la nuit, les yeux ouverts, quand rien ne bouge, juste l’écran sale de mon ordinateur, une chanson en boucle que je n’entends plus, le bruit de la chasse d’eau qui n’arrête pas de fuir, et dans mes yeux la falaise et la mer, la plage des mes étés de petite fille, les escaliers en bois qui craquent et l’odeur des serviettes qui sèchent sur le banc vermoulu de la cour en gravier. Les odeurs sont celles de l’été, mais les images sont en hiver, je vois le sable mouillé par la pluie, la plage vide, le radeau échoué, au loin l’hôtel biscornu planté là comme par hasard, mon point de vue est toujours le même, c’est le chemin de ronde, celui qui monte en rentrant du port. La barrière blanche fatiguée empêche les curieux de se jeter sur les rochers, et mon esprit flotte quelque part entre le sol et le ciel, en résidence secondaire. J’ai cette photo animée imprimée dans la cornée, en tâche de fond, et je ne m’en débarrasse qu’après plusieurs mouvements de paupières, bien conscients, comme s’il fallait partir, m’aider à décoller de mon point d’observation, fini la récré.

Flippée comme je suis du moindre événement corporel, je devrai déjà être en train de dévorer les forums et le Vidal à la recherche d’une possible pathologie, d’un cancer du nerf optique ou d’une tumeur maligne. De toutes façons, quelque soit ton symptôme, Google te diagnostique toujours le Sida, le cancer ou une infection urinaire. Et te propose toujours de te traiter à l’aide de médicaments achetés au Mexique, ou par l’insertion de produits courants de consommation dans différents orifices. Cette fois, je passe mon tour, je ne cherche même pas. Je fais mon petit voyage intérieur, je m’envoie ma petite carte postale, tranquille. J’ai mon billet de retour, je rentre quand j’ai envie. Je choisis pas encore tout à fait l’heure de départ, mais tant que ca ne m’arrive pas au rayon Charcuterie ou en pleine session de recrutement, ca ne me gêne pas vraiment.

Le plus étrange dans cet état demi-second, c’est que je suis parfaitement bien. Parfaitement rien. C’est l’immobilité qui me sort de ma veille prolongée, les yeux qui piquent d’être restés ouverts. Vieille chouette. Je ne crois pas aux esprits, je ne crois pas aux fantômes, aux manifestations, mais je me demande parfois si je n’y vais pas vraiment, pour un court instant. Si ma tête ne s’échappe pas, ne voyage pas, ne me quitte pas. Elle prend le vert, quelques micro-secondes. Elle va regarder les mouettes, retrouver son pote Julien qu’elle avait avant. Le temps de quelques respirations. L’iode, l’air marin, il paraît que c’est très bon.

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