Pourquoi tu tiens un blog ?

Pourquoi, parce que, pourquoi pas ? Voilà. C’est pas compliqué. Au début au moins. Parce que l’exercice est nouveau, que tu trouves l’inspiration un peu partout, que tu n’hésites pas à te retourner le psyché pour raconter un truc qui compte vraiment, un truc vraiment signifiant. Et puis il y a les petites choses de la vie, les minutes hors du temps qu’on se cale dans la mémoire pour plus tard, et qu’on vient raconter là, pour saisir quelque chose d’extra-ordinaire. Et puis les moment où t’as envie de gueuler, d’égorger un chien mort ou de te moquer, et où tu retrouves avec un certain plaisir ton « espace personnel sur le web », je suis chez moi bordel. Voilà pourquoi je blogue, tout en détestant ce mot, et surtout le statut de blogueuse, ce mot complètement vide de sens. Pas d’annonce de visiteurs, pas de backlinks et de SEO, pas de listes de mots clés de recherches foireux, non, pas de ça chez moi, merci. Pas de blogueurs invités, pas de publication sponsorisée, une réponse toujours négative aux propositions, je ne m’imagine pas coller des publicités découpées dans mes carnets, dans mes blogs déconnectés, pourquoi le faire ici ?

Pourtant, j’écris pour être lue. J’ai mis longtemps à me réconcilier avec l’idée. J’ai l’impression d’écrire avec moins de force quand je m’efforce de plaire. C’est idiot. Le plaisir que je prends à écrire un billet est souvent inversement proportionnel à la réaction qu’il va engendrer. C’est un bon rappel à l’humilité. Quand je crois pondre un truc assez cool, bien ficelé, qui claque sa chatte, et que je surveille le nombre de Like et de RT, je suis toujours déçue. Comme si les gens voyaient clair dans mon jeu. On ne récompense pas le melon chez nous, Miss Marx, passez votre chemin et continuez à gratter. Message reçu. La vanité, l’orgueil, voilà les IST que tu chopes quand tu te mets à bloguer. Elles sont parfois sans symptômes, pas de démangeaisons, pas d’écoulements verdâtres au coin des lèvres. Elles se réveillent comme un putain de bouton d’herpés, t’as honte de ta purulence, tu voudrais la faire taire, la planquer. Fière de quoi putain ? Fière pourquoi ? Et puis elles se rendorment, pour quelques semaines, quelques mois, en attendant la prochaine crise, le prochain commentaire qui te donnera envie de te la péter.

J’écris moins ici. J’ai arrêté de m’obliger à le faire. Fin du défi. J’écris maintenant pour gagner ma vie. C’est le grand changement lié à ce blog, tout de même. On est encore loin du paradis fiscal. Mais les choses prennent forme, petit à petit. J’écris sur tout et sur n’importe quoi, au kilomètre ou dans des cases dédiées, à la chaîne ou en artisanal, mais j’écris. J’ai un roman, presque terminé, sauvegardé bien au chaud dans un dossier. Je n’ai aucune idée de ce qu’il vaut. Je ne sais pas encore si je l’enverrai à des « vrais », à des gens du métier, à des éditeurs. Pour l’instant, je savoure le sentiment d’accomplissement. j’ai réussi, j’ai tenu mes objectifs, je me suis prouvée que je peux tenir une histoire sur plus de trois paragraphes. Je ne suis pas prête à abandonner cette petite fierté pour le moment. J’ai bien le temps de me prendre des lettres de refus dans les dents.

C’est long, putain.

Trop de courbes dans ma vie. La courbe de mes hanches, celle de mon cul, celle qui fait le tour de son coeur, celle qui détermine ma température et celle qui m’annonce l’arrivée de mes menstrues, la courbe de mon humeur, la courbe de mon angoisse, graphiques incessants pour contrôler ce qu’on ne peut pas quantifier, ce qu’on ne peut pas toucher. Compter et recompter, tenir ce blog, écrire un journal, mon petit carnet, la liste des courses et des factures à payer, la liste des impératifs, les choses à ne pas oublier, écrire pour me forcer à exécuter, comme si le papier rendait tangible la nécessité d’agir, le besoin d’avoir quelque chose à rayer, à raturer, la satisfaction débile du devoir accompli, pour le moindre acte basique, se féliciter, comme un enfant devenu propre, je me congratule du moindre effort et de la moindre envie, prendre ma douche tous les jours, descendre la poubelle, répondre au téléphone, tout cela devrait me donner le droit à au moins 12 bons points dorés dans mon album. C’est le problème des courbes, des systoles et des diastoles, des descentes et des plateaux, des secondes et des heures qui se mélangent pour devenir grises, se multiplier et se perdre. C’est l’impatience, et les souvenirs acidulés qui remontent sur ma langue des étés sans notes et sans routine, je n’arrive pas à les saisir, ils m’échappent encore, se moquent et repartent se cacher, courir est inutile, j’attends qu’ils reviennent, résignée.

Les pieds qui traînent, la route comme déformée par le poids éléphantesque de chacun de mes pas, putain, c’est long cette remontée du vide, du rien, c’est tellement long, tellement solitaire, tellement frustrant parfois, compter les pas en plus, chacun, ne pas les oublier, remercier et bénir, chemin de croix, les autres comme des ombres, fantômes, parfois rêves agréables, parfois poltergeists insupportables, prendre sur soi. Demain n’est plus loin, je n’ai plus peur du noir, j’ai juste peur que demain soit à nouveau rempli de rien, de gestes décousus et incapables, de tentatives mornes et de victoires minuscules, se raccrocher aux phrases des autres, ceux qui ont réussi, comme aux branches d’un arbre de vie, slogans baltringues pour paumés anonymes, chaque jour compte, chaque minute, chaque seconde, se bouffer son orgueil en pleine face, sa suffisance, son intelligence, accepter que ton cerveau te ment, accepter de fonctionner autrement. Exercice de style, pas seulement pour un paragraphe, pour une dissertation, mais pour le reste du temps, celui-la même qui refuse de jouer dans mon camp, trop vite ou pas assez, reste à nous réconcilier.

Size of the Union

Les grosses veulent être comme tout le monde. Elles demandent l’égalité de traitement en tout, la non discrimination à l’embauche, au crédit, à l’accès au soin, mais aussi à l’amour, à la représentation médiatique, aux fringues, à l’entrée en boite.  Vaste combat. Le droit à la différence dans l’indifférence, disait Anne Zamberlan, figure controversée des premiers mouvements de Size Acceptance en France. Être soi sans avoir à se justifier, sans avoir à demander pardon de prendre plus de place que son voisin, avoir le droit d’être entendu et soigné, d’accéder aux mêmes promotions et aux mêmes opportunités. Faire accepter, par la douceur ou par la force, par la flatterie ou par le gavage, que les attirances sont multiples, que la beauté est diverse, et que les kilos supplémentaires sur nos cuisses ne s’affichent pas en négatif neuronal dans nos cerveaux bien irrigués. Combattre les clichés des grosses soumises, juste bonnes à baiser et à jeter, des grosses bêtes et incapables, des grosses molles et apathiques. Les choses avancent. Il y a 10 ans, quand j’ai commencé à m’impliquer dans le mouvement Size Acceptance, il n’y avait pas une grosse à la télévision. Ca peut paraître négligeable. C’est en fait très significatif. Il y a 10 ans, une émission comme Belle Toute Nue, aussi caricaturale qu’elle soit, n’aurait jamais eu droit d’antenne.  Il y a 10 ans, nous nous battions encore pour obtenir les budgets pour des IRM à champs ouverts pouvant acceuillir les patients les plus obèses, jusqu’alors privès de diagnostics et de traitements. Il y a 10 ans, le Dr Cohen faisait ses débuts télévisuels sur M6 dans « J’ai décidé de maigrir », il est devenu le médecin nutritionniste le plus médiatisé après Dukan, avec livres, site internet, émissions et apparitions publiques. Il restera pour moi Dr Prozac, puisqu’à l’époque il appliquait comme première intention thérapeutique d’amaigrissement la prescription systématique ou presque de 3 mois sous cette molécule.

Je ne suis plus militante encartée grosse depuis presque 5 ans. Je garde un chien de ma chienne au système associatif, qui semble être une vaste farce dédiée à la masturbation de l’ego plutôt qu’au véritable travail. Et puis j’ai grandi, j’ai ouvert mes yeux sur des enjeux plus importants, qui débordent du cadre de mes bourrelets. La très grande violence qui est réservée à la femme dès qu’elle ne correspond pas aux attentes esthétiques du monde s’étend à la condition de la femme tout court. A celles qui veulent faire ce qu’elles veulent. De leur cul, de leur tailles, de leur poids, de leurs vagins, de leurs carrières. Je ne quitte pas des yeux les évènements organisés par les grosses qui se remuent, pour voir ce que ca donne. Et je suis assez critique. Parce que je ne supporte pas d’être mal représentée. Parce que j’ai bêtement l’impression d’avoir donné de mon cul pour cette histoire, avant elles. Le traumatisme de l’ancien combattant ou un truc débile dans le genre. Je n’en suis pas fière, mais je n’arrive pas à me dire que ça ne me concerne pas, même juste un peu. Je visite chaque jours les sites et les blogs des acteurs actuels de la Size Acceptance. Et tout ce que j’y trouve, c’est : fringues, régimes/opérations. Comme récemment avec Osez le Féminisme, qui n’envisage la femme que sous ses traits victimaires simplistes (victime de viol ou privée de plaisir sexuel)  on réduit la grosse à son expression la plus simple : elle est une femme, donc elle parle chiffon, et elle est en surpoids, donc elle cherche à maigrir. Aucune autre réflexion. Juste la surconsommation encore, des solutions rapides et illusoires pour se débarrasser en 1 mois d’un gras acquis en 10 ans, des soldes, des soldes, des soldes, des soldes, des soldes, des soldes, des soldes.  Il ne s’agit pas d’attendre que chaque grosse se mette à brûler sa gaine en signe de révolte dans un grand mouvement de révolte, et je ne m’attends pas à trouver des textes engagés sur les blogs de FaTshionistas, mais mêmes les sites comme AllegroFortissimo, ViveLesRondes, PulpeClub, ne font plus rien. Rien. Juste conseiller des formes de maillots de bains. Mais merde putain. Bien sur que c’est génial de pouvoir retrouver la confiance nécessaire au bronzage en public. Mais y’a pas autre chose à faire, autre chose à développer, à penser ?

Ce qui me choque le plus, c’est la recrudescence des élections de Miss Gras Double. Je suis mauvaise, je sais. Chaque région a maintenant son comité officiel de Miss Ronde. Et elles sont toutes super contentes de ressembler aux vraies Miss. De faire pareil que. De se transformer le temps d’une soirée en potiche stupide. D’être enfin jugée uniquement sur leur physique. YOUHOU JE VAIS M’ACCEPTER PARCE QUE JE VAIS ETRE JUGEE COMME UN BOUT DE VIANDE YOUHOU. Et elles se retrouvent des semaines à l’avance pour préparer leur défile, leur choré, et ca glousse et ca se colle des paillettes dans les cheveux pour être la plus belle pour aller danser.  Et devant le parterre énamouré des conjoints et des familles convoqués pour l’occasion, dans un dancing glauque de zone industrielle, elles vivent leur grand moment en robe du soir, avec discours larmoyant sur les kilos en trop et la volonté d’être jolie pour toute la vie. Et ca ne sert à rien. Et ca ne change rien. Et ca renvoie encore une fois l’image des grosses ghettos, qui se jugent entre elles et qui imitent les vraies, les authentiques, les maigres. Et c’est pathétique.

Clic Clic Boum

C’était pas facile ces derniers temps. Depuis quelques années. Ça n’avait jamais été simple, en fait. Je n’ai jamais été à la hauteur de rien. J’ai raté mon mariage comme j’ai raté ma vie professionnelle. J’ai menti à ma mère, j’ai volé, j’ai trompé, mais j’ai toujours cru que je le faisais pour m’en sortir. Je pensais que j’allais y arriver. Que la porte de sortie n’était jamais loin. Qu’il suffisait qu’on me laisse ma chance, qu’on me laisse le temps. Je regarde mes enfants grandir avec la certitude d’être un père fantôme, une ombre chinoise derrière un drap tendu, juste une forme qu’on agite quand on en a besoin. Je vais le dire à ton père. Attend que ton père rentre. Tu vas voir ce que ton père va dire. Ton père n’a rien à dire. Ton père se débat. Ton père choisit un métier qui l’éloigne cinq jour par semaine de la maison pour ne pas craquer. Ton père n’a pas pu régler la totalité de la facture de l’école pour ce trimestre. Ton père a du aller négocier avec l’économe du lycée pour que tu puisses continuer à manger à la cantine cette année. Ton père du dimanche, celui qui te réveille pour aller à la messe en famille, pour serrer la main du prêtre à la sorte de l’office, celui là même qui dort avec une autre femme pendant la semaine et qui erre d’hôtels en hôtels sur des départementales désertes.La voiture arrêtée, moteur froid, sur un parking, le cerveau qui tourne à vide. L’image de la réussite.  Ton père en chemise et en pantalon de toile, ta mère en bermuda et en chaussures de bateau, cliché parfait du couple nantais, catholique et fier de l’être, BCBG désargentés, pulls en cachemire troués. Pas d’argent. Plus d’argent. J’en invente, j’en promet, j’en fais trop, je supplie et j’en refuse de l’autre côté. Et Agnès. Perdue, retrouvée. Et perdue, encore, éloignée, froide, déçue, frigide, amoureuse de son dieu, qui me la prend, qui me l’arrache.

Dieu partout. Omniprésent. Chez les autres. A l’intérieur de moi. La peur de ne plus y croire. Tout ça c’était pour rien. Tout ça n’existe pas. Les groupes de prières, les scouts, les messes, les pèlerinages, les rassemblements, une vie passée, organisée socialement autour d’une seule hypothèse. Ma mère, qui ne me parle pas, mais qui lui parle, à lui. Ces discussions interminables dans la cuisine, le café coagulé au fond de la tasse en grès, les versets et les catéchismes, les rencontres en secret avec le père spirituel, le confesseur, l’abbé, messagers aux visages couperosés de celui qui refuse de se montrer. Tout s’expose, tout explose. Quelque chose ne fonctionne pas. Quelque chose est cassé, je ne me répare pas. Mon salut, l’ultime porte de sortie, la promesse faite au peuple obéissant, je ne le vois plus. La fenêtre se ferme. Il n’y a plus rien d’autre que le monde du maintenant, le monde du présent. Tout se referme. Panier de crabes. Ils cherchent tous à me faire tomber. Ils savent. L’agent et puis l’autre femme. Les dettes, les rumeurs, mes absences, ma société. Je suis à poil. Plus rien à cacher. Les apparences seulement, pour les voisins, les copains, garder la tête haute, s’engueuler en silence, en regards. Ne rien dire aux enfants, ne rien laisser filtrer. Laisser penser à l’autre qu’on rentre en contrition. Qu’on cherche des solutions. Qu’on prie avec lui. Savoir au fond de soi qu’on va partir. D’une manière ou d’une autre. Imaginer son corps froid sur le carrelage de la salle de bain. Penser aux dettes qu’on laisse, à la honte pour sa famille, à l’enterrement grotesque pour le mari suicidé qu’on déteste. Oublier l’idée. Ils ne supporteront pas cette vie. Ils ne pourront pas vivre sans. Sans moi. Sans les choses. Sans l’idée qu’ils ont d’eux. Sans l’idée qu’ils se font de la vie. Ils n’ont pas eu de révélation. Ils n’ont pas compris. Organiser leur départ comme on peint la Cène. Un dernier repas. Ni Judas, ni Jésus, juste leur laisser croire encore quelques minutes que tout ira bien. Que tout est normal. Que rien ne va changer. Pour l’éternité.

Les parkings à perte de vue. Zone industrielle, zone artisanale, hypermarché, les mêmes néons la  nuit sur le capot fatigué de ma voiture-maison. Mon nom en gras aux devantures des maisons de presse, aux informations. Je comptais me raser la tête, mais c’est inutile. J’ai gardé mes cheveux, mais j’ai brûlé  mes papiers, après une nuit d’hôtel mouvementée. J’ai passé la nuit barricadé dans ma chambre, à guetter le moindre bruit, la moindre lumière. J’étais sur que la réceptionniste m’avait reconnu. Elle avait souri, juste quelques secondes de trop. La bouche un peu trop grande, les lèvres un peu figées. J’attendais les forces de l’ordre. J’étais résigné. Au matin, personne. J’ai pris une douche, je suis descendu petit-déjeuner. Comme pour me prouver que j’étais invincible. Le personnel a été charmant. Je suis reparti à 10h, avec l’envie de voir la mer, de me baigner. Je ne pense plus à rien maintenant. Je ne sais pas où je vais. Scotché sous le siège passager, le pistolet et le silencieux. Chargé. J’attends d’avoir le courage. J’attends de ne plus avoir envie de rien. Les jours sont de plus en plus longs. J’ai vu la mer. J’ai dormi à la belle étoile. J’ai pensé à fuir en Italie. J’ai visité. J’ai écouté les gens parler. Ma carte routière se brise aux plis. Je n’ai pas de regrets. Je n’ai plus rien. Un trou noir avant. Rien devant.

Chacun cherche son chat. Ou un truc.

Donc je cherche mon chat. Je ne parle plus que de ça. Le temps que je passais à glander, à écrire ou à rêvasser, je le passer à arpenter de long en large les allées de mon quartier, un paquet de croquettes à la main, l’air désespérée. Une fois au réveil, une fois dans l’après-midi, une fois en début de soirée, et une fois en pleine nuit. J’me promène. Je croise d’autres chats que j’engueule. Je croise des gens qui me regardent comme si j’étais folle. Et puis il y a ceux qui s’arrêtent. Qui me demandent. Qui prennent mon petit papier. Qui me parlent de leur chien, de leur chat, de leur fils ou de leur rat. La grande solidarité des gens qui perdent quelque chose ou quelqu’un quelque part. Sans distinction d’échelle de peine ou de gravité. Ce sont uniquement des femmes. Souvent, elles ont un âge certain, et elles promènent un petit chien au bout d’une laisse rétractable. Elles se postent d’abord à quelques mètres de moi. Et puis elles osent. Elles m’interpellent. C’est vous qui cherchez votre chat ? Et la discussion commence. Elles écoutent un peu. Elles parlent surtout. De leurs animaux. De leurs enfants. De leurs maris. Et quand elles en ont trop dit, quand peut-être elles se rendent compte de ce qu’elles viennent de partager avec la grosse blonde au petit papier, elles repartent trop vite, tirant derrière elles le chien haletant,  avec la promesse de garder l’oeil ouvert, de chercher pour moi, de ne pas abandonner. Je ne sais pas qui abandonne qui.

Et puis il y a cette dame qui vit juste à côté. Elle m’a appelé en numéro masqué suite à mes affiches. Elle m’a donné rendez-vous hier soir, vers 23h, dans un parking. C’était très secret. Elle m’a dit qu’elle allait me faire connaître les meilleurs coins à chats. Qu’elle voulait m’aider. Je vis pas dans l’endroit le plus cool du monde. J’étais pas super rassurée. Je l’attendais à l’angle de la poubelle et du parking, et j’ai vu arriver un petit bout de bonne femme, qui devait peser le tiers de mon poids, la queue de cheval impeccable, l’air décidé. C’est une protectrice. Une dingue de chats. Elle passe sa vie à sauver les errants, à les soigner, à les nourrir, à les faire castrer et stériliser. Elle a 14 chats. Elle ne compte pas s’arrêter là. Elle adore ca. Les petits, les grands, les vieux. Ce qui m’a frappé, c’est qu’elle n’avait pas un seul poil de chat sur ses vêtements. Elle était nickel. Moi je n’ai qu’un chat. Et il s’est barré. Et pourtant je suis encore couverte de poils. Elle doit avoir un secret. Elle a retracé les pas de mon chat en fuite. Elle a pensé comme mon chat. Elle m’a proposé des pistes à suivre, des points à visiter à heures fixes. Elle est restée avec moi pendant une heure, dans la nuit, planquée dans les fourrés, à épier et à miauler. Elle était géniale. Complètement étrange. Mais incroyable.

L’autre nouveauté, c’est l’inconnu du parking. Juste devant mes fenêtres. Un mec que je croise de temps en temps. Pas très net. Je l’avais classé dans la catégorie toxico, avec ses chiens de punk, ses tatouages à l’aiguille et à l’encre de chine, et ses hurlements sous 8,6°. J’ai peut-être pas tort. Ce que je ne savais pas, c’est qu’il vit là. Juste devant mon salon. Dans cette voiture qui ne démarre jamais. Je faisais l’inspection des moteurs avec ma lampe de poche quand il a ouvert la porte. L’intérieur de sa portière est capitonnée de bois. Je n’avais jamais fait attention. Il m’a demandé ce que je cherchais, si j’avais besoin d’aide. Je lui ai expliqué. Lui aussi, il m’a parlé. De ses chiens. Il a deux bergers allemands. De ses parents, qu’il ne voit pas depuis 5 ans. Il m’a dit qu’il voyait beaucoup de chats passer. Qu’il ferait attention. Il m’a demandé si je voulais bien lui laisser une affiche, pour qu’il puisse bien se souvenir de la tête de mon chat. Je lui en ai donné une. Il avait l’air surpris. Il m’a dit merci. J’ai dit merci, aussi. On s’est quitté comme ca.

Cat in the hat

J’voulais pas faire de billet sur mon chat. Parce que je suis pas une putain de blogueuse à chat. Parce qu’Adamo ne passe pas son temps à être super mignon, à rentrer comme un con dans des boîtes vides ou à porter des chapeaux de cow-boys, à poser pour le polaroïd. Non, pas trop le genre. C’est plutôt le genre à vivre sa vie et à se coller contre ta cuisse quand tu bosses, sans trop te déranger, juste pour te chauffer un peu le dos du muscle. Quand je dors, il se love dans mon dos, et comme je bouge beaucoup la nuit, je déborde sur son territoire. Au lieu de se casser,  il reste là, écrasé, en train de ronronner comme un gros fétichiste. C’est lui qui m’empêche de me lever le matin. On s’engueule pas mal, rapport aux poils et aux pipis sur les T-shirts dans la salle de bain. Mais on est en symbiose. On se cause. Il me griffe les mollets quand j’ai du thé brulant dans les mains. Je le traite de blogueuse angora. C’est de bonne guerre, tout ca.

Hier soir, mon chat s’est cassé. Pouf. Disparu. Envolé. C’est con hein. Il était là. Et puis, hop. Il était plus là. Aucune idée de ce qui a pu se passer. J’ai passé des heures à le chercher dans le noir. J’ai passé des heures à chialer. Et, à dire la vérité, j’ai toujours pas arrêté. Je traîne sur les forums d’associations de mamies à chats, et la moindre histoire de retour du poilu prodigue déclenche l’équivalent des chutes du Niagara. C’est normal, je suis hypersensible, il faut réduire le volume par 10 pour avoir une idée. Disons que je chiale une Garonne. C’est con hein. J’arrête pas de me dire ça. Que c’est trop con quand même. Tout ça pour un putain de chat. Mais ce soir il pleut, et puis comme par hasard, il fait un peu froid. Alors je regarde le parking glauque en bas de chez moi, et j’me demande ce qu’il fout, ce con de chat. S’il est planqué dans le parking, avec une tonne de rats et d’autres potes chats, ou s’il est tout seul dans un tuyau, tout mouillé, tout pouilleux, tout las. Alors je re-chiale, un coup. Juste comme ca. Toute la journée je me suis dit que j’allais le retrouver. Qu’en rentrant il serait là. Que c’était un coup pour rire. Un genre de blague de con de chat. J’avais laissé de la bouffe sur la balcon, les portes ouvertes, je pensais vraiment qu’il serait là, l’air débonnaire, assis sur son gros cul, à se foutre de moi. A la place, j’ai été coller des conneries d’affiches avec mon numéro de téléphone et sa description, et je suis à peu près sure que dès demain, je vais avoir droit à des coups de fils genre « hey madame j’ai vu ta chatte ». Super. Mais que je ne le retrouverai pas.

J’ai lu qu’il y avait une technique imparable pour faire revenir le matou vagabond. Faut se poster au même point toutes les heures à la tombée de la nuit, et secouer de la croquette en appelant. Tous les jours, jusqu’à ce qu’il revienne. Je l’ai fait ce soir. Je le ferai surement demain. Seulement, dans mon habitat urbain à forte concentration, ca passe moyennement bien. Quand je siffle, y’a toujours un connard pour me répondre en sifflant. J’ai l’air de secouer ma gabelle, au milieu du parking, c’est folklo. Demain j’irai voir les mômes qui jouent au foot en bas, ils me fileront peut-être un coup de main. Peut-être pas. Tout ca pour dire que j’ai perdu mon chat. Et que c’est incroyablement douloureux. Et que je me sens débile. Et conne. Et stupide. Et faible. Et irrationelle. D’être dans un état pareil, pour un putain de chat.

Pauvre Baby Doll

Tu sais comme ils te disent que l’important c’est pas vraiment d’avoir un père, mais plutôt d’avoir une figure masculine, quelqu’un sur qui projeter, quelqu’un sur qui passer ton Oedipe, quelqu’un qui t’aimera tout pareil, quelqu’un qui pourrait même être une femme, un épouvantail pour tes colères et tes fantasmes, une statue du commandeur à dézinguer. C’est ce qu’on raconte aux mères seules, aux femmes et aux couples de femmes homosexuelles qui procréent ou qui adoptent, à tous les utérus qui traînent sur le bord de la route par choix ou par accident, aux mômes qui inventent la signature d’un père sur le carnet de correspondance au lycée, quitte à ne pas avoir de paternel, autant s’en fabriquer un, autant qu’il serve, les mots d’absence écrits de ta main deviennent vrais. J’ai pas vraiment d’avis sur la question. Je n’ai pas de vraie figure paternelle autour de moi, pas de grand-père, d’oncle ou de grand frère à aduler et à brûler. Ca a failli, et puis ca a raté. Y’a bien un mec qui me cause, à l’intérieur, quand je vais pas bien, un mec qui me rassure. C’est vrai, il ne m’offre pas de cadeaux à Noel, il ne m’appelle pas pour mon anniversaire. D’ailleurs il ne sait même pas que j’existe. Mon père à moi, dans ma tête, c’est Eddy Mitchell.

Je sais que c’est pas mon vrai père. Je suivrai pas sa dépouille en pleurant, j’irai pas lui arracher un morceau du prépuce pour faire un test ADN dans dix ans. Mais entre Schmoll et moi, y’a un truc qui passe. Tu peux penser ce que tu veux, le comparer à Dick Rivers, se foutre de la gueule de ses reprises à la française, de sa période yéyé. Vas-y. C’est pas ça qui compte. Le truc le plus marrant, c’est que je ne sais rien de lui, de sa vraie vie, d’où il habite, du nom de sa femme ou de ses enfants. Pas fan hystérique, la fille. Je ne sais pas vraiment expliquer. C’est comme avaler un Lexomil avant de prendre l’avion, le laisser fondre sous sa langue et sentir tes épaules redescendre, ta mâchoire se décontracter, tes ongles se rétractent de ta peau, et tu prends le temps, de regarder par le hublot, les nuages et puis l’eau. Il me fait ca, Eddy. Il m’apaise.Parfois je tente de trouver des explications logiques à ce réflexe neurologique. J’écoute les paroles. Je fais attention à la musique. Ca ne m’apporte rien de plus. Cimetière des Eléphants. La Fille du Motel. J’ai oublié de l’oublier. Pauvre Baby Doll. Chain Gang. J’vous dérange. Nashville ou Belleville. Celle qui t’a laissé tomber. C’est la maison dans mes oreilles. L’impression de retrouver ma couette. Ou les bras de mon père. Celui que j’aurai pu avoir. Un mec à la voix rauque, avec un cuir. Un mec avec le coeur gros et une dégaine de voyou à la Renaud. Et puis on chante, Eddy et moi, on arrête pas, en duo, dans la chambre et dans la salle de bain, en acoustique dans les couloirs du métro, accapella dans l’escalier. Je fais la voix haute, il fait la basse, il veut jamais échanger.

J’ai pas de photos de mon père. J’ai pas de poster d’Eddy Mitchell. J’ai une idée des deux. Je peux pas m’engueuler avec le vrai. Je ne peux pas lui parler. Pareil avec Eddy. Sauf qu’il me laisse plutôt tranquille. Jamais une remarque. Jamais un mot en trop. Et quand il me saoule, j’appuie sur Stop, et je le zappe à grand coup de Noir Désir, d’Assassin ou d’NTM. Ta gueule putain. Sale loser de rocker français en bottines de merde. Mais je reviens toujours. Parce qu’il me manque. Pas comme avec le vrai.

Gleeden-Zizi-Panpan-Blogo-Buzz

Gleeden, le site de rencontre pour personnes mariées qui cherchent à niquer des personnes mariées en toute confidentialité, se payait récemment les services d’une campagne auprès des blogueurs, relayée par Ebuzzing dans les termes suivants :

ANGLE DE VUE : Je t’aime et je te trompe : 53% des français interrogés estiment qu’il est possible d’aimer son ou sa partenaire tout en lui étant infidèle. Enquête IPSOS* (*Enquête réalisée en octobre 2010 auprès de 1 501 Européens dont 500 Français par Ipsos à la demande de Gleeden.com, première plateforme de rencontres extraconjugales).

Nous voudrions orienter l’article de manière à ce que l’infidélité puisse être considérée comme un moyen de sauver son couple, puisque cela permet de s’épanouir différemment. Le point de vue est plutôt féminin et s’appuie sur des chiffres de l’enquête IPSOS et sur l’enquête Gleeden. L’article soulève la question de l’infidélité comme secret de longévité du couple et cite Gleeden comme exemple.

Les blogueuses qui ont choisit de gagner de l’argent en participant à cette campagne acceptent donc le parti pris suivant : niquer ailleurs dans le cadre du couple permet à celui-ci de survivre. La question de l’infidélité n’est donc pas à évoquer sous l’angle de la confiance mais du bien-être, du mieux-vivre. Baiser sa maîtresse, avoir un amant, c’est du yoga, qu’ils te disent. C’est rigolo. Non vraiment. Parce que si tu t’amuses à remonter les blogs et les billets des participantes, ca parle plutôt de Prince Charmant, de familles, de rencontres, ca cause féminisme un peu, de cul avec humour, de libertinage soft parfois, mais jamais d’infidélité à la cool. Jamais je n’ai croisé de billet « SUPER, MON MEC ME TROMPE GRACE A GLEEDEN !! ».

Car il ne s’agit pas ici pour Gleeden d’évoquer les autres formes de sexualités ou d’amour possibles, le polyamour, l’échangisme, le mélangisme, la polygamie, la polyandrie, la pansexualité, ou toute autre forme ou définition de « plusieurs trous +/- plusieurs bites +/- plusieurs coeurs ». On est bien ici dans l’infidélité classique, celle qui alimente les comédies de boulevards, celle du démon de midi, de la crise de la quarantaine, celle des débuts d’une relation, quand rien n’est sur et qu’on se cherche encore, des milieux trop creux où l’on se rassure ailleurs, et des fins dramatiques, où les autres deviennent des prétextes à tout jeter, à tout effacer, à tout recommencer. L’infidélité, c’est cacher à l’autre qu’on fourre ailleurs, pour faire simple.

Cette campagne vise les femmes. Et oui, il faut de la chair fraîche à Gleeden, puisque selon leurs statistiques seulement « 37% des membres sont des femmes mariées ou en couple ». On leur sert donc le couplet de la liberté, du féminisme éclairé par la force du pénis inconnu :

Plus libres, plus indépendantes, elles assument enfin leurs envies et reconsidèrent leurs principes. La plateforme Gleeden est d’ailleurs pensée au quotidien par une équipe féminine. Régulièrement le site Gleeden collabore avec de nombreux experts (psychanalyste, écrivain, journaliste, astrologue…) pour traiter des sujets de fond concernant la liberté au sein du couple.

Si tu ne trompes pas, tu es une femme archaïque, tu subis encore le joug terrible de ton mari, tu es soumise à ton compagnon qui a pris possession de ton vagin. Et d’ailleurs c’est forcément vrai, puisque ce sont des femmes payées par Gleeden qui le disent. Ne me demandez pas ce qu’un astrologue peut avoir à dire sur votre relation de couple ou sur vos envies d’aller toucher la chatte à la voisine, mon expertise s’arrête ici. Gleeden s’enveloppe d’un paquet de précautions, de chiffres et de statistiques pêchées en son nom pour se déguiser en quelque chose de frais, de tendance, d’acceptable : vous n’êtes pas ici sur l’équivalent marital de Net-Echangisme ou de Zizi-Panpan.com, mais vous appartenez à une communauté, vous partagez, vous grandissez, vous allez mieux grâce au grand Gleeden. Mais bien sur…

Autre statistique intéressante exploitée par Gleeden :  « 22% des personnes interrogées pensent que l’infidélité permet de sauver son couple en s’accordant des moments de liberté ». Pourquoi pas. Mais ce qui est vraiment intéressant, c’est de se demander comment la question a été posée. (Enquête réalisée par Gleeden.com auprès de 2000 femmes françaises inscrites sur Gleeden. Echantillonnage de femmes âgées de 30 à 45 ans) Et surtout ce que pensent les 78% autres. On demande aux blogueuses qui relaient cette campagne d’écrire leurs billets en se basant sur cette statistique : tricher, c’est bon pour vous, c’est bon pour votre couple. Dans un petit quart des cas. Selon un pannel de 2000 femmes inscrites sur un site de rencontres coquines. Un vrai échantillon représentatif, n’est-ce pas ?

Pour continuer dans les chiffres : « Selon le sondage, 48% d’entre elles font l’amour avec leur mari seulement le soir, et pour 75% à n’importe quelle heure de la journée avec leur amant. » C’est à se demander si Gleeden ne prend pas les lectrices de ce communiqué pour des abruties. Les femmes interrogées entre 30 et 45 donc, sont encore susceptibles d’être actives, en entreprise ou au foyer, ou d’être les compagnes d’hommes actifs, et occupent donc leurs journées en semaine à d’autres activités que celles de la chair. Les activités extra-conjugales ont donc lieu en journée, à l’abri des soupçons de l’autre. A n’importe quelle heure de la journée, cqfd. On voudrait faire passer les horaires du coït conjugal pour un signe d’ennui, de faiblesse, de manque d’inventivité. C’est la vie courante, pour la majorité d’entre nous, ceux qui vivent avec des horaires de bureaux, des enfants, des diners, des apéros. Est-ce que ca nuit à notre sexualité ? Je ne crois pas. En tout cas, n’empêche pas les 52% restant de trouver d’autres moments pour se rouler dans la luxure.

Ce qui me gonfle dans cette tentative médiocre de Gleeden pour se déguiser en communauté respectable, c’est cette opposition haineuse entre les « fidèles » et les « infidèles ». Comme si ceux qui choisissent de se consacrer à un seul partenaire par relation manquaient forcément d’imagination, du fameux piment qu’il nous faudrait mettre dans nos culottes. Comme si on voulait imposer une nouvelle norme, en opposition à l’oppression du couple fidélo-centré, le couple cocu, mais content. Si encore, Gleeden prônait le couple libre, le libertinage, l’échange par la parole des experiences, j’aurai pu comprendre, rien de nouveau, il y a des centaines de sites de rencontres sexuels sur la toile où les hommes et les femmes affichent clairement leur statut marital sans honte, et se rencontrent entre eux.Mais Gleeden vend le secret, le mystère, le temps pour soi dans l’adultère comme on vend un abonnement à une salle de gym. Prenez un amant, vous vous sentirez plus belles mesdames (46% estiment que l’infidélité permet de doper l’estime de soi), trompez sans crainte, puisque c’est pour vous faire du bien, à vous, si délaissée par votre mari/partenaire. Sur la plateforme, les femmes peuvent « évaluer leurs amants« , comment imaginer quelque chose de plus sexiste ?