C’est long, putain.

Trop de courbes dans ma vie. La courbe de mes hanches, celle de mon cul, celle qui fait le tour de son coeur, celle qui détermine ma température et celle qui m’annonce l’arrivée de mes menstrues, la courbe de mon humeur, la courbe de mon angoisse, graphiques incessants pour contrôler ce qu’on ne peut pas quantifier, ce qu’on ne peut pas toucher. Compter et recompter, tenir ce blog, écrire un journal, mon petit carnet, la liste des courses et des factures à payer, la liste des impératifs, les choses à ne pas oublier, écrire pour me forcer à exécuter, comme si le papier rendait tangible la nécessité d’agir, le besoin d’avoir quelque chose à rayer, à raturer, la satisfaction débile du devoir accompli, pour le moindre acte basique, se féliciter, comme un enfant devenu propre, je me congratule du moindre effort et de la moindre envie, prendre ma douche tous les jours, descendre la poubelle, répondre au téléphone, tout cela devrait me donner le droit à au moins 12 bons points dorés dans mon album. C’est le problème des courbes, des systoles et des diastoles, des descentes et des plateaux, des secondes et des heures qui se mélangent pour devenir grises, se multiplier et se perdre. C’est l’impatience, et les souvenirs acidulés qui remontent sur ma langue des étés sans notes et sans routine, je n’arrive pas à les saisir, ils m’échappent encore, se moquent et repartent se cacher, courir est inutile, j’attends qu’ils reviennent, résignée.

Les pieds qui traînent, la route comme déformée par le poids éléphantesque de chacun de mes pas, putain, c’est long cette remontée du vide, du rien, c’est tellement long, tellement solitaire, tellement frustrant parfois, compter les pas en plus, chacun, ne pas les oublier, remercier et bénir, chemin de croix, les autres comme des ombres, fantômes, parfois rêves agréables, parfois poltergeists insupportables, prendre sur soi. Demain n’est plus loin, je n’ai plus peur du noir, j’ai juste peur que demain soit à nouveau rempli de rien, de gestes décousus et incapables, de tentatives mornes et de victoires minuscules, se raccrocher aux phrases des autres, ceux qui ont réussi, comme aux branches d’un arbre de vie, slogans baltringues pour paumés anonymes, chaque jour compte, chaque minute, chaque seconde, se bouffer son orgueil en pleine face, sa suffisance, son intelligence, accepter que ton cerveau te ment, accepter de fonctionner autrement. Exercice de style, pas seulement pour un paragraphe, pour une dissertation, mais pour le reste du temps, celui-la même qui refuse de jouer dans mon camp, trop vite ou pas assez, reste à nous réconcilier.