Ex machina

Et le silence. Quand tu te rhabilles. Quand tu cherches autour du lit tes chaussettes et ta ceinture. Tu n’es pas le seul à te taire. Je n’ai rien d’autre à dire. Et le poids de ton corps marqué dans le matelas trop mince. Et ce creux à l’intérieur de moi qui ne se comble pas. Et l’énergie qu’il me faut pour me retourner, pour poser les pieds sur le parquet et pour me relever. C’est fini. Le moment est terminé. Chaque chose à sa place. Chaque place a sa chose. Et ta chose c’est moi. Quelques minutes par jour seulement. Tes pas dans l’escalier, ta clé dans la porte d’entrée, tes bras enfin. Et puis plus rien. Je t’attends. Tu m’attends. Nous nous croisons sans nous voir. Sans oser nous parler. Sans oser hurler. Nous nous gavons de silence, des bruits seulement de nos respirations et de nos baisers. Un joli couple de taiseux. Un joli couple de peureux. Oiseaux exotiques pour cage triste.

Tu es mon lien. Tu es ma télévision, ma radio, mon journal et ma famille. Sans toi, je ne parle pas. Ma bouche peut rester closer des journées entières, sèche. J’oublie même de chanter dans la salle de bain. J’enfonce dans mes tympans les voix des autres, je n’ai jamais aimé le silence, c’est étrange. Tu es ma conversation. Celle qui m’empêche de dévorer ma langue en cannibale hystérique, découper en lanière ce morceau de viande inutile. Je suis fatiguée d’avoir oublié. Je suis fatiguée de ne pas y arriver. Je suis fatiguée d’essayer. Pourtant demain encore, en fermant derrière moi la porte de l’appartement, je tairai mon coeur qui me lance et mes yeux qui piquent. Je ferai un effort. Un autre. Pour quoi faire ? Je n’en sais rien. J’ai oublié. J’en crève pourtant. Du dehors. Des autres. De ne plus avoir peur. De regagner les vivants. J’en crève pour toi, autant que pour moi.

Amy et moi

J’ai appris la mort d’Amy Winehouse samedi soir. Un peu plus tard que le reste du monde. Le gros des condoléances virtuelles était déjà passé. On avait déjà passé ses albums en premières pages des sites de vente, par hommage, ou par avidité. On retransmettait les concerts où elle tenait debout, ces concerts pas terribles, où elle danse comme seule contre tous derrière un micro, où elle chante les yeux trop souvent baissés. Je regarde ces images et elle me fait l’impression d’un animal terrorisé. Le ska d’ouverture lui casse la voix, elle s’empare du micro avec peur, elle le jauge d’abord du coin dans l’oeil, comme si cette boule noire lui était étrangère, comme si elle ne savait pas quoi faire. Et puis elle se met à chanter. Elle n’a pas le ton parfait et arrangé de ses disques, du studio qui feutre les respirations et les erreurs, les fêlures et les hoquets. Elle est plus aiguë, moins rauque, moins posée. Plus réelle peut-être, plus abîmée déjà sans doute.

Je ne lui ai jamais porté de culte. J’ai aimé ses albums, sans jamais les acheter, j’ai parfois écouté certaines de ses chansons comme pour enfoncer un clou dans mon cerveau trop mou, en boucle et très fort. On retourne tous au noir, sans fondu, de manière brutale et souvent grotesque. Comme elle. Brutale et grotesque. Comme ma manière de me reconnaître en elle. Pas pour les tatouages ou les cheveux, pas pour le crack ou pour ses goûts en matière de garçons. Dans sa façon de vivre vite et fort, et de retomber toujours plus bas, toujours plus noir. Je ne sais pas si j’ai de la peine pour elle, pour sa famille ou pour ses vrais fans. Je ne crois pas. Je porte surtout le deuil de l’Amy Winehouse que je porte en moi. Celle qui comprend pourquoi on peut boire, fumer ou avaler n’importe quoi pour faire taire ce qui hurle à l’intérieur. Celle qui ne maîtrise pas totalement le sens de son humeur, son angoisse, son énergie ou sa paresse. Celle qui essaie de ne plus nourrir sa Winehouse intérieure, au profit de choses plus lisses, plus claires. Mais moins excitantes aussi. Moins délirantes. Moins dans cette sensation de vie incroyable, quand tout te paraît possible, quand rien n’est interdit. Cette illusion d’être maîtresse du monde, cette exaltation qui s’encarne dans tes mouvements, quand tu marches plus vite qu’hier, quand tes mots sont plus drôles et ta langue plus riche, le sentiment d’être trop vivant, d’être trop lucide. Pour retomber plus loin ensuite. Et ne jamais retrouver vraiment ce même premier instant. Shoot sans aiguille.

La poisse

J’ai la poisse en ce moment. Pas la petite poisse passagère, celle qui te frôle seulement, que tu sens à peine, celle dont tu te moques avec grâce avec tes potes le soir venu. Non non. La poisse, la vraie, celle qui colle aux chaussures et qui sent le pet, celle qui ne te lâche pas, t’as beau gratter, t’as beau exfolier, y’a rien qui sort, elle est passée sous ta peau, tu la vois bouger en transparence, comme un putain de gros vers exotique, ceux qui pondent des oeufs dans tes plaies pour se reproduire. La plupart des gens pensent que la poisse est une sorte de hasard à l’envers, un peu comme le blanc et le noir, il y aurait la chance et la poisse, ces deux forces qui s’affrontent dans l’univers et qui te tombent sur la gueule un peu comme elles veulent, sans que tu puisses contrôler ou te mettre à l’abri. La fiente de pigeon sur ton manteau quand tu pars en rendez-vous par exemple, ce truc dégueulasse et complètement  inattendu,  voilà le vrai visage de la poisse pour eux. Mais comme je suis une torturée du crâne, j’ai une autre version. Je pense que je suis responsable de ma poisse. Que je l’attire et que je la nourris. La malchance chronique comme affection longue durée.

Je n’ai jamais rien gagné. Pas à la kermesse de mon école primaire, où déguisée en gitane j’effectuais pourtant avec ma classe une chorégraphie pleine d’entrechats et de pas chassés sur un podium de fortune, devant les yeux enamourés de mes parents divorçant. Non, ce jour là, j’ai pris une claque, et j’ai fini l’après-midi dans ma chambre parce que j’avais mangé l’intérieur des pièces en chocolat qui composaient mon accoutrement de diseuse de bonne aventure. Ce qui aurait du être une après-midi pleine de rires, de jeux de chamboule-tout  et de pêche aux canards dans une bassine s’est transformé en Tchernobyl familial, tout ça pour une histoire de cacao fondu sur mes doigts. Si j’avais eu l’intelligence d’accomplir mon méfait jusqu’au bout, si j’avais pris la peine de bien refermer les coques dorées des pièces et de me laver les mains après ma boulimie secrète, l’histoire aurait été toute autre. J’aurai couru à travers la cour comme une chèvre sous amphétamine, dans la joie et la bonne humeur, j’aurai participé à la bagarre générale aux pistolets à eau, et j’aurai peut-être fini par me faire des amis dans ma classe. Mais non. Même pas la chance du débutant pour la petite Daria. La poisse totale, mais la poisse méritée, enfin, c’est en tout cas ce que je pensais du haut de mes 9 ans. Inutile de dire que je n’ai jamais rien gagné aux jeux de grattage, au loto, au bingo, aux concours organisés sur les blogs pour gagner un cure dent ou une fiole de merde parfum fleuri. Rien. Je tente le diable deux fois par an au Casino, dont je repars invariablement avec la même somme qu’à l’entrée. Aucune perte, aucun gain, juste deux heures à jouer, à perdre un peu et à gagner chichement, qui me permettent de ne pas vomir ma rage sur le tapis rouge de l’entrée de l’établissement.

Je n’ai donc pas de période de chance. Je n’ai que des périodes neutres, où il ne m’arrive rien, et des périodes de crasse absolue. Cette semaine par exemple, mon fidèle Macbook qui sortait tout juste du SAV après un changement de disque dur et de carte mère, a décidé que le rétro-éclairage de l’écran, c’était vraiment trop fatiguant. Plongée dans le noir subite. Panique. J’avais justement à rendre cette semaine plusieurs fichiers sur Excel, avec des centaines de minuscules cellules à remplir avec exactitude. Je ne perds pas espoirs, et me rabat sur mon petit E-pc à l’écran timbre poste, où je me nique la rétine avec la foi du charbonnier jusqu’à l’accomplissement de ma tâche. Au moment même où j’allais envoyer le résultat de mon labeur à mes différents clients, c’est la Freebox qui décide de déconner. Je respire, j’appelle mon fournisseur, qui m’annonce 5 jours de délais pour une réparation. Je respire encore, ou plutôt je me mets à hyper ventiler,  et je tente donc de me connecter au réseau Free Wifi qui traîne dans mon immeuble. Et c’est là que le port wifi de l’ordinateur de poche à l’écran diabolique cesse de fonctionner. Cassée la carte. Fritas les bananas. Tout se brise virtuellement entre mes doigts boudinés. Je suis en retard sur mes boulots à rendre, je cours au cybercafé pourri de ma ville, uniquement fréquenté par les pères de famille accros au porno, qui viennent se faire plaisir sur une IP masquée.  Je réussis à négocier un câble réseau à la sueur de mon porte monnaie, parce qu’on ne prête pas ces choses là, c »est une question de sécurité vous comprenez, je le branche, je démarre. ECRAN BLEU. C’est après une heure de négociation et de tâtonnements avec une machine dont je ne parle pas le langage, des larmes ravalées et les regards dégueulasses de mes collègues onanistes, que je réussis à récupèrer mes fichiers et à les balancer à mes clients (qui commencent à ne plus croire du tout mes aventures informatiques, et qui donc, dans la suite logique de cet épisode de poisse, vont sans doute arrêter de me faire travailler).

Moralité : non rien. Juste enculée de poisse de merde.

Ca m’échappe

Tu fais ta vie, tu te lèves, tu te laves les mains, tu bosses et tu chies. Et à côté de toi, des millions d’autres qui font la même chose, dans des variations minuscules ou extrêmes. Des millions de milliers de gens qui reproduisent les millions de milliers de gestes d’un même quotidien, mais jamais dans la même couleur ou dans le même rythme de pas. Alors tu fais ta fourmi libre, tu décides de te brosser les dents de la main gauche, juste pour voir, juste pour contrarier ton instinct de droitier. Ou alors tu te teins les cheveux et tu deviens punk à chien. Mais finalement, sur le papier et dans les cases, les mêmes putain de réflèxes, les mêmes vies, mais pas pareil. Evidemment ce n’est pas révolutionnaire. C’est même redondant à s’en mordre la queue et à s’étouffer dans son vomi en gag-mode. Mais c’est exactement le genre de trucs qui me fait tourner le cerveau à vide. L’impression d’être en haut d’un building, ou dans un jeu de construction, SIMS la rage de vivre, et de regarder des millions de petits points noirs s’exciter et se rassembler, se dissoudre et puis se taire. La même chose, finalement, à quelques grammes de poussière près. Sauf que c’est ce poids de reste supplémentaire ou inférieur à la moyenne, ces détails, ces croisements, ces riens, qui font que les points s’écartent et grossissent pour devenir humains. Qu’est ce qu’on aurait pu être, qu’est ce qu’on aurait pu vivre, ce qu’on met de côté, les choix inconscients et ceux qu’on s’impose par raison. Ce qui enlève et ce qui rajoute à notre trace dans l’air. Impact carbone indélébile et irrattrapable.

C’est même pas une histoire de matrice, de mec en manteau de cuir à lunettes de soleil ou de théorie ésotérique. C’est le grondement des autres autour de toi. Tous les autres que tu ne connais pas et que tu ne connaitras jamais. Dans un train, si je ferme les yeux trop fort, j’ai l’impression que les têtes se vident et se déversent, j’ai l’impression d’entendre les histoires des autres, que la bouillie organique de leurs mémoires se mélange en torrent rouge dans le couloir. Et quand ils ne disent rien, quand je ne les entends pas, c’est mon imagination qui se réveille, des centaines de questions, les détails d’un sac à main usé, l’écriture trop penchée d’une femme sur ses mots croisés, les cafés enchainés par cet homme trop sévère, l’odeur du parfum de cette grand-mère. Qu’est ce qui fait que les gens décident d’être comme ils sont ? Qu’est ce qui les amène là ? A quoi pensent ils ? Où vont ils ? Pourquoi ne se parlent-ils pas ? Ce n’est pas du voyeurisme. Je ne me les décris pas tous comme des asociaux apathiques ou des grands malades mentaux en cavale de l’hôpital psychiatrique. C’est un genre d’angoisse. Celle de passer à côté. Celle de ne pas tout appréhender correctement. Celle de laisser passer un détail, une image, un moment. Un désir de tout vouloir contrôler aussi. Si je connais les gens, je n’ai pas à les craindre, je n’ai pas à me soucier de leurs impulsions, de leurs paroles. Je sais qui je suis, parce que je réussis à savoir qui m’entoure. J’ai les autres en miroir, et sans eux, ma place devant la glace vacille.

C’est drôle parfois. Parce que les gens sont drôles. Dans leurs manies et dans leurs mots. Dans leurs oublis et dans leurs obsessions. C’est fatiguant, la plus part du temps. Comme un TOC de mémorisation. La voisine portait un manteau gris, un collant noir et des ballerines noires, son sac était en cuir, elle lisait Libération et elle est descendue à Odéon. Le jeune homme aux requins bleues, jean brut et hoodie noir a pris sa place  jusqu’à Gare de l’Est. Et ma mémoire vive n’est pleine que de descriptions stupides. De détails qui ne servent à rien. Je ne lis presque plus dans les transports ou dans les files d’attentes parce que je ne parviens pas à finir ma ligne. J’ai le coin de l’oeil qui s’agace, tourné vers les chaussures de l’inconnu juste devant. De vieilles chaussures très bien cirées. Un pantalon de velours côtelé. Si je lève la tête, je parie qu’il a les cheveux blancs, quelques rides, et l’air mal réveillé. Je m’oblige à garder la tête baissée. Quelques secondes. Et presque à regret, je la relève pour m’assurer de mon intuition. Comme s’il était capital que j’ai raison. Cette fois là, j’ai eu tort, pas de cheveux grisonnants mais une superbe afro. Pourquoi j’ai cru qu’il était blanc ?

Banlieue de merde

Chez moi, c’est pas super design. C’est la banlieue des années 1960/70, avec des immeubles gris et mal foutus, qu’on retape à grand coup de coûts imputables aux propriétaires ou qu’on transforme en HLM privés tant il est difficile d’exiger 600 euros de charges mensuelles à des habitants peu fortunés. Vient par là dessus les magouilles de la mairie, qui sous-traite le service de ramassage des ordures et de propreté urbaine à une entreprise privée, Veolia, qui en fait le moins possible, avec le moins de personnel possible. Ca donne donc une propreté globale assez moyenne, un climat de merde entre les employés en jaune fluo et les habitants, qui ne comprennent pas ce qui  empêche de venir ramasser une carcasse de voiture abandonnée depuis 2 ans sur leur parking, ou de venir assurer la sécurité des nombres espaces verts de la ville. Chacun se renvoie la balle depuis le bureau du syndicat de copropriété ou des services municipaux, non madame, ces ordures sont sur le terrain de votre immeuble, il n’est donc pas possible d’intervenir, non madame, ces ordures sont sur le terrain de votre immeuble, si vous voulez qu’on intervienne, les coûts seront imputés à la copropriété, vous voulez tout de même pas être responsable d’une augmentation soudaine du montant à payer ? Alors personne ne fait rien, et la gardienne commune au 6 immeubles de ma résidence privée se contente de sortir les poubelles et de passer un vieux coup de serpillère fatiguée dans le hall d’entrée.

Mais pour être honnête, y’a aussi un sérieux problème d’éducation et de civilité. Je n’habite pas dans une cité. Il y en a deux, pas très loin de chez moi, mais nos mondes sont complètement séparés. Le comportement de mes charmants voisins n’est donc pas à classer dans la deuxième partie du JT de TF1, pas de bandes qui squattent les halls ou pour tenir les murs, pas d’Harry Roselmack en bonnet de pêcheur pour venir nous interviewer. Juste une résidence privée un peu moche, avec son parking souterrain abîmé et son espace vert desséché, ses 3 tags annuels de bites et de « nik la poliss » sur les murs, oeuvres merveilleuses de gamins de 9 ans et moins qui s’emmerdent un Crayola à la main. Mais comme tout est gris, tout est vieux, et que tout se dégrade, j’ai l’impression que les gens se battent littéralement les couilles de leur environnement, qu’ils ne font pas la différence entre l’espace privé de leur appartement et l’espace public des couloirs et des entrées, des jardins et des parkings. C’est un peu comme si nos immeubles souffraient d’une grosse dépression collective, ils sont incapables de se lever, de se laver et d’aller bosser, alors les habitants ne font aucun effort pour les encourager ou pour les motiver. Tu sais pas où balancer la couche pleine de ton gamin ? Pas de problème, envoie la juste valser par la fenêtre ! Tu sais pas quoi faire des jouets pourris qui traînent sur ton balcon depuis que tes enfants sont partis ? Pas de souci ! Envoie les finir leur vie dans le bac à sable commun, y’aura bien un plus pauvre que toi pour penser que des merdes en plastiques toutes pétées sont des joyaux inestimables à conserver ! Ton chien pisse dans ton appartement et t’en as plein le cul de rammaser ses grosses merdes odorantes sur ton carrelage imitation tomette ? La solution est simple : envoie le se soulager dans les couloirs de l’immeuble ou dans le hall, la merde ne t’appartient plus puisqu’elle n’est plus chez toi ! Et si la gardienne refuse à juste titre de ramasser, y’aura bien un connard inquiet de sa salubrité qui s’y collera !

Ce qui pourrait être un ensemble d’immeubles moches mais vivables se transforme à chaque fois en Beyrouth local. Et tu ne peux pas poser les yeux sur les plates bandes labourées par les mômes sans apercevoir des trous béants et des entrées de terrier à rats, ces grosses merdes de rongeurs immondes qui viennent bouloter en pleine journée les morceaux de pain que ta voisine croit bon de jeter aux oiseaux, et qui trouent les plastiques des poubelles de la ville à la recherche de la moindre miette à grignoter. Et tu ne peux pas passer un seul mois sans que le vide ordure se transforme en terrarium géant, parce que la connasse du 4eme a oublié ses cours de géométrie en primaire et qu’elle est persuadée que le maxi carton de Pizza bien plié passera forcément dans le conduit de 13 cm2. Les restes de pizza pourrissent tranquillement et bloquent les ordures qui arrivent de plus haut, engorgement maximal, impossible de faire vomir la bête, les cafards, les mouches, viennent se repaitre. Et il faut encore une fois payer pour qu’un mec vienne balancer de l’eau et du désinfectant à haute pression dans le couloir vertical, ca pue la mort pendant trois jours après ça, et les colonies d’insectes mutants se foutent de toi, tu les vois s’immiscer tranquille dans les fissures et dans les interstices. Et tout ça vit joyeusement dans la merde et dans la crasse, et personne ne pense un seul instant à assumer sa responsabilité individuelle de personne normale et ordonnée, ca vient juste gueuler aux réunions de syndic’, parce que JE PAIE MOI MONSIEUR, tu paies mais tu chies par terre à longueur de journée, efficacité zéro, apprend plutôt à nouer ton sac poubelle et à ne pas cracher sur mon paillasson, à garer ta caisse correctement et à nettoyer derrière tes gamins mal élevés.

Real women have vaginas ?

Les vraies femmes ont des formes. Les vraies femmes font la vaisselle. Les vraies femmes sont mamans. Les vraies femmes font attention à elles. Les vraies femmes sentent bon. Les vraies femmes ont des couilles. Les vraies femmes se maquillent. Les vraies femmes sont hétérosexuelles. Les vraies femmes travaillent. Les vraies femmes ne travaillent pas. Les vraies femmes votent à gauche. Les vraies femmes n’ont pas de poil aux jambes. Les vraies femmes couchent par amour. Les vraies femmes se font sodomiser. Les vraies femmes portent des talons. Les vraies femmes ont de la poitrine. Les vraies femmes sont idiotes. Les vraies femmes sont plus intelligentes que les hommes. Les vraies femmes obéissent à leur mari. Les vraies femmes n’ont pas besoin de maris. Les vraies femmes sont de mauvaise humeur quand elles ont leurs règles. Les vraies femmes mettent des tampons. Les vraies femmes ont des fesses. Les vraies femmes ont les cheveux longs. Les vraies femmes sont toujours au régime. Les vraies femmes aiment la décoration. Les vraies femmes sont des filles à Papa. Les vraies femmes ne savent pas sauter. Les vraies femmes ne dansent pas. Les vraies femmes ne jurent pas. Les vraies femmes ne crachent pas. Les vraies femmes aiment Dirty Dancing. Les vraies femmes détestent les hommes. Les vraies femmes ne peuvent pas vivre sans les hommes. Les vraies femmes ne font pas d’études. Les vraies femmes aiment la nature. Les vraies femmes aiment les animaux. Les vraies femmes pleurent. Les vraies femmes disent oui.

Les vrais hommes ont des poils. Les vrais hommes ne pleurent pas. Les vrais hommes ont des couilles. Les vrais hommes ont du caractère. Les vrais hommes sentent la transpiration. Les vrais hommes portent des caleçons. Les vrais hommes ont un travail manuel. Les vrais hommes savent bricoler. Les vrais hommes savent conduire. Les vrais hommes ne font pas attention à la mode. Les vrais hommes aiment la viande. Les vrais hommes aiment les vraies femmes. Les vrais hommes sont hétérosexuels. Les vrais hommes ne jouent pas côté Verseau. Les vrais hommes aiment les films d’action. Les vrais hommes ont des postes à responsabilité. Les vrais hommes gagnent l’argent de leur foyer. Les vrais hommes rentrent tard. Les vrais hommes boivent de la bière. Les vrais hommes urinent debout. Les vrais hommes jouent avec des petites voitures. Les vrais hommes veulent avoir des fils. Les vrais hommes sont virils. Les vrais hommes ne portent pas de rose. Les vrais hommes baisent. Les vrais hommes se marient. Les vrais hommes sont dominants. Les vrais hommes sont grands. Les vrais hommes sont malins. Les vrais hommes sont ambitieux. Les vrais hommes dépensent de l’argent. Les vrais hommes sont radins. Les vrais hommes ne font pas la cuisine. Les vrais hommes ne s’occupent pas de leurs enfants. Les vrais hommes sont des rocs. Les vrais hommes ne dansent pas. Les vrais hommes méprisent les femmes. Les vrais hommes adorent les femmes. Les vrais hommes rotent. Les vrais hommes serrent les dents. Les vrais hommes sont moins intelligents que les femmes. Les vrais hommes sont de droite. Les vrais hommes savent dire non. Les vrais hommes font l’armée. Les vrais hommes ne se plaignent pas.

Toujours l’opposition entre le vrai et le faux. Les vraies femmes et les fausses, ces ersatz, poupées édulcorées sans genre précis, androgynes, trop plates, trop petites. Les vrais hommes, et puis les autres, les efféminés, les sensibles, les différents, les petits, les imberbes. Les phrases qu’on répète aux enfants, « tu seras un homme mon fils », « tu seras maman, tu seras mariée, ma fille ». Une armée de gens faux, persuadés d’être tout à fait imparfaits, hors normes, hors définition, qui font semblant, qui poussent les murs pour se faire une place, qui grossissent ou maigrissent, qui se font poser des implants et injecter des produits, pour être vrai, enfin. Être vrai dans l’artifice, c’est tout le paradoxe, ressembler aux images qu’on projette sur les écrans et sur les murs, parce que la réalité est devenue virtuelle, imaginaire, insaisissable. Ne pas vouloir passer pour une gouine, ne pas vouloir faire PD, choisir son partenaire en fonction des idées qu’on se fait, de l’image qu’on aimerait avoir. Trop grosse, pas assez riche, pas assez avancé dans sa carrière, trop extravagant, trop ridé, trouver le bon match, la bonne équation, celle qui nous fait rentrer dans la société, celle qui nous inscrit enfin dans une normalité. Admirer de loin ceux qui font de leur apparence un terrain de jeu, une bataille à peau ouverte, ceux qui semblent déguisés dans leurs normalités parallèles, les classer chez les bizarres, et recommencer à s’observer dans le miroir déformant de nos habitudes, de ce qui nous a été transmis, de ce que nous apprenons aux autres. Ne rien changer, surtout.

Par procuration

Monsieur le Procureur,

Je vous écris afin de partager avec vous à l’avance certaines informations qui pourraient influencer l’affaire qui pourrait m’opposer à un violeur. Je ne suis pas parfaite. J’ai commencé à mentir très tôt, comme tous les enfants, et puis j’ai continué un peu, adulte. Il m’est arrivé de fréquenter des gens ayant en leur possession des armes ou de la drogue. Il m’est arrivé de consommer de la drogue, ou de détourner l’usage thérapeutique de certains médicaments. Il m’est arrivé de boire plus que de raison, et d’être en état d’ébriété sur le domaine public. J’ai volé plusieurs fois chez Monoprix, plus particulièrement au rayon vernis à ongles, mais aussi dans d’autres enseignes. J’ai payé mon loyer en retard des dizaines de fois. J’ai quitté mes employeurs dans la colère. Il m’est arrivé de prononcer des mots malheureux comme « je vais te buter » « je vais te saigner » ou encore « t’es mort », à l’encontre d’inconnus ou de proches. J’ai fréquenté des fêtes interdites par la loi, dans des lieux interdits au public. J’ai triché par omission sur mes déclarations d’impôts, j’ai profité sans culpabilité de l’APL et des Assedics quand j’en avais le droit, j’ai même déposé sans y croire un dossier de logement social. J’ai travaillé au noir. J’ai fraudé la RATP et la SNCF pendant des années, avec une carte d’identité dont l’adresse n’était pas la bonne, pour éviter les amendes.

Est-ce que tous ces petits manquements à la morale et la loi font de moi une mythomane, une manipulatrice, une femme connue du milieu de banditisme ? Je ne crois pas. Il m’est arrivé de prendre de  mauvaises décisions. Il m’est arrivé de me réjouir de mes tricheries. Il m’est arrivé de trouver drôles et sympathiques des gens de passages dans ma vie, sans juger leurs actions ou la provenance de leur argent.  Il m’est arrivé de commettre de petits délits sans avoir même l’idée d’enfreindre la loi. Je ne suis pourtant pas une mauvaise citoyenne aujourd’hui. J’ai conscience de mes fautes, et si je continue à penser qu’il existe des injustices profondes dans l’application du droit, je suis sage, c’est promis. Je ne crie plus CRS = SS dans les manifestations, je respecte les forces de l’ordre, et je gueule même toute seule sur mes petits voisins quand ils font pipi dans la cage d’escalier. J’ai la chance de ne pas avoir besoin de m’adonner à des activités illégales pour gagner ma vie, je n’en ai même pas le goût.

Si jamais j’arrivais devant vous, Monsieur le Procureur, en vous demandant de punir un homme qui m’aurait violé, j’aime à penser que c’est la situation à ce moment donné que vous examineriez. Pas les mensonges d’avant, les petits accrocs à la réalité, les manquements au régime fiscal et les tricheries sur facture au supermarché. Que vous ne vous serviriez pas des médicaments qui me sont prescrits, par exemple, pour laisser penser au monde que je délire, que j’ai tout inventé. Que vous auriez la pudeur et l’honnêteté d’examiner les faits et les dépositions, les indices et les témoins, avant de laisser raconter dans les médias que je suis une menteuse patentée, une roublarde, une tricheuse, une trainée. Il vous faudra bien sur exercer la même retenue avec l’homme que j’accuse, c’est après tout votre métier. Si je me laisse à dire que « je vais le faire payer », « le faire cracher » ou « détruire sa vie », il ne faudra pas m’en tenir rigueur. Je suis juste un peu énervée. Ca fait cet effet là, un viol, il parait.