Sandy la fille du boucher

Quand j’étais en CM2, j’avais une seule obsession : devenir amie avec Sandy la fille du boucher. Sandy c’était pour moi la classe incarnée : elle portait des jeans neige, des grands pulls en mohair, elle se peignait déjà les ongles et elle jurait tous les trois mots. Avec le recul des années, Sandy, c’était un peu le mini-pouce de la coiffeuse vulgaire, celle qui te demande l’air passionnée ce que tu prévois pour les vacances tout en mâchouillant son malabar et en triturant son piercing Marilyn. Ce qui faisait son aura de prêtresse du bon goût à mes yeux, c’était sa complète opposition à moi. Il y avait quelque chose de dangereux dans sa façon de parler, de raconter ses week-ends et de se foutre de la gueule de la maîtresse. Elle était déjà passée de l’autre côté de l’enfance, c’était déjà une adolescente, elle avait conscience des choses, de sa jupe qui remontait quand elle courait et des garçons qui la regardaient. En pleine montée Lambada, souviens toi, elle s’était fait offrir le costume officiel de Roberta, mini-jupe froufroutante et guêtres assorties, elle nous apprenait l’art secret du déhanchement brésilien en copiant mouvement par mouvement le clip qu’elle visionnait chaque soir avec ferveur. Elle savait faire les bracelets brésiliens, qu’elle distribuait en symbole sacré d’amitié pour toute la vie à aux happys fews triés sur le volet. Je n’ai jamais reçu le sésame ultime en fil tressé, je faisais tristement partie du second cercle, ceux-qui-ont-une-amie-qui-est-amie-avec-Sandy-la-fille-du-boucher. Cette position était exaltante : j’étais tout près de la popularité, à une poignée de main, à un seul Pitch échangé dans la cour de récré, mais aussi terriblement humiliante : je n’étais jamais invitée aux goûters et aux boums de l’élite.

Je ne comprenais pas les réserves de mes parents sur Sandy. Je rêvais de l’inviter, de pouvoir l’avoir rien qu’à moi pendant quelques heures, pour pouvoir la convaincre de ma vassalité fidéle et de mon admiration sans bornes, je voulais qu’elle m’apprenne, qu’elle me prenne sous son aile, qu’elle me transforme en poupée Cindy grandeur nature, qu’elle me tresse le poignet et qu’elle critique mes chaussures. Je voulais lui offrir des cadeaux d’anniversaire (fayote), me faire offrir le même sweatshirt floqué, mais la garde robe de mes 8-ans-trois-quart-presque-9 était plus Cyrillus et Jacadi que Naf Naf, Creeks et Chipie. Mes parents pointaient du doigts la vulgarité de mon idole, sa façon de s’exprimer et ses vêtements inappropriés, et me répétaient comme un mantra « TU VAS PAS ETRE COPINE AVEC LA FILLE DU BOUCHER ». Mais si. Mais si. Mais si bordel. Je n’avais aucune idée de ce que ca pouvait faire, qu’elle soit fille du boucher ou fille du coupeur de joints, la lutte des classes m’échappait, et alors que ma mère s’arrachait les cheveux de me voir me aspirer à une existence white trash, modèle banlieusarde-sous-diplômée-engrossée-à-19 ans-faux-ongles-arc-en-ciel-en-résine-phosphorescente-sous-les-sunlights-des-tropiques, je fantasmais sur des maillots de bain taille 10 ans à franges et à clous, je me faisais offrir par mon père tête en l’air le premier album de Patricia Kaas et j’apprenais pas coeur « Mon Mec A moi » afin de pouvoir le brailler avec celles qui comprenaient. Je n’ai jamais porté de maillot de bain imitation cuir, et je n’ai jamais chanté le blues des terrils ailleurs que dans ma chambre avec mon mini-lecteur-de-cassettes-et-micro-karaoke, mais je me rapprochais de la perfection, je travaillais à l’atteindre en secret, j’espérais qu’un jour j’allais me révéler au monde comme un papillon peroxydé, en mini-short et en débardeur à paillettes s’il vous plait.

L’année, puis l’été, puis le divorce de mes parents, puis un déménagement, et j’arrive en 6e dans un lycée-public-mais-super-chic du 16e arrondissement. J’ai 9 ans-trois-quart-presque-dix, et il n’y a pas de Sandy ici. Il y a des Elsas, des Carolines, des Tiphaines, des filles en Chevignon et des garçons à Pumps qu’on gonfle toutes les 10 minutes jusqu’à se faire exploser les rotules. Je fais ma rentrée avec mon petit pull bleu marine et mon chemisier blanc à col brodé. C’est mal barré.

7 réflexions sur « Sandy la fille du boucher »

  1. La fille du boucher quand j’étais petite c’était la fille des boulangers dans mon village. Et j’étais sa copine. La meilleure amie. Et une fois arrivée au collège elle m’a pourri l’existence et on ne s’est plus jamais reparlé depuis. Elle a 22 ans, a déjà avorté plusieurs fois, a foiré sa vocation d’esthéticienne, son mec est un psychopathe fini. Et je suis aussi arrivée au collège avec mes jolis petits habits tous neufs. C’est fou car en lisant ton texte j’avais l’impression de me retrouver dans la cour de récré avec elle qui me montrait caché dans son sac les Jeune & Jolie qu’elle avait chipé au bureau de tabac. Elle n’était pas fréquentable, mes parents ne l’aimaient pas. Mais elle me faisait rêver. Plus maintenant…
    Impossible de me retenir d’écrire quelque chose aussi !

  2. La fille du boucher ou du boulanger (la garce avec les bonbons plein les poches !) a fait rêver beaucoup d’ados, effrayé des lots de parents (on va pas les plaindre tout de même) et rire des femmes merveilleuses et averties. Comme quoi, finalement, le temps remet toujours les choses, les gens à leurs places…
    J’aime + 1000 !

  3. Ma « fille du boucher », c’était Vincent le fils de pas grand chose mais le mec le + cool de la classe. Il avait les fringues creeks là ou je trainais au mieux en LC Waikiki. Il sortait avec la fille la + jolie de la classe (logique), et tout le monde l’enviait. Il répondait aux profs. Je suis devenu son ami quand il est redevenu un looser.

  4. Aujourd’hui,tu as pris ta revanche car TU es la star du Web.
    Et puis,des Sandy,il y en a à la pelle(j’en ai connu et en connait aussi),mais,pour moi il n’y a qu’une Daria ET C’EST TOI.

  5. Moi, j’étais une Sandy au Collège, et mes copines sortaient avec moi « en cachette » de leurs parents pour l’attrait du danger…j’étais classée en infréquentable, sans trop savoir pourquoi mais en acceptant volontiers ce qualificatif qui me rendait populaire !
    Au fil des années, toutes ces amitiés faites d’apparence se sont étiolées pour ne conserver que de vraies relations avec de vrais gens. Si, si, ça existe même quand on est une Sandy.
    Aujourd’hui, j’ai 32 ans, je suis manager dans une compagnie d’assurance, en couple depuis plus de 12 ans et maman. Le cliché.
    Aujourd’hui, je fais un beau doigt d’honneur à tous ceux qui ne voulaient pas que leur progéniture ne m’approche de peur que « ce » soit contagieux et j’emmerde leurs enfants qui ne sont devenus que cas sociaux ou éternels étudiants aux crochets de leurs parents si attentifs !

  6. J’aurais tellement aimé moi aussi, en CM2, être amie avec celles qui portaient du Jennyfer et des colliers ras-du-coup (collier pour chien ! disaient les parents). Mais je restais dans mon coin avec mon caleçon papillon Jacadi…(true story, aïe aïe aïe ^^).

    Finalement c’est en grandissant que je me suis fait des amis, et donc des amis différents, des Sandy ou d’autres, mais mes parents ne donnaient déjà plus leur avis.

    Et je plussoie le commentaire de Yannick 😉

  7. J’aime j’aime j’aime. Le pull bleu marine et le col bénitier blanc, c’était mon uniforme et à la rentrée de 6e je l’ai détesté, ça et tout ce qui allait autour. La religion, le conformisme, les beaux mots et le bac L auquel on me prédestinait. Et la virginité.
    Les tresses, les lunettes, les vêtements-que-j’avais-hérité-de-ma-grande-sœur-qui-avait-hérité-d’une-copine-qui-avait-hérité-d’une-œuvre.
    Le ménage, la cuisine que je devais apprendre pour être quelqu’un de bien.

    J’ai voulu être Sandy, très fort, si fort, je crois que j’ai réussis sans le savoir. Il y a deux jours j’ai revu une amie après trois ans; lors de notre première rencontre, elle m’avait rangé dans la case « salope ». Infréquentable.
    C’est la même époque où ma bande de copine a coupé les ponts avec moi.

    Mais, moi, je me vois toujours comme la mocheté binoclarde, si nulle que personne ne la voit, amoureuse de garçons qui l’ignorent, qui s’est battue 9 mois pour que l’on m’achète pour la première fois de ma vie un vêtement à MOI: un PANTALON-ROSE-FUSCHIA. Avec un cœur brodé en fil argenté sur la poche de ma fesse gauche.

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