C’est le bordel

C’est le bordel. Parfois c’est bien, ce bordel. Parfois tu ne marches pas sur une aiguille en te levant, les chaussettes ne se perdent pas entre la machine à laver et tes pieds, il reste du café et une tasse propre, alors finalement rien n’est grave, et puis il fait beau, alors vraiment on s’en fout, que ca soit rangé ou pas, que l’ascenseur tombe en panne ou qu’il ne reste plus de lait de soja. C’est le bordel mais c’est joli, un peu comme dans une maison avec trop de mômes quand tu n’en as pas, quand t’as encore l’oeil ému par les petites chaussures éparpillées et les traces de doigts sur le canapé. Et puis, tu sais pas trop pourquoi, ce qui était charmant devient à chier, le doigt de pied qui se coince sous le canapé, l’air froid en sortant de la douche et la serviette roulée en boule sur le carrelage mouillé, la bouilloire qui met trois plombes à siffler, le téléphone qui sonne trop ou pas assez, le bordel tourne capharnaüm et ton cerveau peine à s’organiser, tu peines sur les mots et tes phrases sont débiles, tu te pinces le ventre pour te réveiller, tu te tires les cheveux mais rien n’y fait, c’est le bordel, c’est trop le bordel et il est trop tard pour ranger.

Je me pose là comme une putain de statue de commandeur, les pieds noyés sous une pile de fringue qui dégueule de mon armoire, Pax Malm sans portes, la putain de ta race de perceuse, con de suédois, enculé de déménagement, vie de merde, petite larme. Et puis j’oublie, parce que tu ne peux pas passer ta vie à t’émouvoir sur un paquet de vis oublié quelque part, dans un appartement que tu as quitté en trainant les pieds, tu peux pas te laisser déborder par les souvenirs, par les images au ralenti, tu sais, le temps où t’y croyais, alors je tape dans le vide, je casse un verre. Parce qu’à part ça, il n’y a vraiment rien d’intelligent à faire, juste s’enfoncer des aiguilles sous la peau exprès, pour voir si ca fait toujours aussi mal, pour voir si tu ressens autant la douleur, l’abandon et l’enfermement. Pas la peine de jouer, l’histoire tu la connais, qu’est ce qu’il y a d’autre à dire, qu’est ce qu’il y a d’autre à expliquer, foutu pour foutu, raté pour raté, encore un train qui passe, encore des années à effacer. Perte et profit, ma putain de devise, je vais me faire tatouer.

Faut parler, il paraît, faut que ca sorte, faut que ca chiale et faut que ca crie, faudrait se mettre en colère, faudrait détester, faudrait s’animer d’une haine farouche, faudrait réagir, faudrait pas se laisser aller. Moi je ferme bien ma gueule parce que si je l’ouvre je vomis, je gerbe des yeux et je tremble des pieds, parce qu’il n’y a rien à dire à part le désespoir d’avoir perdu alors qu’on ne pensait pas jouer. Ni tirage ni grattage pour les handicapés de la chance, je perds tout depuis ma naissance, mes clés mon écharpe mes gants mon bonnet, ca se casse, ca se défile, ca décide de s’en aller, t’as beau les serrer fort, t’as beau les engueuler, tout disparait, tout s’annule, rien n’est jamais comme sur l’emballage, les couleurs un peu passées.

9 réflexions sur « C’est le bordel »

  1. Je te lis depuis peu et c’est le deuxième coup de poing. Le bordel du dehors, le bordel du dedans. Et l’énergie qui semble manquer pour démarrer un rangement. Opérer un rangement ?
    Je connais et tu le dis bien…
    Merci.
    🙂

  2. Une tranche de vie après l’autre, y’a des transitions qui coupent un peu les jambes. Je me souviens comme j’ai eu la trouille chaque fois qu’il a fallu changer de vie, comme c’était plein de regret, de renoncement et d’espoir aussi.
    La vie nous tricote et détricotes des trucs, après il reste à retrouver un bout de la pelote pour essayer d’en faire autre chose.
    Les armoires ikéa on en vient toujours à bout.

  3. C’est bien ce que je ressens en ce moment, magnifiquement dit comme d’habitude. C’est la première fois que je commente même si je te lis depuis longtemps: tu es une denrée rare dans le paysage des blogs, une perle que je suis attentivement. Merci!

  4. Tu as un talent fou à décrire ce qui tu, ce qui fait souffrir. Surement ce qui est beau aussi, faudrait juste que je tombe dessus. Mais là, tu me fais réagir. Tu ressens ce que la masse bardasse dans sa carcasse quand la douleur est là, vive, brulante et qui fait chier, suer pour être polie, seulement, la politesse parfois on en a rien à foutre.

    Tu l’exprime sans déguissement, sans masque sans fioriture. Crue et vraie.

    En vérité on se sent moins seule dans sa merde quand on te lis. Parce oui le bordel parfois on veut qu’il reste là. C’est juste notre conscience que ça dérange. Pis après ?

    Y a de la force dans tes mots.

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