A l’envers

Quand j’aurais tout pleuré, quand j’aurais tout évacué, quand ils m’auront fait me débarrasser de tout mes secrets, de ces hontes cachées qui font pleurer mes yeux, quand je serais à poil devant les autres, sans mes souvenirs et sans ma peine, sans ma douleur et sans la tienne, alors qu’est ce qu’il me restera, qu’est ce qu’il adviendra de cette personne que je ne connais pas. Il faut vivre avec les choses, les apprivoiser pour ne plus les craindre, transformer les monstres en gentils lapins domestiques, les pires histoires, se les raconter sans cesse jusqu’à ce qu’elles ne fassent plus peur, mais je ne veux pas te laisser partir, je ne veux pas oublier. Peut-être parce que j’ai passé ma vie à être abandonnée, mise sur le côté au profit d’une mère, d’une carrière, d’une autre femme, d’un autre possible, alors je garde cette fidélité un peu naïve, pour ceux qui sont partis, pour ceux qui m’ont aimé, je les garde en moi et ils me dévorent, je suis pleine de leurs doigts et de leurs dents, ils me mangent le ventre et me déchirent le cœur, ils existent dans ma bile et dans mon sang.

Ce n’est pas sain, disent les gens. Ce n’est pas normal, dit le médecin. Arrête de ressasser. Comme si je le faisais exprès. Comme si je convoquais les fantômes dans une grande assemblée, avec invitations sur bristol, répondez-s’il-vous-plait. Comme si je pouvais contrôler leurs apparitions flippantes, leurs ombres comme des tâches dans mon cerveau. Pourquoi, quand je ferme les yeux, quand je baisse la garde, soudain, je me retrouve dans cette salle de bain ? On est dans la baignoire et tu as décidé que j’avais les plus jolis pieds du monde, tu parles du bébé, tu fredonnes The Kindness of Strangers, le disque tourne en boucle sur la platine au salon juste à côté, tu dis n’importe quoi, parce que tu es plein de merdes, de substances et de whisky, que tu vas mourir mais aussi qu’on va partir, que ca va passer mais que tu vas en crever. Tu pleures pour une autre dans l’eau froide de la baignoire qui se vide, en t’accrochant à moi comme un tout petit enfant, comme un paumé, j’ai pitié, je te trouve laid pour quelques secondes, avant de recommencer à t’aimer. Je sèche ton corps, la serviette est trempée, tu déambules dans la cuisine dans ton caleçon troué, je te vois accoudé au comptoir, tes yeux perdus dans l’effervescence de mon aspirine, j’ai mal au crâne, tu me dis de taper pour faire passer, tu parles de mon cul à la troisième personne du singulier, j’appelle un taxi, je reviendrais quand tu auras dé-saoulé. Quatre jours après tu étais froid, mort comme un connard, tout seul, raide et bleu dans l’eau glacée, fier de toi, de nous laisser, prêt à partir en fumée, ta poussière sur la pelouse du Père Lachaise, enculé de suicidé.

Je veux pas que tu partes, tu vois. Alors derrière mes yeux je me planque quelque part. Je n’appelle pas de taxi. Je reste là en transparence, invisible. Et je t’empêche de mourir. Parce que j’ai 4 ans et que je suis Superman. Parce que je le veux. Parce que la réalité est trop triste, impossible. Quand je pense à me foutre en l’air, quand l’appel du vide se fait trop violent, je pense à toi, et j’hésite un moment, te rejoindre ou rester, et si tu n’étais pas là, si tout ca n’existait pas, partir pour rien, me retrouver dans un trou, seule une dernière fois et pour l’éternité, même plus capable de t’inventer ou de te rêver, alors je reste et je repose la boîte verte. C’est peut-être à cause de toi que je suis là. C’est à l’envers non ?

Bite et bouffe

Je me demande à quoi il pense quand il me baise celui là, et cet autre encore, quand il regarde ma chatte dans le blanc de la queue et qu’il s’apprête à me saillir, alors qu’il ne connaît ni mon âge ni mon nom de famille, parfois même pas mon vrai prénom, je me demande à quoi il pense, le latex moulé sur son gland hypertrophié, les doigts couverts de mes odeurs et de mes envies, les genoux tremblants enfoncés dans ce mauvais matelas, à quoi tu penses mon gars, à ta femme, à ta mère, à celle que tu baiseras tout à l’heure, parfois juste un peu à moi. Et qu’est ce qui te pousse, comme moi, à te frotter contre la première qui voudra, seulement l’envie, seulement ta bite téléguidée ou le besoin de sentir que quelqu’un existe, que quelqu’un d’autre respire, le besoin inconscient de se confronter à l’odeur du vivant, tout le monde meurt, tout le monde se laisse crever, baise moi encore, appuie tes mains sur ma bouche et empêche moi de pleurer, fais moi jouir jusqu’à ce que je râle, jusqu’à ce que j’en chiale, laisse moi ton odeur, et le plastique brûlé au fond des mes cuisses béantes, monstres violacés, animaux gargantuesques, mange moi avant que je ne disparaisse. C’est le seul moment où je m’apaise, entre deux respirations trop fortes, entre deux gémissements forcés, entre deux spasmes utérins, j’ai le cerveau qui déconnecte, mode off enclenché,  plus rien ne se passe, plus rien ne pense, silence.

Combien de bites faudra t il que je m’enfile, combien de kilos de pâtes, combien de tartines, combien de litres de cyprine, qu’est ce qui me remplira, qu’est ce qui finira de m’apaiser, qu’est ce qui pansera la plaie, comment on soigne le vide, qu’est ce qui vide la boue, qui changera ma merde en eau, qui fera mon miracle, qui sera mon sauveur, bien sur, ne le cherche pas dehors, tout est à l’intérieur, le déclic, le travail sur soi, la thérapie, la psychanalyse, combien de temps, encore ? Et si dedans tout est rien, si dedans tout est creux, que mes cheveux poussent dans le vide, qu’il n’y a rien pour rattraper cet extérieur, et si dedans la lumière est éteinte, trop de travaux, chantier abandonné, ne passez pas la barrière sans vous équiper, casque et chaussures de sécurité, ca souffle et ca siffle, le bruit du vide. Si je ne suis qu’un mensonge, quelques jolies phrases qu’on apprend par coeur pour mieux plaire, des références tronquées, une ville fantôme, jolis quartiers désertés, si j’ai tout jeté, si je n’ai plus rien à donner, qu’est ce que j’en ferai, de cette grosse carcasse vide, de ces organes morts, de ce coeur qui refoule à l’entrée comme un videur connard, de cet acidité qui me bouffe la gorge sans me laisser respirer, de mon ventre énorme, lui aussi, vide.

Faudrait pas écrire tout ça. Faudrait pas le dire. Il faudrait à peine le penser. Aux copines en avouer la moitié. Ne pas hurler le désespoir et la peur. Ca effraie les gens tu comprends. C’est trop intense. C’est trop personnel. C’est trop spécial. Tu en parleras à ton thérapeute. A ton psy. Ou tu te la fermeras. Au choix. Et si malgré ca, personne ne t’aime, si personne ne cherche à percer, à regarder ce qui se passe derrière, si tu rates pour de bon toute ta vie, il te restera les mots des autres, un peu de musique, toujours la même, répétitive, et ton vide à remplir, ton meilleur compagnon, celui qui te garde en vie, à force de le vomir, à force de l’entretenir, tu trouveras bien quelque chose pour te faire du mal, tu occuperas ta peau, tu te sentiras vibrer, et puis tu attendras, enfin, de crever.

Alcool

Je n’arrive pas à me mettre en colère, alors je tourne sur moi même, je fais les cent pas, je gueule sur l’inutile et je me tais sur l’essentiel, je voudrais vomir, mais tout reste coincé, j’ai de trop gros morceaux à faire passer, je ne digère pas, je voudrais qu’on me frappe au ventre, qu’on m’attende dans une allée sombre et qu’on me claque la tête sur le pavé, je voudrais avoir mal, pour de vrai, qu’on me laisse pour morte, usée, bleue, sanguinolente, je voudrais qu’on m’humilie et qu’on me souille de crachats, je voudrais qu’on écrive sur mon corps à l’encre indélébile ces mots qui ne sortent pas. J’ai besoin de me faire du mal, d’une façon ou d’une autre, en me brûlant la peau ou les ailes, en cherchant le vice dans ce qui aurait pu être joli, en salissant ce que je touche, en m’oubliant parmi ces autres qui s’en foutent. Le plus cruel c’est sans doute d’être assez sobre pour être réaliste, se voir agir sans pouvoir se l’interdire, je préférais l’ivresse, je préférais le bruit, à trop voir le contraste, à trop lire les reliefs, je n’ai que le vertige, la nausée sans le whisky.

Je contemple parfois un verre d’alcool qui traîne, seule chez moi. Je le pose sur la table, et je m’assois en face de lui, je décompose sa formule, regarde le glaçon disparaître. Je ne bois pas. Je ne boirai plus. C’est peut-être pourtant ce qui me manque pour me permettre d’exploser, me détendre assez pour faire céder mes vannes, laisser la boue couler. J’ai voulu rester sobre pour ne plus jamais me perdre, pour verrouiller sous ma peau ces autres qui m’habitent quand l’alcool les libère, pour me protéger des hasards, des rencontres, de la danse et du rire, pour me prouver que je n’avais pas besoin de crier pour être entendue, de forcer ma chance pour être embrassée. Résultats mitigés. Je me suis enfermée au lieu de me protéger, réflexe primal de bête blessée, je ne sais pas boire à moitié, je n’aime dans le vin et les alcools que leurs degrés élevés, je veux mon ventre tendu de bière tiède, les reflux acides au parfum cerise. J’ai arrêté de boire, de fumer, de me droguer. Il ne me reste que la bouffe, je chasse le dragon sur les papiers gras et les desserts sucrés, c’est le high du pauvre, du simple, celui qui empêche simplement de penser, la défonce solitaire et honteuse de la boulimique plutôt que la descente festive normalisée du dimanche soir, restes de tequila et de mdma.

Je voudrais arrêter de vouloir tout contrôler. Je voudrais faire confiance, au conducteur de bus, au métro, à ceux qui me proposent leur amitié, aux gens dans la rue, à ceux qui prétendent m’aimer. Pas la confiance naïve des imbéciles heureux, mais l’aisance confortable de ceux qui se supportent, ceux qui ont trouvé comment s’aimer.

Ma pote

Il voulait pas trop nous laisser rentrer, ce gros con de physio, le mec qui n’a jamais vu la mer mais qui croit tout contrôler, il trouvait qu’on faisait tâche, moi gros cul, pull Celio et baskets trouées, elle complètement torchée prête à péter la gueule de la première poubelle qui l’ouvrirait. Je le voyais marmonner dans son oreillette, deux 38 tonnes en approche, MAYDAY MAYDAY, demandons l’autorisation de nous défouler, mais à 150 balles la coupe dans sa boîte pour adolescents dégénérés, il avait la politesse de nous écouter lui lécher le fion quelques minutes avant d’avoir la grâce de prendre sa décision. Et puis finalement, c’était pas tellement mon air défoncé ou mes fringues qui le faisait chier, c’était l’autre, celle qui se tenait à mon bras, qui avait passé la soirée à lui faire des doigts la dernière fois, qu’il avait du sortir à la force des bras après qu’elle aie décidé de se foutre à poil sur un air d’ocarina. On montre pas sa chatte aux petits jeunes hommes riches et aux ex de la Star Ac’ il paraît, ca fait femme de mauvaise vie, ca passe pas, mais tu peux payer un demi smic pour 2 whisky coca, ca dérange pas. Donc on négocie, on jure et on promet, que cette fois ca va, qu’elle va se tenir, que je suis la sagesse incarnée, qu’on fera rien de mal et qu’on a juste froid, qu’on lui suce la bite dans un coin sombre s’il nous laisse rentrer, et ca lui fait tellement peur qu’il finit par accepter, oubliant même de nous faire cracher au bassinet, preuve qu’on peut tout obtenir, même d’un connard de facho cocaïné.

A l’intérieur ca dégueule de monde, on est déja les plus vieilles, avec nos bac +2 en poche, on se sent la peau qui fripe, la patte d’oie qui plisse, c’est plein de petites putes qui se frottent à des connards aux chemises trop propres repassées par la bonne de Papa, et puis au fond, un cordon pour les gens importants, les chanteurs Endemol qui viennent montrer leur cul pour vendre du 2 titres en supermarché de banlieue triste, un grand décalqué passe son temps à envoyer des glaçons sur une pauvre fille abrutie sur son pouf en velours cramoisi, ca sent la clope et le vomi de gin-martini. On se cale près du bar, stratégiquement entre la piste et un groupe de vieux arabes qui font aussi tâche que nous dans le paysage, présageant qu’une fois mon pull en rayure de cul enlevé, mon décolleté nous offre quelques verres sur la note de nos businessmen du Moyen Orient. Faudrait pas que ca nous coûte tu vois, on est là comme en apnée, on ne danse même pas, on a du mal à se réchauffer du dehors, du Winston qui nous a viré pour une sombre histoire de vomi dans les arbustes de l’entrée, moi je commence à me dire que tout ca va mal finir, qu’à force de se barrer sans payer, d’insulter tous les videurs et de se faire taxi-baskets sur diner offert surprise, on va se faire choper, je me demande quand ca s’arrête, toujours courir vers une autre soirée, vers une bouteille offerte ou vers celui qui a une caisse pour nous ramener. Mais je me laisse avoir comme une enfant, par l’autre, mon amie, ma folle, mon allumée, qui m’entraîne dans des galères au fond du 77 a 4h du mat sans sourciller, qui me répète en pleurant qu’on va mourir si on s’amuse  pas maintenant, toujours sur le fil, quelques médocs coincés dans la poche fermée du sac à main cabossé, ca fond sous la langue et on ne pensera plus  à rien, on s’endort toutes les deux serrées devant la télé, la fenêtre ouverte sur le matin glacé, et demain on aura plus mal, demain tout ira bien, si on est pas crevées. Y’a ma douleur et la sienne qui s’embrassent pour ne plus se quitter, y’a mon mal être et sa folie qui s’emboîtent si bien, on est seules au monde, on a besoin de personne, on nique tout, on est tout.

Moi j’ai l’alcool philosophe au bout d’une certaine dose, je m’écoute penser, je suis trop fière de mes idées, je méprise le monde qui me le rend à moitié, accoudée sur ce bar trop lumineux pour mes yeux fatigués, je la regarde danser, encore, grotesque, emmêlée dans son besoin urgent de serrer n’importe quoi pour se rassurer et sa tentative un peu naze de se faire remarquer par le DJ. C’est pas franchement un canon ma pote, je le sais, j’ai beau avoir 30 kilos de plus, c’est toujours moi qui me fait draguer, mais ce soir j’ai conscience d’être un étron planté sur un gateau d’anniversaire, je me contente d’observer. Elle remue son bassin, elle se déhanche, je crois qu’elle fait un genre de danse du ventre, elle envoie des baisers au mâles qui se moquent, je lui gueule d’arrêter, mais c’est trop tard, elle monte sur une enceinte, ou plutôt elle l’escalade, elle la prend d’assaut, elle se gave, elle gesticule, elle se tord, et elle commence sa routine habituelle de natation synchronisée. Championne du Val de Marne ca ne s’oublie pas, c’est presque sa seule fierté, alors quand la soirée est trop morne, elle retape la choré en entier, petits pas chassés, tourbillons et nez pincé, on peut pas dire que l’apesanteur lui rende vraiment service, mais elle s’en fout, elle lève la cuisse, elle bat du pied, elle traite le barman de communiste d’arbitre de merde, elle s’excite, elle attend sa médaille, elle commence à se déshabiller. J’avais promis qu’elle serait sage, mais moi je peux pas contrôler la grande sportive qui l’habite une fois les 2 meujs passés, alors en prévision de ce qui va venir, je vais chercher nos sacs aux vestiaires, et je m’en grille une avec le videur à l’entrée. J’attends qu’on me la livre, surexcitée et outrée, dégoulinante de sueur et complètement barrée de la réalité, c’est moi la babysitter, c’est sur mon épaule qu’elle chialera dans le Noctilien, après avoir dégueulé sa haine sur deux ados boutonneux qui finissent leur soirée à Châtelet. Pour rien au monde je ne l’aurais changée.