Prophylactique prophétie

Je la regarde haleter. Je m’emmerde. Je sens les coups de reins de l’autre qui se voudrait viril, mouvements tectoniques des chairs, son ventre empaqueté dans le mien, sa cuisse reposant mollement sur mon genou, position compliquée pour threesome vulgaire. Je suis trop mesquine pour baiser à plusieurs, ou alors il me faudrait des centaines de partenaires, puisque personne ne jouit vraiment lors d’orgies grandioses, on regarde les autres qui regardent les culs nus et transpirants des autres, on fait de la performance, on se crée des souvenirs, les partouzes sont aussi sexuelles que des premières communions, on fait la queue pour recevoir son quart d’heure de gloire, on finit avec quelque chose d’aigre coincé entre les dents, une capote sérigraphiée comme souvenir au fond du goodie bag, la tête farcie des hurlements surjoués d’une trainée écartelée, écervelée. Je regarde les gens baiser et tout me paraît violent, tout me paraît grotesque, je glousse sous mon aube de dentelle cheap, les poses et les mots sont copiés de vidéos trop courtes et de films mémorisés à grand renfort de boîtes de kleenex premier prix, poubelle remplie de fantasmes morts et de sexualité sur fond de musique d’ascenseur, sur le troisième orgasme, j’envoie un bon beat sale de funk qui casse, qu’est ce que je fous là.

C’est un peu comme baiser devant la télé, quand tu t’emmerdes et qu’il fait trop pauvre pour sortir boire des coups, que tu secoues mollement la queue tiède de ton amant dépité devant une énième coupe du monde au rabais, que tu suces sans croiser son regard, parce que tu ne le fais pas pour lui, pas de mise en scène de fellation putesque,, les yeux dans les siens, la langue sur le frein, tu lâches tes cheveux et tu la colles à ton palais, tu te demandes en combien de secondes tu le feras bander, tu sais pas si tu le feras jouir, mais c’est toujours un bon quart d’heure de niqué sur cette nuit qui n’en finit pas de coller, la chaleur, Ruquier qui va commencer, est-ce qu’il reste du pain pour demain, le chat miaule sur le balcon, les tâches soudain phosphorescentes du canapé, lumière bleue, police scientifique, c’est du propre, acheter du Fabulon, finir de lui lécher le gland et puis prétexter une envie de pisser, arrêter sans s’excuser. C’est la clope qui tu allumes sans en avoir envie, celle qui te déchire la gueule et que tu finis par écraser, celle que tu regretteras en fin de soirée, quand ton paquet sera vide et le tabac fermé. C’est le coup de bite de l’ennui, du glauque et de la lumière bleue de l’écran, c’est le goût du sperme dans la bouche de la ménagère de moins de 50 ans qui veut négocier sur le programme télé. Ca sert à rien mais tu le fais.

L’actrice s’acharne depuis 10 minutes sur l’engin monstrueux de ce mec qui ne fait même plus semblant de s’intéresser à ce qu’il fait, je suis fascinée par ses cuisses qui s’agitent, ses genoux qui plient encore pour repartir, petite fusée moche, petite boîte à musique gore, à qui tu penses quand tu t’empales pour 500 balles, à quoi tu penses dans le métro quand tu rentres, le cul encore ouvert sur le strapontin libéré par la mamie qui descend à Nation avec son chariot plein de Bibles, à quoi on pense, pourquoi on fait ce qu’on fait, si seulement on avait l’intelligence et le courage de se regarder faire les choses, de ne plus fermer les yeux devant notre mollesse, notre dégoutante et dégueulasse compromission permanente avec ce qu’on est. Alors peut-être, nous pourrions arrêter de nous lancer le bec devant comme des oiseaux mazoutés dans une piscine de merde encore plus toxique que nos biberons en parabens et capotes en plastique, peut-être qu’on verrait la lumière, ou qu’on crèverait les yeux ouverts par le soleil.

Sa mère

Moi j’ai toujours préféré les parkings aux plages, les usines aux musées, les quartiers sales aux dessous chics, comme si j’étais pas faite pour rentrer dans le rêve des autres, celui qu’on te raconte petite fille, les études longues et le gentil mari, l’appartement cossu et la voiture tableau ronce de noyer inclus. Je me demande comment on fait pour formater correctement les enfants, quand on a la chance d’être né ici, blanc et en bonne santé, quand les petits trop nourris n’ont d’autres préoccupations que l’heure de leur prochain biberon, comment j’ai pu passer tout à fait à côté de tout ce qui paraît cool quand on grandit, les pulls Barbie, les anniversaires, les meilleures amies, les bonbons et les pyjama parties. Petite je me trimballais déjà ce corps pas tout à fait adéquat, cette grimace gauche et crispée pleine de timidité, et la certitude que je n’étais pas vraiment normale, que les années seraient longues avant que je me fasse des amis, des vrais, avant de me faire adopter pas ces gens qui avaient déjà tout compris à la vie. Mes parents ont bien essayé de me coller des cousines dans les pattes pendant les vacances, des plus belles que moi, des plus grandes, des plus dégourdies, mais notre patrimoine génétique n’a pas suffit. Je jouais bien la comédie, il le fallait bien, devant ces adultes émerveillés de me voir si entourée, une maison pleine de copines et de cousines convoquées par ma mère sans même me consulter, tu auras des amies ma filles, tu t’amuseras et tu partageras, c’est comme ca. Et puis il y avait toujours une pauvresse à sauver, une ado contrariée que ma mère prenait quelques mois sous son aile comme un projet, persuadée d’être damnée pour avoir avoir divorcé, faisant de moi l’enfant unique type de ma génération, elle semblait se racheter une conscience en gâtant l’orphelin et la rejetée, m’inventant pour quelques temps une fratrie imaginaire de bras cassés.

Ma mère devenait la confidente, l’alliée, celle à qui on peut tout dire. Moi je n’avais rien à dire. Et surtout pas envie de parler, surtout pas de moi, surtout pas de mon père, surtout pas de ce à quoi je pensais. Il y avait tout le bruit rassurant des autres pour nous éviter de nous regarder, tous les mots de ces filles qui se déversaient dans l’oreille de ma mère jusqu’à ce qu’elle en oublie de m’interroger, jusqu’à ce que le son de ces blablas adolescents couvre le gong sourd et puissant de l’absence, du manque, du père qui disparaît, de la vie qui s’écroule, d’une enfant qui refuse de dire, qui fait l’huitre, qui ressemble trop à son géniteur, qui n’arrête pas de grossir, qui cesse de ressembler au portrait parfait qu’on avait dessiné. J’étais jalouse bien sur, de ma mère, si parfaite, belle, cultivée, mince, douée, qui semblait arriver à se faire aimer de toutes sans se forcer, la mère de Daria, elle est vraiment trop sympa, on vient de loin profiter de sa compagnie, la consulter, lui parler, et moi je suis là, sur le tabouret d’à côté, la clope au bec, j’acquiesce. Je partage mes « amies’ avec ma mère. Je n’ai pas le choix. Seule je n’ai pas de quoi les retenir, de quoi les intéresser. Je ne suis pas assez pour motiver leur amitié. Je ne sais pas si c’est vrai. Mais c’est ce que je ressens profondément dans ces instants. J’envie mes amies, qui vivent leurs premiers amours, leurs premiers baisers, tandis que je reste comme une baleine autiste sur le côté. Je jalouse ma mère qui porte sur elle le masque du bonheur et de la réussite. Je n’ai pas le recul pour comprendre. Je ne lis pas encore entre les lignes. Je suis aigrie. Mais je fais semblant. Parce que mon rôle n’est pas celui ci. Parce que je suis celle qui est toujours en forme. Toujours partante. Toujours de bonne humeur. La rigolote. Celle qui est toujours là. Lassie chien connasse.

Je ne suis plus aigrie. Je suis un peu amère. De n’avoir pas su profiter de ces années. De me rendre compte 15 ans après de ce qui aurait pu être, de ce que j’ai laissé filer, par bétise, par timidité, par jalousie, par incapacité totale à profiter de l’instant sans me projeter dans un scenario catastrophe pour les heures d’après. Je me console bien sur en pensant qu’on est tous idiots entre 12 et 17 ans. Je regrette de ne pas l’avoir été vraiment. De ne pas avoir fait de vraies grosses conneries. Je rêve parfois que j’y retourne, dans mon corps tout juste formé, avec ma hargne et mon caractère de maintenant, je rêve que je ne m’écrase plus, que je parle, que j’ose, que je ne me laisse plus faire, que je dis, que je me révolte, que je me laisse aller à cette fichue crise d’adolescence qui me prendra trop tard quelques années après. Je m’imagine plus petite encore, je m’invente une enfance. J’ai la particularité d’avoir complétement occulté mes premières années. Mes premiers vrais souvenirs arrivent vers 9 ans, au divorce de mes parents. Avant, tout est permis. Peut-être bien que j’avais même un pull Barbie.

The truth about Polly Maggoo

Oui je passe une bonne journée, sauf qu’il n’y a rien dedans, alors je n’ai rien à raconter. Il y a les petites bonnes nouvelles, les éclats de verre dans le pied, les cascades du chat, les médicaments qui me font gerber, les heures de sommeil à rattraper, cette fatigue qui m’attrape dès que je me lève pour ne plus me lâcher. Il y a le temps qui passe et mon horloge détraquée qui arrête de compter, un jour ou une semaine, après tout, quand il n’y a rien, quand rien ne t’anime, quand rien ne t’intéresse, quand tout est accessoire, qu’est ce que ca peut changer ? Je voudrais qu’on arrête de me demander comment je vais, parce que je vais toujours mal, que c’est ca la putain de vérité, et que les infimes variations de mon humeur bloquée à grands coups de molécules ne me permettent plus de jouir de quoique ce soit, ni d’un livre ni de la bite, ni d’un déjeuner au soleil, ni d’un bon film. En attendant que « ca » passe, je suis emmaillotée dans une camisole protectrice, un mou salvateur qui me permet de ne plus avoir envie de me déchirer la peau à grands coups de couteau cranté, qui m’évite les crises de larmes et les angoisses ignobles, je ne crains plus le noir, je reprends l’ascenseur, mais en échange je ne ressens rien, ni le bien ni le mal, ni l’envie ni le charme. Je suis protégée de l’intérieur par ma couche d’antagonistes et autres thymorégulateurs, je n’ai jamais été aussi bien, c’est vrai, tellement bien que j’en regrette de ne plus en chier, de ne plus chialer devant la publicité pour les croquettes, de ne plus m’émouvoir d’un rien, de ne plus m’amouracher du premier croisé. Je suis mal, mais cliniquement très bien, alors contentons nous du bien mou, au lieu de chercher à s’épater sans cesse, à faire mieux, à faire plus, à faire plus vite, soyez indulgente, qu’il dit le vieux, laissez vous dormir, laissez vous être fatiguée, cessez de lutter, acceptez que vous n’y pouvez rien, alors je prie un peu, donne-moi la sérénité, d’accepter toutes les choses que je ne peux changer, donne-moi le courage de changer les choses que je peux, et la sagesse d’en connaître la différence.