Chère Delphine Desneiges de Cosmopolitan

Madame,

Le 25 juin 2012 vous vous fendez d’un article intitulé « Les rondes et la mode ». Je suis moi même de consistance molle à très molle. Je m’empresse donc de lire avec intérêt votre billet, que je me permets de reproduire ici en italique. Il est ligne ICI.

Je dois avouer avoir d’abord réagi de manière un peu franche. Je pense que « bande de trous du culs » a été mon premier sentiment sur Twitter. Votre texte est d’une telle hypocrisie que j’ai failli m’étouffer dans ma tartine de saindoux. Et puis, sans doute prise d’un élan soudain de charité, j’ai décidé d’éclairer votre vessie à l’aide de ma lanterne.

Reprenons donc.

Malaise. Et débat : ce matin, à la rédaction, nous recevons un communiqué de presse intitulé « 1er shopping avec mannequin pro taille 48 ».

Soit. L’info est en effet intéressante en soi. Sauf que… Le côté racoleur nous interpelle.

(Vous pouvez voir le shooting ici : Ma Grande Taille)

Tiens, je trouve ca rigolo « racoleur » comme choix de mot. La pub Gleeden, par exemple, jouant sur l’infidélité, je trouve ça racoleur. Une fille en vitrine qui propose ses charmes, c’est du racolage. Une couverture de New Look avec « Les photos des seins de Kim Kardashian », c’est racoleur. Quand je lis vos dossiers de sexologie, pleins de clichés, d’informations erronées, d’idées sexistes pour « pimenter sa relation » ou « satisfaire ses fantasmes », je juge cela racoleur. Mais une mannequin en 48 ? Vraiment ? C’est l’association de la taille et du mot mannequin qui vous fait vomir ? Vous ne vous imaginiez pas qu’une femme « si grosse » puisse prétendre au statut de mannequin ou qu’elle puisse porter à elle seule une marque et une campagne ? Qui racole ici, Madame la journaliste ? Vous sans doute, en mettant ce communiqué de presse en question. Ou en vous prenant en photo sous tous les angles en portant un masque de tête de mouton, mais c’est une autre histoire.

 

Oui, il y a définitivement trop de mannequins bien trop maigres dans les pages des magazines, oui, les filles shootées sont très loin de refléter la réalité, et oui, la mode exclut bien trop facilement les rondes. Tout cela, on ne le sait que trop. Lorsque l’on élabore un dossier mode, on tente, à notre petite mesure, de régler ce différent, même s’il n’est pas toujours évident – pour ne pas dire franchement difficile ! – de trouver des visuels de jeunes femmes plus en chair que celles que l’on a coutume de voir partout, tout le temps.

Donc si je vous suis, c’est uniquement de la faute des annonceurs, des marques, des méchants grands de la mode, si je n’ai pas ma place dans les pages modes de votre magasine ? Vous, vous luttez pour mon bien, vous vous imposez régulièrement au sein de votre rédaction en levant le poing, l’autre main fermement ancrée sur vos hanches de prolétaire en colère. Mais bien sur. Et les séries modes, shootées sur de jolies plages par des mannequins de 16 ans aux formes inexistantes, cela n’a rien à voir avec Cosmo. Et les photos en maillot, ou pour présenter des bijoux, tout cela est uniquement le fait des grands vilains de la mode. Mais alors à quoi servent les pages « fashion » de votre magasine ? Elles ne sont qu’un vulgaire catalogue. Le Diable en Prada m’aurait il menti ? Il n’existe pas de casting pour votre encart mode ? de prises de vues ? de prêts de créateurs pour vos pages ? Les journalistes, les rédacteurs en chef, n’ont donc aucun pouvoir sur ce qui est publié ? Allons. Soyez au moins honnête.

« Rome ne s’est pas faite en un jour » : c’est un fait, cela prendra plusieurs années avant que tous les acteurs du secteur de la mode intègrent que les lectrices en on assez de voir des photos de jeunes femmes faméliques qui ne leur ressemblent guère.

Selon Wikipedia, Cosmo existe depuis plus d’un siècle aux USA, et depuis 1973 en France. Le problème de la place de la femme et de sa représentation est au cœur des réflexions de nombreux mouvements depuis bien plus longtemps. Si l’ensemble de la population française continue à grandir et à grossir, les mannequins que vous choisissez pour vos images ont eux connu une baisse sensible de leur âge et de leur tour de taille. Vous n’êtes pas là pour rendre un service aux femmes, pour leur ressembler ou pour leur plaire, mais bien pour les conforter dans un perpétuel malaise, une perpétuelle insatisfaction sur leur physique et sur leur mode de vie. Ainsi, le corps moyen de vos lectrices ne correspondra jamais à celui de vos modèles, et le shopping proposé dans vos pages sera toujours au dessus de leur budget. Il s’agit de vendre du rêve, certainement pas d’être bienveillant, de se rapprocher de la lectrice. Cessez de mentir, de proclamer votre volonté universaliste de représenter toutes les femmes. Vous mentez. Vous le savez, non ?

 

Pour autant, faut-il toujours et systématiquement mettre en exergue les rondes lorsqu’on leur consacre une série mode, par exemple ? Et, plutôt que de dédier une série aux rondes, ne peut-on pas, au contraire, les intégrer aux côtés de mannequins plus en phase avec les silhouettes « moyennes », sans être rachitiques ? En d’autres termes, doit-on forcément passer pas une phase de « discrimination positive » pour faire avancer les mentalités ?

Quand je vous lis, j’ai l’impression que je prends un cours de coréen avec Kim Jong Il. Vous qui pratiquez depuis des années dans votre magasine des choix éditoriaux visant à discriminer et à ostraciser les femmes qui ne rentrent pas dans votre prisme de la normalité, vous souhaitez aujourd’hui donner des leçons d’intégration ? J’ai lu Cosmo UK, US et Fr pendant toute mon adolescence.Vos éditions anglo-saxonnes font parfois l’effort d’intégrer des femmes aux physiques différents dans leurs pages, et donnent assez fréquemment des conseils de mode jusqu’à des tailles 54 ou 56, mais je ne me souviens pas d’avoir une seule fois trouvé quelqu’un qui pourrait me ressembler dans les pages de l’édition française. Vous n’avez pas l’air de souffrir de votre apparence, si j’en crois votre blog personnel, et les marques que vous portez me laissent penser que vous devez vous trouver fort à l’aise dans les pages que vous défendez. Ce n’est pas mon cas, ni celui de toutes les femmes qui dépassent la taille 42. Cela fait un paquet de monde. Vous avez su nous conseiller les dernières diètes des stars, comparer les produits protéinés aux sachets solubles, vous nous avez convaincu qu’on allait vraiment perdre 4 kilos en une semaine sans les reprendre, qu’on pouvait avoir l’air mince en choisissant bien nos couleurs, vous nous avez vendu la maigreur comme rêve ultime, comme quelque chose de facile, quelques jours de régime, un peu de volonté, quelques abdos et des litres de crèmes pour le corps caféinées. Bien sur vous avez pondu quelques articles sur le zen, le yoga, le fait de vivre en paix avec son corps, de s’aimer, mais faites un ratio, combien de haine, de régimes restrictifs débiles, et combien d’aide réelle ?

 

Vous évoquez les silhouettes moyennes. Je suis d’accord. Qu’attendez vous pour le faire ? Combien de femmes en taille 42 avez vous affiché dans vos colonnes cette année ? Combien de femmes en taille 42 ont été mises en valeur dans des pages mode ? Combien ? Combien de modèles ont plus de 20 ans ? Combien sont noirs ? orientaux ? Quelle diversité offrez vous ? Quelle normalité ? Dans quelle monde vivez vous pour si mal le copier dans vos pages ?

Vous évoquez la « discrimination positive ». Vous la jugez inutile. Injuste peut-être. Vous parlez des mentalités. Vous avez donc conscience du poids de ces fichues mentalités sur les femmes jugées rondes, grosses, obèses. Vous savez lire, et vous avez donc consulté les études sociologiques récentes qui prouvent qu’elles sont discriminées à l’embauche et au long de leur carrière. Vous ne le savez peut-être pas, mais laissez moi vous apprendre qu’elles le sont aussi médicalement, dans leur parcours de soin, et de manière flagrante dans leurs parcours de procréation assistée (FIV). Je vous passe les petits ennuis du quotidien, les injures, les blagues, les moqueries, l’adolescence. Les rondes ne sont pas toutes Beth Ditto. Elles n’évoluent pas toutes dans un monde parfait de tolérance et de petits poneys. Elles n’ont pas toute le cran nécessaire à l’affirmation de leur condition. Elles ne sont jamais mise en valeur. Nulle part. A part peut-être sur des sites pornos, ou des hommes ont le bon goût de se masturber sur leurs corps pourtant jugés imparfaits par des magazines comme le votre. Alors avant de l’ouvrir sur la «  » » » »discrimination positive » » » » » » », peut-être pourriez vous faire l’effort de vous interroger vraiment sur la réelle discrimination. De vous y intéresser. D’écrire sur le sujet. De vous sensibiliser.  Ne prenez pas les choses à l’envers. Ne pensez pas que les rondes ont tout gagné, qu’il n’y a plus rien à faire, parce que vous dansez sur les Gossips et que vous trouvez Marianne James géniale. Ne changez pas l’ordre des douleurs et des priorités.

 

Ces questions méritent d’être posées. Car, si nous sommes les premières à vouloir que les séries mode nous ressemblent davantage (on est toutes loin de faire une taille 36 à la rédaction !), il nous semble bien que de se servir des rondes comme axe de communication ne sert pas franchement les rondes, justement…

Sérieusement, toute démagogie journalistique mise à part, quand parlez vous des grosses ? Des rondes ? A part pour évoquer la chirurgie bariatrique, le cul de Kim Kardashian qui la classerait dans la partie obscure de la force, les régimes, ou les 2 ou 3 starlettes qui connaissent des problèmes de poids ? Quand avez vous de votre plein gré fait réaliser une série de mode avec des modèles Plus Size (c’est à dire portant plus qu’un 42) ? Quand avez vous mis en lumière des rondes sans y être forcés par l’actualité, une mode ou une chanteuse ? quand avez vous pris vos responsabilités ? quand avez vous mis en œuvre quelque chose de concret pour répondre aux questions que vous lancez dans votre article, pleine d’une naïveté presque touchante ? Plutôt que d’interroger vos lectrices, qui sont certainement une majorité à ne pas ressembler aux modèles que vous proposez, pourquoi ne pas vous interroger vous, les professionnels, les journalistes, les stylistes ? Qu’attendez vous pour faire cessez l’hypocrisie ? Qu’attendez vous pour nous faire exister, pour de vrai, dans vos pages, sans nous stigmatiser, sans nous étiqueter ? De quel coup de pouce divin avez vous besoin ? A quoi sert votre article ?

 

 

 

Scrapbooking

J’ai l’impression de le connaitre. J’ai l’impression de l’avoir déjà touché. Quand sa main frôle la mienne, je ne tremble pas, je me demande quand il reviendra, quand ses yeux du dedans s’ouvriront pour lui raconter nos rencontres irréelles. Je me demande évidemment s’il ressent tout ça. Je guette les coins agités de ses paupières et ses mains qui ne se posent jamais la où je les attends. Je le regarde me regarder, et mes yeux se perdent par dessus son épaule, je ne suis déjà plus là.

J’ai l’absolu facile, je suis peut-être sorcière. Il me semble facile de dire les gens qui comptent seulement quelques minutes après les avoir serrés. Ni naïve, ni obsédée, ils vont comme ils viennent, et le sentiment de les avoir au creux de mon ventre me suffit souvent. Ils ont été, ils sont, ils seront, ils ne font que passer, les définitions et les temps a conjuguer ne troublent pas mes certitudes. Je sais, parce que je sens. Parce qu’on me le souffle. Parce qu’on me le frappe dans le cœur. Parce qu’on me l’encre quelque part d’invisible. Je suis tatouée des pieds à la tête de ces noms d’inconnus, de ces surnoms que je donne à ceux que je croise, pyrogravure magique indolore dans ma chair molle, fille croisée au Luxembourg l’été dernier, regard clair et sac en macramé, discussion sur l’Angleterre, repartir ou rester, ton nom sur ce collier cheap qui ne cesse de griffer ton décolleté, un café, un numéro tronqué, retour au noir, fin de l’acte premier. Pourtant je me souviens, je te garde et je te préserve dans mon placard à petites surprises jolies, confiture cannibale pour petits déjeuners solitaires, j’ai des petits pots de sangs pleins mes étagères.

C’est idiot de s’attacher aussi vite à ceux qui passent sans s’arrêter. Ils me préviennent pourtant, elles disent leurs habitudes et leurs tourments, surtout ne m’en veux pas, surtout ne crois pas ce que je te dis, surtout oublie le son de ma voix, mais pourquoi se laisser attraper, pourquoi se laisser toucher, si on ne peut rien garder, même pas l’emballage bruyant de la surprise, plié dans les bons traits en plusieurs couches, rangé à jamais dans une boîte qu’on oublie. J’accumule les souvenirs, je les confonds parfois avec des rêveries, je confonds volontiers ce qui aurait pu être et ce qui a été, je colorie au feutre usé les contours flous d’une amitié ou d’une relation, je gomme les jours de colère, je surligne et je scrapbooke comme une ménagère docile, des couronnes de petites fleurs en papier entourent les photos jaunies. Je voudrais une sépulture décente pour ceux qui s’en vont, qui sortent de ma vie pour ne jamais y retourner, qui vivent ailleurs, sans moi, les enterrer proprement, avec couronnes et grands discours, musique et tremblements, dire adieu, c’était bien, surtout ne reviens pas, oublie moi.