Je me laisse aller à la tradition américaine de Thanksgiving, pas tellement en ce qui concerne la dinde fourrée et le massacre de milliers d’indiens, mais la partie la plus douce, la plus jolie, celle de rendre grâce, celle de reconnaître le bon chez l’autre, remercier. Alors, très officiellement, comme si je venais de recevoir l’oscar de la meuf grosse la mieux habillée, je voudrais remercier ma mère, sans qui je ne serais pas là aujourd’hui. C’est bateau, tout le monde le dit, sauf que pour moi, ca sonne un peu plus vrai, sans elle, je ne serais pas là, vivante et irriguée. Sans son soutien indéfectible pendant ces 14 derniers mois, sans sa présence discrète, sans son aide matérielle, sans ses attentions quotidiennes, sans ses sms du matin pour me demander si je vais bien, je serais certainement morte. Je ne dis pas ca de manière tragique, ce n’est pas triste, je suis ravie d’être là, je n’ai jamais voulu mourir, je ne fais que constater l’évidence, je viens de passer un cap très difficile de ma vie, j’ai été très malade, j’ai cru plusieurs fois ne jamais retrouver mes neurones, je les avais perdues quelque part entre la mélancolie et la boîte de lexomil, j’étais ingérable, toujours sur les nerfs, toujours prête à exploser, toujours trop fragile, toujours à protéger, je n’étais plus moi, j’étais cette personne débile, incapable de lire, de comprendre quelque chose de compliqué, de sortir de chez elle ou de travailler.
Ma mère, cette personne extraordinaire, cet être faillible mais merveilleux, pleine de grâce et de gentillesse, toujours prête à déchirer son manteau en 4 pour te faire une petite couverture pour tes jours de peine, cette maman pour moi, mais aussi parfois pour mes proches, cette femme qui ne me raconte rien de ses malheurs ou de ses angoisses quand elle sent que je ne suis pas capable de les entendre, cette dame qui porte sa tête haut, malgré ses blessures, ses envies, son passé. Ma maman, cette petite bonne femme fragile, dont j’enserre le bras avec mes deux doigts tellement il est petit, ce petit bout qui s’empêche de dormir quand je ne vais pas bien, qui s’inquiète et qui cherche pour moi les réponses que je n’arrive pas à trouver, qui me conseille de son mieux, qui me comprend, ou qui fait semblant quand vraiment c’est trop compliqué. Ma mère, ma génitrice, mon moteur quand je n’y arrive plus, mon chauffeur de taxi thérapeutique quand je dois traverser Paris, mon ambulance pour débarquer aux urgences, ma bienfaitrice des jours difficiles, elle est mon père, elle est mes parents, elle est presque ma seule famille, mon lien précieux avec ce que j’ai été enfant, avec mes souvenirs reconstruits comme un puzzle 60000 pièces, mon radiateur portatif, mon miroir positif, celle qui me rappelle que je peux y arriver, que je suis capable, que rien n’est impossible si je pousse fort sur mes deux jambes, que je ne suis pas bonne à jeter.
Oh bien sur il nous arrive de ne pas être d’accord, il nous arrive de nous engueuler, bien sur elle est sa propre personne, et je suis moi, nous sommes chacune pétries de nos habitudes, de nos cultures, de nos ressentis, très différentes, très entières, sans compromis, intransigeantes avec nous mêmes comme avec ceux qui prétendent nous aimer, nous nous ressemblons dans notre envie pathologique d’être toujours aimées, toujours les meilleures, ne jamais faire les choses à moitié. Bien sur notre relation change, évolue, se transforme au gré de nos situations, de nos envies, de nos humeurs, mais je suis sure d’être aimée sans condition, pour ce que je suis, les cheveux roses ou blonds, à 290 kilos ou à 34 kilos, chômeuse ou chef de service, raelienne ou bouddhiste. Et elle sait que je l’aime, que je respecte ses décisions et sa vie, que je suis là, juste à côté, pour lui offrir une mauvaise blague ou un commentaire ironique, pour la faire sourire quand elle est prête à exploser de stress, pour discuter, ou juste pour se taire et bouquiner. Je suis sa fille et elle est ma mère, c’est bête, mais cette affirmation me suffit, savoir que j’ai la chance de l’avoir dans ma vie, c’est doux dans ma tête, même quand j’ai envie de la secouer très fort pour qu’elle arrête d’aboyer dans la queue des magasins, même quand elle insiste pour commander en espagnol chez le mexicain, c’est la mienne, ma mère, et je l’aime.