Punk à chien

Dans le parc en face de chez moi, y’a un couple de punks à chien. Je mens un peu, parce qu’ils ne sont sans doute pas punks, ils sont juste jeunes, et ils ont un berger allemand, ca suffit à coller à mon image du punk à festoches. Et puis c’est plus festif, cette image de jeunesse déglinguée qui mange liquide dans des canettes discount, mais qui se marre, quand même. C’est plus festif que de se dire que dans le parc en face de chez moi, y’a un couple de cloches à chien. C’est un tout petit berger allemand, encore blond comme dans une pub pour le coulommiers, qui traîne dans leurs jambes, avec sa laisse en bout de ficelle et ses oreilles abîmées, un petit chien de clochard, comme dans les pubs pour SPA, qui te regarde passer avec des larmes dans les yeux, sa poignée de croquettes trempée planquée entre ses pattes. Il a pas l’air malheureux, il bouffe, il joue, il aboie, mais y’a dans sa manière de coller à ses maîtres toute la misére du monde, tout ce qui rampe et tout ce qui gémit, c’est condensé là, dans les quelques centimètres qui l’éloignent du pied pourri de son humain.

Je sais pas si tout tourne encore bien rond dans la tête de ses humains, justement. Ils sont toujours là quand il pleut, jamais quand il fait beau, toujours à choper le crachin dégueulasse sur le même banc, la même canette à la main, tu les verras jamais bronzer torse poil sur la pelouse, se laver à la fontaine, ils sont recroquevillés sur eux mêmes, je leur lâche une clope en passant, on échange trois conneries. Que la vie est dure et qu’il fait froid, que le chien grandit bien. Qu’ils vont bouger bientôt. Trois ans qu’ils squattent le même banc. Ils doivent pas avoir plus de 25 ans, il ressemble à une caricature du mec qui sort de taule, le crâne rasé, les dents pourries, l’air imbécile heureux entretenu par les degrés doucereux de sa 8,6°, elle est petite, mi grosse mi maigre, ni belle ni laide, elle est toujours assise sur le dossier du banc, la main posée sur son épaule, en attendant. En attendant quoi, j’en sais rien, ils attendent l’hiver en ce moment, parce qu’il paraît qu’il arrive et qu’il va faire froid, alors ils vont dormir à tour de rôle dans les foyers, y’en a un qui garde le chien pendant que l’autre se repose, y’a pas trop de places de foyers ou de nuits d’hôtels pour les gens comme eux il paraît, et puis avec un chien, c’est pas la peine d’essayer. Je ne sais pas vraiment si ils essaient, en fait, et ce n’est ni un reproche, ni une condamnation, je les crois juste trop paumés pour avoir les réflèxes, un jour en appelle un autre, et si ils sont là, c’est déja bien.

Je me demande ce qu’ils font quand il fait beau. J’arrive pas à comprendre ce qu’ils foutent toujours là sous la pluie. Ils sont toujours seuls, je ne les vois jamais attendre quelqu’un, ils ont toujours un sac de bouffe, toujours à boire, ils ne sont pas totalement démunis. Parfois elle porte du mascara violet, et ca me fait toujours sourire, bêtement. J’ai toujours trouvé ca très laid. Mais tout aussi bêtement, je lui dis qu’elle a bonne mine, ces jours là, comme une vieille dame patronesse qui fait sa charité, et je me mords les joues de sortir de telles banalités. J’ose pas leur demander, par pudeur, et puis par peur, peur de ne pas savoir répondre, peur de mon impuissance, peur de ne rien pouvoir échanger de plus que mes quelques mots un peu moches et ma clope. Je sais juste qu’il y a deux mômes plus jeunes que moi qui dorment dehors et qui squattent en bas de chez moi. Et je ne peux rien en faire.

3 réflexions sur « Punk à chien »

  1. Ce commentaire est sûrement inutile mais tu me fais penser à Cavanna dans ta façon d’écrire et j’aime bien.

  2. « Je sais juste qu’il y a deux mômes plus jeunes que moi qui dorment dehors et qui squattent en bas de chez moi. Et je ne peux rien en faire. »

    Que voudrais-tu pouoir faire ?

  3. On peut toujours faire, même si ça ne paraît rien…
    Inviter à boire un café chaud sur une terrasse, ramener une vieille balle de tennis pour que le loulou à poils s’éclate avec, continuer à s’arrêter discuter deux minutes, demander si ça ferait du bien à la minette au mascara violet de prendre une douche… c’est des riens, des tout petits riens, mais quand t’es dehors et qu’on te regarde que pour te mépriser, c’est les petits riens qui font du bien.

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