DTR

Au commencement était le baiser, et la meuf pensa que c’était bien. C’était après un ciné et un Mac Do, sur un quai de métro, il allait vers Porte d’Orléans, elle filait vers la Porte de Clignancourt, et à la fourchette entre les deux destinations, sur ce bout de béton si symbolique, il avait laissé sa bouche dévier de quelques millimètres vers la sienne. Le coup classique de la bise qui dérape, le 101 du guide du premier baiser pour les timides, mais au moins, c’était fait, enfin, ce premier baiser qui marquait le début d’une relation, d’un couple, pour quelques jours ou quelques mois. Ils se souviendraient ensemble de ce premier échange de fluide, la date anniversaire de leur tout premier rapprochement physique, elle voudra le fêter, il l’aura oublié, préférant se souvenir de leur première nuit, de leur premier coït. Mais la date était là, marquée, documentée par les nombreux textos échangés dans le wagon du retour « Jlai pécho ahah » « c’était trop bien c’est lui qui m’a embrassé j’ai trop kiffé » et autres déclinaisons modernes du « tu crois que je le rappelle quand » et du « ca fait 17 heures que j’ai pas de nouvelles, est ce que tu crois qu’il m’a oublié ». Ah qu’il était doux ce temps naïf où la rencontre de deux langues marquait le début d »une histoire, d’une complicité particulière, de la promesse de quelque chose de suivi, de tangible. Les papillons sortaient de nos ventres noués par l’attente d’une vibration dans la poche d’un jean, tout avait un sens, du moindre signe de ponctuation oublié à la fleur de pakpak refusée.

Nous les trentenaires, les pourris, les enfants gâtés, les mauvais, nous chions en permanence sur ces jolies images. Rebelles contre rien, on veut embrasser sans penser, coucher sans entraves, on pratique le sex friend, le fuck buddy, tous bilingues en coucheries plus ou moins sales, en triangles amoureux étranges, en déceptions et en non-dits. La psychologie de comptoir est en libre accès dans toutes les salles de pauses, sur tous les bancs publics : si tu refuses de te mettre en couple avec Stéphanie, c’est parce que ton ex a gâché l’image de la femme, il faut te reconstruire, tu baises thérapeutique en fait, mais ouais. Et puis il y a cette course au meilleur partenaire potentiel, on se préserve pour ce qui pourrait éventuellement arriver, je couche avec Boris sans attaches, parce que je suis sur un coup depuis 4 ans avec mon DRH, je sens que ca va venir, je voudrais pas m’afficher accouplée quand il est sur le point de céder, ca va tout faire niquer. Les gens sont des trous auxquels on s’attache, on baise comme des chiens mais il me fait le café le matin, alors c’est mieux, parce que c’est tendre, on se raconte des histoires pour se rassurer, je ne suis pas vraiment une salope si je couche avec un mec marié, il est malheureux en vrai, c’est pas de sa faute, je suis son rayon de soleil, sa mère Theresa du 5 à 7, je peux pas le laisser tomber. Orgasmes à répétition, manque de tout quand elle se barre bosser sans te réveiller au petit matin, même pas un petit mot pour te remercier pour la soirée, vide total, éjaculation faciale dans le néant, t’es toujours tout seul, ta bite à la main.

On se moque de ceux qui tombent amoureux tout le temps. Le coeur d’artichaut ouvert comme la chatte à ta mère, on chie à la gueule de leur bonheur facile, de leurs émotions mouillées, de ces déclarations d’opérettes qu’ils font sans cesse au nouvel objet de leur désir, comme s’ils pouvaient toujours tout risquer pour plaire, tout mettre dans un espoir. On voudrait bien, mais on ne peut pas, et même si le mariage redevient cool, à force de cotillons vintages et de bridal showers à cupcakes, on se gausse encore autour de bières tièdes, on se raconte l’histoire de celle qui vient de divorcer comme une légende urbaine, tu vois, je t’avais bien dit, rien ne tient jamais, mieux vaut ne rien tenter, mieux vaut continuer à distribuer son corps par petits paquets bien ficelés, sans aucun connexion à l’âme, pantin Chronopost désarticulé. J’aimerais bien arrêter d’être cynique, je voudrais bien chanter du Jenifer et des chevaux au triple galop sans avoir peur de me prendre une main dans la gueule divine, un AHAH tonitruant du destin. C’est un effort conscient, se laisser toucher dans les tripes, plus profondément que dans le plus glissant des fists, s’abandonner enfin. Retourner sur un quai de métro et attendre, qu’il arrive peut-être.

6 réflexions sur « DTR »

  1. Moi je me prends plein de claques dans la gueule, des qui font mal et qui donnent envie d’être cynique, et je résiste. Ouais, je résiste avec mon petit cœur d’artichaut. Parce que c’est que comme ça qu’on peut espérer d’éventuellement faire tourner le Monde dans le bon sens, bordel !

  2. Mouais… J’y crois moyen à ce coup de gueule. Ca doit pas être un coup de gueule en fait, non ? Un ras le bol à cause d’un entourage à la vie affective pourrie ? Les clichés sont des clichés, pas un idéal qui « s’envole en poussière » avec l’âge.
    Et pis Jenifer, c’est pourri.

  3. C’est ça la vie.
    Moi, j’ai l’impression d’avoir perdu mon innocence.
    … Ou de ne pas me l’autoriser.

    J’anticipe la baffe dans la gueule, pour éviter d’avoir trop de mal à me remettre en selle ensuite.

    Jme fous de la gueule des amoureux transi, certes.
    Surement par jalousie, certes.

    Mais finalement, vit-on de ptits coups à droite et à gauche ?
    Moi je survis plutôt.

    Et pour l’instant, ça me fait tenir.
    Jme réjouis du « cette nuit c’était hard core, OUI MAIS, il m’a carressé les cheveux ce matin ».
    Jsuis pathétique mais ça me fait marrer…
    Et c’est bien là le principal je crois !

    J’aime bcp ce que tu écris… C’est bien tourné, c’est franc, c’est toi !
    Bonne journée à toi !

    T.

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