Pipi sur le Stick

(Ce texte est d’abord paru sur Voldemag l’année passée)

Ca fait 17 fois que je recompte. Sur papier d’abord, à coup de grandes croix d’encre rouge, une pour chaque jour passé, sur mon téléphone ensuite, mes doigts boudinés pressés sur l’agenda électronique. Ce n’est pas possible. Souviens toi putain. Creuse toi la cervelle. Relis tes mails. Sonde tes souvenirs. Cette soirée passée chez Béatrice, tu fouillais l’armoire à pharmacie au dessus des toilettes pour lui voler un tampon, c’était donc que tu les avais, ces connes de règles, quel jour c’était déjà, le samedi 26 ou la semaine d’après ? De quel mois d’abord ? Et ce mec dans mon lit et son air courroucé quand je lui ai annoncé que je ne pouvais pas lui monter dessus comme une amazone défroquée, ca je m’en souviens bien, c’était le mois dernier, j’ai meme noté “soirée avec gros con” dans mon carnet en papier. Et l’habituel, le régulier, avec ses capotes bioniques commandées à grand frais sur un site internet specialisé, “plus fines et vraiment à ma taille pour mieux te sentir”, ta race bordel, je suis sure que c’est sa faute, à cet enculé de dandy au latex obséquieux, ca laisse tout passer ces merveilles de la technologie, c’est sur, je suis niquée. Ca ferait 48 jours sans saignements. 13 jours de retard dans les meilleurs calculs. 20 dans les plus pessimistes. Je suis enceinte c’est sur. Et puis je suis fatiguée. J’ai les seins lourds et j’arrête pas de bailler. Mais j’ai la peau niquel, pas un bouton annonciateur d’une poussée d’hormone mensuelle.

Encore. A croire que mon corps fait exactement ce qu’il veut. Comme pour me punir d’être une fille un peu trop libre, de payer ma chatte comme certaines payent leur clope. Malgré la pilule, le préservatif, et l’éjaculation faciale. Fertile comme une vache d’élevage, ce sont les mots de la première gynéco qui m’a avorté, c’était il y a 5 ans, j’ai encore le goût du mauvais thé Lipton que l’infirmière m’a apporté juste après. J’ai pas eu mal, j’ai pas pleuré. Seulement j’ai autre chose à faire que de surveiller ma fertilité, perdre pendant une semaine des caillots monstrueux de sang coagulé, devoir porter les couches épaisses, sortes de serviettes hygièniques pour grand blessé. Et puis passer pour une conne encore. Non docteur, je ne sais pas ce qui s’est passé. J’ai pris ma Diane 35 tous les jours à la meme heure, j’ai meme une alerte sur mon telephone, regardez. Oui, je me protége, oui, je veux bien faire un test, on ne sait jamais, après tout si un spermatozoïde est passé, quelle autre saloperie est venue se nicher dans mon uterus traitre, dans ma chair faible ? Je me vois déjà la tronche défaite dans la salle d’attente du service d’orthogénie, je m’étais pourtant juré de ne jamais y refoutre les pieds.

J’ai honte putain. Et j’ai l’impression que la pharmacienne me juge dèja quand elle me tend le test de grossesse. Y’a une promo, par paquet de deux c’est moins cher, je vous mets ca ? Mets moi les profond, 17 euros pour apprendre qu’il va falloir qu’on m’aspire les boyaux sous anesthésie locale, je bronze mal sous la lumière froide du bloc opératoire. J’ai compté et recompté. J’ai surligné et j’ai raturé. Je sais ce qui est en train de se passer. Bien sur je m’en fous plein les doigts, je compte les secondes de pipi à haute voix, il faut dix Mississippis d’urine, concentre toi, stick en plastique noyé dans ma main souillée. Je rebouche le machin, l’envoie valser dans l’évier de la salle de bain, j’allume une cigarette, c’est pas bon le tabac pendant la grossesse, ca fait des petits bébés, ca tombe bien, je voudrais que le mien passe le mieux possible en purée dans mon utérus dilaté. A la dernière taffe, j’irais relever les compteurs, sceller ma connerie, m’assurer que je suis partie pour en chier. Il y aura deux traits mauves et putes dans les cases blanches, je le sais.

Machinalement, je remonte l’historique des sms échangés. Je n’ai rien dit à personne. Même pas à ceux qui me comprennent toujours, même pas à a meilleure amie. Je me sens stupide. Je me marre en relisant mes conneries, nos conneries, tout c’était avant que je sois enceinte, avant que je doive assumer ce ventre qui fait rien qu’à m’emmerder, la fumée me fait tousser, j’ai les larmes aux yeux, bientôt la dernière bouffée. Entre deux blagues honteuses sur la tuerie de Toulouse, mauvaises phrases de copines stressées, un message me saute à la gueule « Au fait, j’ai mes règles, rien à voir, mais j’en chie. La faute à Merah surement ». En une seconde les centaines de calculs se refont dans mon cerveau trop con pour percuter. Je ne suis sans doute pas enceinte. Je viens à peine d’ovuler. J’avais oublié. Ou alors je suis vraiment fécondée comme une oie, et c’est un cauchemar. Je ne me souviens pas avoir saigné.

Je rentre dans la salle de bain. Je balance mon mégot dans les toilettes. J’attrape le test encore trempé, je le secoue de haut en bas, fébrilement, quelques gouttes d’urine s’écrasent à mes pieds. Un seul trait mauve. J’ai gagné.

8 réflexions sur « Pipi sur le Stick »

  1. Ça fait longtemps que je n’ai pas pissé sur le stick, mais jamais j’ai lu un texte si précis sur ce que je ressens dans ces moments-là. Merci.

  2. Je ne sais pas comment tu fais pour toujours avoir l’art et la manière de trouver les bons mots, même pour les situations les plus bizarres ou pénibles… Merci 😉

  3. Ha.
    Merde.
    Euh, et le stérilet?
    Bon, ok, j’ai connu le cas d’une mère de 40ans à la fertilité féroce dont l’embryon avait eu la mauvaise idée de s’emmêler avec le stérilet. Youpi.

    En attendant, je traine mes couilles de mec en priant pour qu’un chercheur réussisse à nous inventer une pilule.

    Hé pourquoi?
    Ben je te présente mon adorable Ex. Qui lorsque sainte ragnagna a eu du retard, malgré un usage de capote (mais pas permanent lors de pratiques normalement pas fécondantes) m’a sorti qu’il n’était n’était pas question qu’elle se prenne un bon vieux RU486 ou un avortement, vu que à son âge « c’était un signe du destin ». Et que de mon coté, en tant que mec, je ne pouvais pas « l’avorter ». Que dans le meilleur des cas, je serais condamné à payer pour un gosse innocent contre lequel je n ‘avais rien, mais que sous prétexte que Madame l’avait voulu à tout prix, il porterait la moitié de mes gènes. Même si depuis je détestais sa chère maman…

  4. Pour la pilule de mec c’est fait mais on planche encore dessus à cause de la demi-molle qu’elle entraînerait…

  5. Hum… j’ai lu quelque part, que les règles n’étaient pas obligatoires. Certaines femmes de haut niveau de compétition prennent la pilule en continue… et les menstrues tous les 28 jours (à peu près) sont assez contemporains… Il a été établi, qu’avant le 20° siècle, les femmes n’avaient leurs règles que 4 fois par an… Ce que l’article ne disait pas, c’est qu’elles devaient être constamment enceinte…

    (J’aime bien ton blog).

  6. bravo de si bien conter ce que beaucoup de femmes ont connu.

    Par contre un détail peut être, mais qui a son importance dans ce contexte : la pilule diane 35 n’est pas un contraceptif et ne devrait jamais être prescrite comme telle. Or elle l’est quand même, distribuée comme des petits pains pour tout et n’importe quoi, ET en tant que contraception principale. Elle a notamment moins d’effet contraceptif, ou moins fiable que les autres pilules et l’acetate de cyprotérone qu’elle contient est particulièrement dangereux.

    il existe des cas où il est nécessaire (un peu d’acné, et encore, un peu de pilosité, et encore), mais en général on le remplace par des séances de laser et des soins dermato, qui ont le même effet pour beaucoup moins d’effets secondaires, pas de risques de cancer du foie, et pas d’effets sur la libido et les sécretions sexuelles.

    donc voilà, je ne sais pas pour quelles raisons tu prends de la diane, ça ne me regarde pas de les connaître, par contre toi ça te regarde et si tu as peur éventuellement de retomber enceinte, tu veux peut être savoir ça sur ce médicament. Je tiens mes infos de ma propre expérience (ma vie a été détruite par ce médicament), et aussi du site de Martin Winckler sur la contraception, les pilules, et aussi la maltraitance médicale.

    Je ne sais pas si tu le connais, je me permets de coller des liens là (si ça pose problème n’hésite pas à l’effacer, néanmoins c’est une source d’infos formidable et largement plus fiable que les sites grand public, si j’en crois les derniers gros mensonges des spé chez allo doc, là :/…)

    le site général de winckler : http://www.martinwinckler.com/spip.php?rubrique8

    la diane 35 : un extrait de chez winckler que je ne retrouve pas sur son site au sujet de la diane, il est donc cité ailleurs : http://www.familles.com/v4/forums/forums-familiaux-vie-de-couple-diane-35-comme-promis-t441186.html

    un article sur la diane chez métro http://www.metrofrance.com/info/contraception-la-pilule-diane-35-est-elle-dangereuse/mmaf!Jw3CCDMUbV4M/

    les pilules troisième génération, comment le marketing met les femmes en danger : http://www.martinwinckler.com/spip.php?article1114

    prise de plaquettes en continu comment, pourquoi etc (marcus, ce ne sont pas des femmes de compet qui font ça mais la façon dont le médoc a été conçu à la base 😀 ) : http://martinwinckler.com/spip.php?article69

    donc voilà, ce commentaire est posté, comme je le disais plus haut, en parfaite ignorance des raisons éventuelles pour lesquelles on t’a prescrit de la diane, et je ne demande pas à les connaître. par contre si en lisant certains de ces articles tu t’aperçois qu’il y a un problème avec ta prise de diane, on ne sait jamais, j’espère que ça te sera utile :/.

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