Envoie SANG au 8 2222

C’est la mode du sang menstruel en ce moment, le bien rouge pas le bleu, y’en a qui peignent avec, y’en a d’autres qui en font du boudin, j’en sais rien, mais tout le monde parle de son petit flux tranquillement, on se conseille en taille de mooncup, brûle le bout et fourre la bien, et c’est plutôt sympa, ca me va. Y’a tout ce mystère autour de nos écoulements, ca serait sale, ca serait impur, ca serait mort, ca ferait tourner la mayonnaise, ca ferait tourner le monde, y’a ces tampons avec applicateurs pour les filles qui veulent pas y mettre les doigts, et les grosses serviettes en forme de bavette bien fraîche, les culottes ensanglantées qu’on fait bouillir avec du vinaigre. Quand j’étais ado, une copine portait des culottes hygiéniques, comme des culottes de sécurité de chantier, des dessous plastifiés de l’intérieur, surtout pour pas tâcher. On devinait qu’elle saignait quand on entendait le bruit du plastique entre ses cuisses, elle ne pouvait pas marcher sans que le FROUTCH FROUTCH de sa culotte renforcée vienne proclamer 30 pas devant son statut de pestiférée. Le sang, à l’adolescence, c’est tout une histoire, et même quand t’as pas mal vraiment, quand t’es pas tordue de douleur physique, t’as un peu mal quand même, de surprise peut-être, de voir que c’est ton tour d’y passer, alors tu vas pas à la piscine et tu refuses d’aller dormir chez ta cousine de peur de ‘les’ avoir, peut-être qu’on réalise à ce moment là qu’on peut se retrouver dans 9 mois dans une docu-réalité d’NRJ12, 13 ans et déjà engrossée.

J’ai pas peur du sang, menstruel ou autre, du mien ou de celui des autres. J’ai toujours trouvé ridicule les poubelles spécifiques aux toilettes pour dames, ces enfants naturels d’une machine à confiserie et d’une arme nucléaire,tu te saisis d’une enveloppe en plastique, tu y déposes ton tampon, tu poses l’enveloppe sur une trappe, tu la refermes, tu actionnes un bouton, et magie, ton offrande disparaît. Elle rejoint, quelques centimètres plus bas, les caillots desséchés, les minis et les maxis, elle tombe mollement sur une petite montagne de sang séché. Pourquoi autant de mise en scène ? Pour l’odeur peut-être, qui je le concède, peut rapidement devenir entêtante, melée à l’urine, mais alors pourquoi pas juste une poubelle à couvercle ? Pour qu’on ne voit pas l’enveloppe d’une autre ? Pour qu’on s’imagine être la première à venir s’accroupir pour se tirer la ficelle ? Parce que des vers translucides et des petits bouquetins violets naissent de nos protections mensuelles et risquent de prendre le pouvoir sur le monde tel que nous le connaissons ? Pour le confort de certaines, qui ne supportent pas le contact avec leur propre sang, sans doute, et qui préferent voir s’envoler rapidement toute trace. Je ne suis jamais parvenue à mettre correctement un tampon avec applicateur. Ceux en plastique me blessent, ceux en carton s’effondrent sous les muscles de mon imposant vagin, le tampon reste coincé dans sa rampe de lancement et je me retrouve à devoir me l’insérer manuellement, sans savoir quoi faire de l’appareillage souillé, ils ne précisent pas si on a le droit de les envelopper pour les faire reposer. Je me souviens, petite, d’avoir laissé échapper un tampon de mon sac à main dans un supermarché, sous les yeux amusés d’un vigile, qui plutôt que de me laisser me fondre dans la masse, rougissante et honteuse, a préféré me courir après en tenant l’objet à bout de doigts et en hurlant ‘c’est à vous ca mademoiselle non ?’.

Il faut dire que cela doit sembler très mystérieux, tout ce sang qui s’écoule. Un peu comme une éjaculation, nous ne saurons jamais vraiment le plaisir organique de voir son sperme jaillir. Nous ne pourrons jamais faire de concours de celle qui va le plus loin, sauf à installer un tuyau sous pression dans une mooncup préalablement trouée et pimpée, ce qui me semble sans intérêt. Quoique. Les dimanches sont parfois longs.

Let’s talk

Au risque de redire, d’enfoncer de nouvelles portes, d’affirmer l’évident, laissez moi vous expliquer une nouvelle fois une chose simple : on fait ce qu’on veut. Et pour paraphraser Les Valseuses, on s’énervera quand on aura envie de s’énerver. Alors bien sur, on ne fait pas exactement ce qu’on veut, nous, hommes, femmes, sommes soumis aux lois, au contrat social, à la vie en bonne intelligence, mais en dehors des grandes lignes, nous sommes absolument libres de nos réactions, de nos sentiments, de nos émotions même, n’ayons pas peur des vilains mots. Il est inutile de nous expliquer qu’il faudrait mieux nous tenir, éviter de nous exprimer de manière trop brutale, il est vain d’espérer que nous nous adaptions à vos codes, à vos règles, il est stupide d’exiger nous de la pédagogie, de la douceur, notre voix nous appartient, notre mode d’expression aussi. Et si nous agaçons, si nous sommes insupportables, si vous nous jugez hystériques, n’attendez pas d’excuses, n’attendez pas que nous remettions en question, nous n’avons aucune envie de changer pour vous rendre la vie plus simple, pour vous conforter dans une image mièvre et tiède de « la femme d’opinion ». Quand vous engagez le dialogue, ne nous demandez pas de nous adapter à votre ton, cessez de penser qu’on vous doit une réponse, ne posez pas de cadres normés à l’échange, nous avons l’audace de nous estimer dignes d’intelligence même si la forme de nos mots vous déplaît. Et si nous restons sur nos idées, si nous ne dérogeons pas à nos principes, si nous refusons d’admettre que oui, peut-être nous avons tort et que vous avez raison, ce n’est pas par fierté, par bravade, c’est simplement par conviction.

S’il vous est odieux de considérer que d’autres pensent différemment, si chaque conversation doit être une nouvelle occasion de convertir un pécheur, de remporter les voix de votre auditoire au terme d’une bataille rhétorique, fermez là. Vous perdez votre temps, et vous polluez le notre. Et si vous pensez que nous sommes des fascistes poilues, des harpies gueulardes, des passionarias de supermarché discount, vous ne servez pas votre cause en nous le faisant remarquer. Nous avons l’habitude, nous savons par avance ce que vous pensez, nous savons dans quelle catégorie vous rangez « les femmes comme nous ». Si vous pensez savoir mieux que nous, à cause de votre âge, de votre phallus, de votre grande habitude et soumission volontaire aux normes sociales, si vous considérez que vous êtes déja trop aimables de nous écouter et que nous vous devons le respect par retour d’ascenseur automatique, vous vous trompez, et les bases de notre échange sont mauvaises. Vous ne nous faites pas de faveurs en nous lisant, vous ne remportez pas d’étoiles en acceptant de reconnaître notre existence, vous n’aurez pas de bons points sur votre carte de gentil participant. Nous ne sommes pas les cautions morales de vos penchants machistes, nous ne sommes ni la voix de la raison, ni celle de la folie, nous ne revendiquons finalement que le droit de nous exprimer dans les espaces publics et privés de la manière que nous décidons.

Vous pouvez arrêter de nous lire, c’est un acte facile. Ne cliquez plus sur nos publications, bloquez nos profils sur les réseaux sociaux, fuyez. Changez de chaîne, déchirez les articles, quand celles et ceux qui vous rentrent trop dans le mou apparaissent. Ou vous pouvez décider de dialoguer, de poser des questions, de nous insulter ou de nous haranguer, après tout, notre liberté est aussi la votre. Mais n’attendez rien de nous. N’attendez pas à ce que nous nous soumettions à vos idées, que nous acceptions de contorsionner nos systèmes de valeurs pour mieux vous appâter. Nous ne cherchons pas de disciples. Nous ne cherchons pas à séduire. Nous n’acceptons pas de nous laisser faire. Et nous répondrons. Nous insulterons, parfois, nous harcèlerons, nous ne lâcherons pas l’affaire. Nous ne déguiserons pas nos rages, nous ne cacherons pas notre colère pour mieux présenter, pour ne pas effrayer, pour faire oeuvre publique. Nous avons lutté, dans nos têtes, dans nos histoires privées, dans le monde de l’entreprise, dans le monde institutionnel, pour être entendues. Nous brisons, cliché par cliché, mécanisme par mécanisme, les barrière et les réflèxes enseignés par des centaines d’années d’oppression par le patriarcat. Nous avançons, chacune et chacun avec nos propres interrogations, avec nos luttes internes, nos doutes, mais surtout avec notre envie de voir le monde changer. Nous ne porterons plus de muselière, désolée.