C’est la mode du sang menstruel en ce moment, le bien rouge pas le bleu, y’en a qui peignent avec, y’en a d’autres qui en font du boudin, j’en sais rien, mais tout le monde parle de son petit flux tranquillement, on se conseille en taille de mooncup, brûle le bout et fourre la bien, et c’est plutôt sympa, ca me va. Y’a tout ce mystère autour de nos écoulements, ca serait sale, ca serait impur, ca serait mort, ca ferait tourner la mayonnaise, ca ferait tourner le monde, y’a ces tampons avec applicateurs pour les filles qui veulent pas y mettre les doigts, et les grosses serviettes en forme de bavette bien fraîche, les culottes ensanglantées qu’on fait bouillir avec du vinaigre. Quand j’étais ado, une copine portait des culottes hygiéniques, comme des culottes de sécurité de chantier, des dessous plastifiés de l’intérieur, surtout pour pas tâcher. On devinait qu’elle saignait quand on entendait le bruit du plastique entre ses cuisses, elle ne pouvait pas marcher sans que le FROUTCH FROUTCH de sa culotte renforcée vienne proclamer 30 pas devant son statut de pestiférée. Le sang, à l’adolescence, c’est tout une histoire, et même quand t’as pas mal vraiment, quand t’es pas tordue de douleur physique, t’as un peu mal quand même, de surprise peut-être, de voir que c’est ton tour d’y passer, alors tu vas pas à la piscine et tu refuses d’aller dormir chez ta cousine de peur de ‘les’ avoir, peut-être qu’on réalise à ce moment là qu’on peut se retrouver dans 9 mois dans une docu-réalité d’NRJ12, 13 ans et déjà engrossée.
J’ai pas peur du sang, menstruel ou autre, du mien ou de celui des autres. J’ai toujours trouvé ridicule les poubelles spécifiques aux toilettes pour dames, ces enfants naturels d’une machine à confiserie et d’une arme nucléaire,tu te saisis d’une enveloppe en plastique, tu y déposes ton tampon, tu poses l’enveloppe sur une trappe, tu la refermes, tu actionnes un bouton, et magie, ton offrande disparaît. Elle rejoint, quelques centimètres plus bas, les caillots desséchés, les minis et les maxis, elle tombe mollement sur une petite montagne de sang séché. Pourquoi autant de mise en scène ? Pour l’odeur peut-être, qui je le concède, peut rapidement devenir entêtante, melée à l’urine, mais alors pourquoi pas juste une poubelle à couvercle ? Pour qu’on ne voit pas l’enveloppe d’une autre ? Pour qu’on s’imagine être la première à venir s’accroupir pour se tirer la ficelle ? Parce que des vers translucides et des petits bouquetins violets naissent de nos protections mensuelles et risquent de prendre le pouvoir sur le monde tel que nous le connaissons ? Pour le confort de certaines, qui ne supportent pas le contact avec leur propre sang, sans doute, et qui préferent voir s’envoler rapidement toute trace. Je ne suis jamais parvenue à mettre correctement un tampon avec applicateur. Ceux en plastique me blessent, ceux en carton s’effondrent sous les muscles de mon imposant vagin, le tampon reste coincé dans sa rampe de lancement et je me retrouve à devoir me l’insérer manuellement, sans savoir quoi faire de l’appareillage souillé, ils ne précisent pas si on a le droit de les envelopper pour les faire reposer. Je me souviens, petite, d’avoir laissé échapper un tampon de mon sac à main dans un supermarché, sous les yeux amusés d’un vigile, qui plutôt que de me laisser me fondre dans la masse, rougissante et honteuse, a préféré me courir après en tenant l’objet à bout de doigts et en hurlant ‘c’est à vous ca mademoiselle non ?’.
Il faut dire que cela doit sembler très mystérieux, tout ce sang qui s’écoule. Un peu comme une éjaculation, nous ne saurons jamais vraiment le plaisir organique de voir son sperme jaillir. Nous ne pourrons jamais faire de concours de celle qui va le plus loin, sauf à installer un tuyau sous pression dans une mooncup préalablement trouée et pimpée, ce qui me semble sans intérêt. Quoique. Les dimanches sont parfois longs.