Ignoramus animal triste

Il y a quelques (2) années, j’ignorais qu’on pouvait être pan-sexuel. J’ignorais ce que voulait dire queer. Ou plutôt, j’imaginais que queer regroupait les lesbiennes adeptes du BDSM, suite à une télé-réalité américaine un peu éloignée de la réalité. J’ignorais qu’on puisse se déclarer homosexuel tout en vivant une chouette histoire d’amour avec une femme lesbienne. Ma réalité des minorités sexuelles était beaucoup plus simple, beaucoup plus facile à naviguer, il y avait les asexuels, les héterosexuels, les bisexuels, les homosexuels. Et les gens bourrés qui se roulent des pelles debout sur les bars entre deux. Les indécis. Ceux qui voulaient pas se l’avouer. Des sexualités open-bar, où le genre du partenaire importait moins que le plaisir de le conquérir, voilà ce que je pensais. Et puis, j’ai rencontré, lu, écouté, des gens, des groupes, j’ai réfléchi, je me suis réaffirmée que j’étais hétérosexuelle, sans grande surprise. Et j’ai commencé à naviguer ces gammes, à les comprendre, à mieux apprécier peut-être les difficultés rencontrées, les enjeux portés par l’affirmation d’une sexualité au nom compliqué pour le commun-lambda comme moi. Si je ne crois pas avoir jamais jugé quelqu’un pour son identité sexuelle, j’ai sans doute pêché par mon ignorance, et surtout dans ma volonté de vouloir classer au bon endroit les gens, pour me rassurer, pour organiser la société plus facilement.

Il y a quelques mois, je me posais beaucoup de questions sur le polyamour. J’écris « poser des questions », la vérité est que je rageais sans cesse sur le sujet, l’équation posée par les polyamoureux me semblant si éloignée de ma réalité. Si j’entends, comprends, les arguments de multiplication de l’amour, si de la multiplicité des partenaires amoureux peut naître un équilibre, j’étais, et je reste, mesmérisée devant l’organisation nécessaire à la bonne conduite d’une relation profonde à des partenaires multiples. Si j’envie, sans oser le dire vraiment, la liberté sexuelle supposée des polyamoureux, je leur laisse les calendriers pour organiser les nuits passées, les anniversaires auxquels Machin ne pourra pas assister parce que c’est les vacances de Truc, la jalousie, le travail sur soi perpétuel pour arriver à accepter que l’autre puisse aimer pleinement ailleurs, les difficultés administratives liées à une vie en trio, la question des enfants,bref, je suis une monogame paresseuse. J’ai souvent ragé contre le polyamour car il m’a fait me sentir inférieure dans ma façon à moi d’aimer, comme si je me rendais compte de mes propres limites. J’ai maintenant compris qu’il n’était pas ici question de concours de moralité entre monogamie et polyamour, qu’on pouvait se retrouver dans l’un ou dans l’autre, l’important était de rester en accord avec soi, avec ses partenaires. Je reconnais le polyamour comme une forme valable de relation (mais qui je suis pour écrire ca, personne, en tout cas je me le suis reconnu en mon tribunal intérieur), mais je n’y adhère pourtant pas. Cependant, si demain, il fallait se battre pour défendre l’idée d’une union civile pour plusieurs personnes, on peut compter sur moi et sur ma voix. Les façons de vivre des autres ne m’enlèvent rien, et surtout, ils ne me font plus peur.

Il y a quelques jours, on m’a fait le reproche (sur Twitter) de mon racisme. Je suis évidemment tombée de mon plus haut tabouret. Je ne me suis jamais trouvée raciste, mais mon jugement de blanche-sur-elle-même est un peu faussé (ou carrément inutile). J’ai regardé des vidéos Youtube, des Shit White People Say, j’ai bouquine How To Be Black, je me suis organisé un petit marque page de Black Feminism à consulter régulièrement, je ne me trouve toujours pas raciste, ca viendra sûrement. Comme pour les autres minorités sexuelles, comme pour les polyamour, comme tout ce qui sort de mon ordinaire de blanche hétérosexuelle obèse et malade mentale, il arrivera sans doute un jour où j’arriverais à comprendre ce qui fait de moi une dévote à la suprématie blanche, quelqu’un de dangereux pour les racisés que je côtoie (oui on m’a vraiment dit ca). Je dis sans ironie que je cherche à comprendre, parce que j’ai été particulièrement blessée par les accusations de racisme. J’évolue dans un environnement assez raciste, je le remarque quotidiennement, dans mon travail par exemple. Je refuse d’en être. Il me semblait jusqu’ici avoir conscience du racisme que je rencontrais, et cet état de conscience devait me permettre d’éviter de l’être à mon tour. Il semble que je me sois trompée. Ceci dit, je ne vais pas présenter des excuses pour quelque chose que je ne comprends pas. On pourrait me reprocher de participer à la culture du racisme, par exemple, comme on reproche la culture du viol. Mais me reprocher la culture du racisme parce que je pense que je ne suis pas raciste, c’est trop compliqué pour moi. Je le dis humblement. Bref. Je suis pour l’instant raciste. Parce que j’aime Macklemore. Et que Macklemore est un privilégié qui aurait du ne pas faire de musique pour laisser la place aux artistes de hip hop noirs et LGBTQ. Je ne comprends pas cette logique. Je suis raciste par défaut. Peut-être que dans deux ans, je comprendrai.