Au travail

Si vous ne m’aidez pas, je le frappe.

Elle a dit ca. La femme au bout du téléphone. Le numéro 013498277900002, qui recherche un F2 à Saint Mandé, Vincennes ou Paris 12ème, un petit garçon, 4 ans, des revenus moyens, la voix aigüe, perchée.

C’est à cause de gens comme vous que je m’énerve sur lui.

Elle dit ca, encore. Des gens comme moi. L’anonyme de la république, au bout du téléphone, celle dont elle attend le signe de sa rédemption. Qu’est ce qui cloche dans son dossier ? Rien. L’attente désespérante classique d’un logement. La même pour tous, surtout pour ceux qui sont encore logés, même mal, même tout petit, même tout humide. Même pour elle, qui se tape la tête contre les murs, elle que je n’arrive pas à calmer.

C’est trop petit. On a pas d’intimité. Il grandit. J’ai le mot du pédopsy. Il a besoin de sa chambre. Alors quand c’est trop, je le tape.

Elle répète ca, encore. Derrière j’entends les dessins animés, une télé allumée. Un enfant parle. Qu’est ce que je peux faire ? Qu’est ce que je dois faire ? Est ce qu’elle dit la vérité ? Je lui dis qu’elle déclare des choses graves, que la conversation est enregistrée.

Vous pouvez bien me l’enlever. Je m’en fous.

Moi je ne peux rien. Ni l’enlever, ni le garder, ni faire apparaître par magie un appartement tout confort pour la reloger. Moi j’ai repris la conversation, parce que mon collègue ne sait plus quoi dire. Moi j’écoute, je renseigne, j’oriente, je réconforte parfois. Je n’ai que le pouvoir de dire qu’elle est comme tous les autres, qu’il faut s’armer de patience, qu’il faut multiplier les tentatives, qu’il ne faut pas lâcher.

De toutes facons, un jour, ca finira mal.

Le désespoir, ca fait dire de drôles de choses. Ca rend agressif, ca fait pleurer, ca rend méchant, ca rend bête, ca balaie tout, les gens s’y noient. Et je ne peux pas les sauver. Pas assez de bouées, pas de femmes et d’enfants d’abord, juste une liste, longue comme des milliers de nuits, juste la machine des noms empilés les uns sur les autres, des priorités et des calculs savants de bailleurs patentés. Je suis la personne qui dit que la bouée existe, sans savoir la matérialiser.

Rappelez moi. Dans deux semaines. On verra. Je ne sais pas ce qu’il y aura dans deux semaines. Sans doute rien. Peut-être un bout de solution. Sûrement rien. Ne restez pas toute seule. Notez. Des associations. Des numéros. Des sites Internet. Qu’est ce que je peux faire. Je signale. A ma hiérarchie. Je signale, mais j’ai honte de signaler. Elle ment, sans doute. Tout le monde ment, pour être au chaud, pour ne plus avoir mal, pour se sentir protégé. Mais peut-être qu’elle dit la vérité.

Derrière, toujours des dessins animés.

 

 

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