Mea maxima culpa

Tout est toujours de notre faute. Nous les filles. Les femmes. Les putes. Les salopes. Les trainées. Les allumeuses. Les saintes Nitouche. Les vierges effarouchées. Les égoïstes qui ne veulent pas d’enfants. Les poules pondeuses qui en font trop. Les mangeuses d’alloc. Les femmes au foyer qui profitent. Les femmes qui travaillent et qui négligent leur famille. Les exotiques qui devraient s’intégrer. Les exotiques qui refusent d’être exotisées. Les lesbiennes qui se trompent. Les hétéros qui refusent de bouffer de la chatte. Les battues qui restent. Les battues qui partent. Les violées. Les pas violées car trop moches. Celles qui portent plainte. Celles qui ne portent pas plainte.  Les vraies femmes. Les fausses femmes. Celles qui assument. Celles qui n’assument pas. Celles qui militent. Celles qui se taisent. Tourne tout ca sept fois dans ta bouche, c’est toujours de ta faute. Ton pêché est dans ta vulve. Ou même pas. Ton pêché est dans ton pas, trop lourd ou trop léger, dans ton regard, trop sage ou trop mutin, dans ta poitrine, trop provocante ou pas assez gonflée,  ton pêché est de te présenter femme au monde, même quand tu te déguises, même quand tu en refuses les codes, même quand tu te grimes. La seule évocation de ton identité genrée fait de toi la coupable. Ca rassure sans doute ceux qui refusent de penser, un bouc émissaire simple à identifier.

Ca commence quand tu commences à ressembler à une fille. Quand ton corps change, comme disent les médecins. Avant, tu peux passer pour un garçon, ou plutôt tu n’as pas tellement de sexe, il n’y a que les malades pour t’en imaginer un. Tu peux grimper aux arbres, te promener à poil sur la plage. Personne ne cache ton torse, personne ne te demande de croiser les jambes. Et puis, quand tout change, quand les poils et les seins arrivent, tu te transformes en monstre. Tout devient de ta responsabilité. Ne pas trop en faire. Ne pas aguicher. Ne pas parler trop fort. Ne pas jouer seule avec les garçons. Rentrer plus tôt. Quel est donc ce super pouvoir, cette force en toi qui force tous les adultes à te restreindre ? En quelques mois, tu passes de transparente à surpuissante. Tu peux provoquer le chaos par une jupe trop courte ou par un rire trop cristallin. Tu peux causer ta perte en choisissant le mauvais chemin, tu peux provoquer les hommes en duel en t’asseyant sur des genoux. Tu es devenue monstrueuse. On te craint. On te couvre. Pour te protéger de toi même. De ta féminité. De tes formes. De tes courbes. Et puis il y a ce trésor que tu dois protéger. Ta virginité. Nul ne peut accéder à ton entrecuisse sans la promesse d’un pavillon de banlieue. Tu dois te garder. Tu dois te défendre. Tu dois te battre. C’est de ta faute. C’est ton trésor qui attire. C’est ta richesse. Ton seul bien. Pas ton intelligence, tes compétences, tes bonnes notes. Rien n’arrive à dépasser la valeur de ton hymen entier. Personne n’explique que c’est aux garçons de baisser les yeux, de garder leurs pupilles, de tenir leurs pénis, de ne pas déflorer sans réfléchir. Les garçons n’ont rien à cacher. Leur sexe est apparent, à la vue de tous, il ballote, arrogant. Ils se masturbent tôt, c’est normal, c’ est le métier qui rentre. Les filles sont  trop sexuelles mais doivent rester asexuées, enfermées dans le donjon de leur vulve à protéger.

Ca continue, encore. Tu es sure de vouloir sortir comme ca ? Tu prends le RER à cette heure ? Tu  ne penses pas que cette couleur de cheveux fait un peu pute ? Tu t’habilles comme ca pour aller travailler ? T’as grossi non ? T’as déja pensé à te refaire la poitrine ? Les filles bien ne couchent pas le premier soir tu sais. Si tu ne couches pas rapidement, il va passer à autre chose. T’es lesbienne ? Mais ca te manque pas la bite ? C’est une phase, tu vas finir par te marier. T’as pas honte d’arrêter de travailler ? Tu crois que je veux te payer à torcher le cul de tes mômes ? Tu vas avorter ? Mais t’es vraiment une salope. Tu pouvais pas te protéger ? Nous sommes des monstres responsables de tout ce qui nous arrive. Tout est une histoire de femmes. Les hommes sont heureux de nous le rappeler. Ils nous fécondent dans de grands cris, et ne manquent pas de nous culpabiliser sur notre défaut de contraception. On le fait exprès. On fait des enfants dans le dos.  Au pire tu te feras avorter, en se retirant, la queue encore fripée. Au pire tu arrêteras de travailler. Au pire tu t’en prendras une, tu l’auras bien mérité. Les monstres, on les garde loin des autres, pour leur propre sécurité. On s’en rapproche furtivement, pour jouir ou pour les blâmer.