Pétrin purin

Mon ventre mou, distendu, le tien, courbe inversée, dur, poilu, volontaire, ma chair s’étale sur la tienne comme pour te recouvrir en entier. Ne joue pas, je gagne, c’est la marée noire le long de tes côtes, mon gras s’immisce dans tes creux, j’emplis tes pores de moi, je te gangrène, je te colonise, abandonne, je t’immobilise. Nous ne sommes plus que peau, tes poils sont les miens, dressés, ils finissent collés en rangs réguliers, écrasés. Siamois étranges, reliés par le nombril, tout s’ouvre et tout respire, mon pétrin purin se laisse fouiller, les fleurs grimpent le long des parois jaunes graisse, les ronces et les œillets, jusqu’à ton téton, elles s’accrochent et se livrent, jardin suspendu à ton souffle. Je vois la beauté dans l’amas de nous, dans l’absence d’air, arrêtons de respirer, fermons nos bouches, laissons nos diaphragmes bouger, lentement, écoute, c’est nous. Pas besoin de ton sexe, de ma tête, d’organes secondaires surdéveloppés, mon ventre sert à présent, je suis matrice de nos désirs, je suis le terreau et l’engrais, je nourris, plate-bande, enfin. De nos silences entrecoupés de soupirs s’élancent les herbes folles, les champs de blés couchés, remparts fragiles à ce qui pourrait arriver, cachons nous, alanguis, laissons les insectes nous dévorer, redevenons fertiles, fertilisés.

Il me semble qu’elle se manifeste là, la beauté, entre le purin et l’engrais, dans l’instant fragile entre l’horreur et la mort, entre la naissance et la terre, entre mon ventre et le tien. Elle éreinte les contrastes, elle se fout des moyennes, des obligations, elle existe et nous nous y soumettons, parce qu’elle éclate plus fort que notre médiocrité. Tu n’as pas le choix, j’ai déjà renoncé. Je ne l’attraperai pas, elle n’est pas à retenir, à enfermer, je la calfeutre dans mes chairs, je l’emprisonne de mes bourrelets, elle s’échappe, tu t’en vas, je la regarde s’envoler, elle reviendra. Ne pas être pressée. Ne pas la provoquer. Attendre, sagement, si possible sans craintes. Rêver, beaucoup, écrire, un peu, rire, encore. Elle revient, regarde là. Et ton ventre se rapproche, et ta bouche soleil. Ne plus vivre que pour l’instant d’après, puisque tout ira bien toujours, pour quelques secondes, on est capable de tout supporter, de 1 à 10, compte avec moi, coule dans mon oreille le temps à se languir de t’entendre, fond sous ma langue, avalé, digéré. Tout est organique, rien ne se perd, tout se transforme, même les regrets. Mon ventre, mon gros ventre, mon amphore, mon secret, encore, boucle bouclée.

Retourne-toi maintenant. Présente-moi ton dos, que j’y enfonce ma poitrine, que je creuse entre tes omoplates deux cavernes profondes, ma montagne. Laisse toi enfouir sous moi, laisse-moi me creuser un refuge, une étape, pour autant qu’il le faudra, pour aussi long que tu aimeras. Demain, plus tard, je reprendrai la route, je reconstruirai ailleurs les jardins et les ponts, les autels païens à mes souvenirs troglodytes. Je creuse les chapelles au scalpel dans mes cuisses ouvertes, des nefs gothiques aux chorales morbides, j’y donnes messes noires ou blanches, pratiques baptêmes et rites. Ne t’inquiète pas, je ne reste pas. Sauf si tu m’attaches. Sauf si tu m’enlaces. Sauf si tu me laisses pourrir, moi, mes fleurs purin, mes yeux et mes ongles, petit compost de sang et de kératine à tes pieds, je me décompose, c’est l’âge, il y a beaucoup à laisser vieillir, patience, je finirai bien par m’en aller.

2 réflexions sur « Pétrin purin »

  1. Bah quoi l’article sur Kenza a été supprimé? (je suis déçu c’était des grognements enthousiasmants)

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