Pro sexe pro rien

Cet article parle principalement de relations hétérosexuelles.

Je me questionne beaucoup ces jours ci (comme c’est pédant de dire ca ahah) sur le féminisme pro-sexe, sur les films pornos « féministes etc. Ma réflexion est évidemment déclenchée par le documentaire d’Ovidie « A quoi rêvent les jeunes filles », qui a le mérite d’interroger la norme hetero patriarcale qui vient infiltrer nos initiatives les plus militantes. Je ne peux pas le regarder sans penser à cet article du photographe et modèle Dwam sur les Suicide Girls, qui explique clairement en quoi une entreprise qui se voulait féministe se transforme peu à peu en entreprise tout court, créant une nouvelle norme du queer ou du alternatif politiquement correct. Un peu comme les cheveux pastels sur les jolies filles cet été, ces teintures n’ont rien de transgressives, les crêtes des punks sont bien loin, on reprend les codes d’une contre culture militante pour l’édulcorer et la dissoudre dans la norme. Pas d’handicapé-es moteurs ou mentaux, pas de gros-ses, pas trop de racisé-es, dans les productions « féministes », les personnages identifiés comme féminins sont queer, tatoués et piercés, minces blancs et valides. Toustes présentent une sexualité débordante, baiser sans entraves, jouir partout, cupcakes vulves et ateliers de création de sextoys « féministes », l’injonction à baiser pour exister toujours présente, il faut que le corps exulte, c’est comme ca qu’on se libère, voilà le message. C’est difficile de s’exprimer contre ce message, car il ravit tout le monde. Les féministes pro sexe se sentent validées par l’idée de la libération des femmes par le corps dénudés et l’activité sexuelle, et le patriarcat profite largement des productions photographiques ou vidéos comme outil masturbatoire, et  la libération des corps multiplie l’offre des partenaires et les sexualités ludiques à découvrir. Les femmes, elles, restent pourtant seules à assumer les conséquences de cette « liberté » à jouir et à se montrer : contraception, grossesse, avortement, « réputation », répression policière et systémique des travailleur-ses du sexe, etc. Et les autres, les femmes non belles, non normées, les gros-ses, les racisé-es, les moches, celles qui jouissent pourtant hors du champ de la caméra, dans la vraie vie, celle ci se retrouvent hors du féminisme une nouvelle fois. Et celles qui choisissent de ne pas jouir, de ne pas avoir de sexualité, celles qui lient sexualité et mariage, celles qui choisissent la modestie vestimentaire, celles qui portent le foulard, quelle place ont elles dans ce féminisme ?

Je ne crois pas en une révolution qui flatte la bite du dominant, j’ai donc du mal à comprendre ce qu’apportent les productions érotiques ou pornographiques féministes à notre libération. On m’oppose la réappropriation du corps, du sexe, l’exploration de territoires intimes jusqu’alors contrôlés par les hommes. Certes. On peut se rouler à poil dans la cyprine devant le Sénat autant qu’on le souhaitera, ca ne fera pas avancer la choucroute du droit des Femmes. Rappelons que nous n’avons même pas droit à un ministère propre. Ahem. Que les femmes qui le décident, avec un consentement éclairé, posent, se filment, jouent, travaillent à l’invention d’un porno éthique, plus représentatif des genres, des sexualités, oui, très bien. Prétendre que cela est féministe et que cela participe à l’accès aux droits des travailleur-ses du sexe, les Roses d’Acier par exemple, non. Penser que la jouissance est une donnée importante du bonheur, ok, mais pas pour tout le monde, pas toujours, et surtout, pas sur le même modèle, et les ateliers de découverte du clitoris n’ont pas empêché la fermeture de centaines de centres d’orthogénie et d’IVG en France. Le sexe n’est pas un levier de négociation féministe, on se doute qu’on obtiendra pas l’égalité salariale en acceptant (en se taisant) une promotion canapé (un viol donc), on imagine donc qu’on ne convaincra pas les dominants de lâcher leurs jouets en les invitant à un spectacle de pole dance (qui est un sport, pas du tout un exercice de séduction, les saviez vous). Faut il pour autant décréter que le pole dance, la production de matériel pornographique mettant en scène des femmes, et tout activité permettant l’accès à la sexualité des femmes ou à sa représentation par les dominants est anti-féministe ? Je pense qu’il faut y penser. Et envisager que le seul levier d’action dans la sphère du cul contre la domination masculine en milieu hétérosexuel soit la privation totale d’accès à la vulve, l’arrêt de toute production à visée masturbatoire. Extrémiste vous disiez ? Hystérique ?

Le sexe, l’acte ou sa mise en scène, ont dans notre société des conséquences trop graves pour les femmes, et pour les individus, pour que nous, les militant-es, nous laissions aller à penser qu’il est suffisant d’en parler très fort, de le montrer sur grand écran ou d’y penser sous un angle féministe, pour déclencher le changement profond que nous attendons. Tout n’est pas sexe, on revient de Freud comme on revient de tout. Ce n’est pas le sexe, et la mise en scène d’une nouvelle norme, qui nous donnera l’égalité. Ce n’est pas en oubliant que les femmes peuvent choisir de ne pas montrer leurs corps, de ne pas avoir de sexualité ou de la réserver à un partenaire qu’on avance. Ce n’est pas en laissant des femmes sur le côté que nous arriverons à une révolution féministe. Et ce sexe, que nous mettons partout à la sauce samouraï-feministe, ne se sépare jamais de ses influences patriarcales.  Certaines pratiques, comme le BDSM, montrent vite leurs limites quand elles sont pratiquées dans un environnement non déconstruit : les femmes sont soumises, et les hommes qui sont excitées par l’idée de la soumission à une femme sont considérés comme des traîtres à leur camp, des  »pédés », des sous hommes. On ne s’étonne pas qu’une femme dans un rapport hétérosexuel soit excitée par la violence, les mots crus, on se revendique volontiers salope. Il ne s’agit pas d’interdire à nos partenaires de nous traiter comme des petites chiennes lubriques dans un jeu érotique consenti, mais de se permettre de penser que la facilité avec laquelle les femmes acceptent des conditions de rapports sexuels violents ou dégradants, ou les réflexes de conditionnement qui les poussent à mouiller quand on les insulte ne sont pas innocents, mais s’ancrent bien dans une tradition misogyne et patriarcale de soumission aux hommes. En fait, le souci consiste à pouvoir continuer à baiser avec des hommes cis après une épiphanie féministe : il devient impossible de ne pas déceler domination, misogynie et sexisme dans sa vie publique comme dans sa vie privée, continuer à coucher avec l’ennemi est difficile, en tant que féministe hétérosexuelle c’est un paradoxe lourd.