Le test

Parfois, cette impression que la vie t’envoie des signes. Comme quand tu couches sans contraception et que tu passes le mois d’après à voir des femmes enceintes partout, que tu comptes et recomptes les jours depuis tes dernières règles, que tu te mets à calculer tes périodes fertiles, à mesurer ta glaire. Des actes que tu poses, des pensées magiques pour conjurer le sort, si je suis blanc d’œuf c’est sur, c’est bon, je suis enceinte, si j’ai le prochain feu rouge, pour de vrai il va m’appeler. Et puis le sang arrive tout de même, souvent avec du retard, comme pour se jouer de ton angoisse, comme pour te faire culpabiliser, tu paies ton inconscience cash sur le zinc avec tes nerfs détruits et tes nuits passées sur Doctissimo. Tu promets, plus jamais. Tu jure même que tu vas changer toute ta vie, que tu vas arrêter de fumer et te mettre au ski alpin, que tu seras gentille avec ta vieille tante et que tu donneras plus à la croix rouge, parce que t’as eu tellement peur qu’il semble très judeo-chrétien de se racheter, de faire amende de son pêché. Et puis, tu réfléchis. Au pire j’avorte. Et alors. Tout le monde avorte. Alors tu oublie d’appeler ta tante et tu ranges tes skis. Et il ne te reste que le souvenir des nuits agitées, les doigts enfoncés profond, trouver ton col de l’utérus et appuyer, comme si tu pouvais empêcher la nidification d’un corps étranger, comme si tu pouvais t’auto-avorter. La vie reprend, mais pas tout à fait pareil. Plus jamais, ou en tout cas le moins possible, on fait des compromis avec nos serments, on se laisse vivre. C’est bien, c’est pas bien, on verra.

Et puis il y a l’autre test, celui du VIH, des maladies sexuellement transmissibles. Une histoire qui se termine, un partenaire qui s’oublie dans une autre, une envie de passer à la chair, il y a deux cents raisons de le passer, toujours  valables, toujours bonnes. Testons nous, donc. Ca c’est la théorie. Dans la pratique, il me faut quelques jours de torture mentale pour franchir le pas. Il me faut réviser toute mon histoire sexuelle, faire une liste des pratiques, évaluer le risque, c’est le rationnel. Et puis l’irrationnel arrive. Je m’ausculte. Les ganglions. Les lésions. La respiration. Je perds mes cheveux. Google : perte de cheveux + VIH. Je me regarde dans le miroir. Est ce que j’ai l’air malade ? Je sais pourtant que personne n’a l’air malade. On est con quand on a peur. Je le sais, dans mon cerveau. Je l’ai appris. Mais là, impossible de me connecter à la raison. J’ai 8 ans d’âge mental et j’ai peur. Alors je réussis à me convaincre que je suis porteuse du virus. J’y crois. Google : trithérapie. Je me prépare à l’annonce. Je me demande si je vais pleurer devant le médecin, si j’ai le droit à un verre d’eau et à un mouchoir. Je répète mentalement ce que je vais dire à ma mère. Google : annoncer séropositivité. Assieds toi, faut que je te parle. Je vais la tuer c’est sur. Pourtant on vit avec le VIH. On vit de mieux en mieux même. Mais on en meurt aussi, toujours. Tout ira bien maman, je te jure. Une grande respiration. Je sors la calculette. Combien de gens ont été dépistés l’année dernière ? Google : CDAG dépistage nombre 2014. Combien de gens ont été déclarés positifs ? Google : CDAG positif vih 2014. Des pourcentages. Des règles de trois. Google : règle de trois. Peut-être que j’ai une chance. Peut-être que je serai gentille avec ma vieille tante et que je me mettrai au ski alpin. Si j’ai une chance. Si tout va bien.

Et un matin sur Twitter, tous, toutes, vous parlez dépistage, vous parlez VIH et IST. Et chaque onglet que j’ouvre me parle Sida. Ce sont les signes. Les mêmes. C’est le moment. Quelque chose veut que j’y aille. Maintenant, tout de suite, sur l’instant. Il faut savoir, impossible de continuer la torture mentale, les scénari de remise des oscars. Pause déjeuner, CDAG, des tas de gens, des vieux des jeunes des femmes des hommes des blancs des racisés des seuls des couples des costumes des jogging des mocassins des attachés cases des mini jupes des voiles des blondes des roses des gros. Tous blancs comme des linges. Tous hyper concentrés sur leurs téléphones ou sur un point fixe imaginaire droit devant. Tous dans une bulle d’angoisse. Tous un petit carton anonyme dans la main, quelques numéros attachés à notre sang. On attend. Je passe avec le médecin. Quels sont mes risques ? Il décide ensuite des examens à pratiquer, VIH, Syphilis, hépatite ? Attendre encore le prélèvement. Regarder émerveillée le va et vient de ceux qui viennent chercher leurs résultats, leur entrée, défaits et exsangues dans le bureau du médecin, leur sortie glorieuse, petits pas de danse de joie, sourire à l’assemblée, tout va bien j’imagine. Quelle chance. Je voudrais déjà sortir de ce bureau. Bientôt. D’abord la prise de sang, une infirmière tellement douée que je ne sens même pas l’aiguille, je range mon petit carton précieusement, mon sésame pour la santé. Trois jours ouvrés. Tic tac. 72h dans les limbes, à tout imaginer, à tout relire, à tout chercher. Google : faux positif VIH. Google : faux négatif VIH. Google : test combo vih anticorps CDAG. Google : comment bien dormir. 08h30, ce matin, j’attends l’ouverture des portes, le médecin prend mon petit carton, je m’installe dans un box. J’ai chaud. J’ai froid. Je tremble. Calme toi putain. Il a ouvert mes résultats dans le couloir, il n’a pas encore tout à fait fermé la porte qu’il m’annonce déjà que tout va bien, est ce que j’ai des questions ? Non ? Alors merci, au revoir.  Je crois que j’oublie de le saluer, je tiens mes résultats dans mes mains, je relis. Ok. Tout va bien. Et je passe, à mon tour, sautillante, devant ceux qui attendent. Bonne journée !

Une réflexion sur « Le test »

  1. Et tu crois vraiment que ta mère t’aurais moins aimée si tu avais été séropositive ou infectée par une MST ??????? Wake up ! Quand on aime sa fille, c’est pour le meilleur et pour le pire, en priant très fort que seul le meilleur lui arrive … Je t’aime

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