Pardon

J’en ai assez de te regarder mourir. 15 ans déjà. J’en ai assez de compter tes cotes, ton corps décharné contre le mien si plein, ça te rassure sans doute, tout ce gras, toute cette vie qui t’échappe, ça te réchauffe, mais ça ne te sauvera pas. Je ne peux plus te regarder partir à 2h du matin pour aller boire, je ne peux plus me demander si tu respires encore quand tu ne réponds pas, je ne peux plus m’inquiéter. Je ne supporte plus nos vies qui se croisent, ton rythme marche à l’envers, tu te réveilles quand je m’endors, tu m’écris des mots que je ne comprends pas, tu me voudrais dévouée, amoureuse, transie, mais j’ai peur, de toi, de la maladie. Tu me voudrais charnelle, tu es si froid, tu me voudrais sensuelle, tu es la mort quand je te serre contre moi. J’ai arrêté d’essayer de te sauver, j’ai arrêté de vouloir te soigner, ça ne fonctionne pas, mes bras sont trop faibles, mon amour si peu puissant face à la bouteille, mes mots se diluent dans la bière. Rien ne remplace la substance, rien n’est plus fort, tu retournes vers elle, je ne suis que la maîtresse.

Tu dis cette fois, c’est bon. Dans 10 jours, dans 20 jours, le mois prochain, à ton anniversaire, pour ta fête, quand j’aurai rangé, quand tu m’auras prouvé. Le temps se dilate, demain n’arrive jamais, les jours d’après sont les mêmes, je me tais. Je perds à l’ultimatum, mes supplications sont vaines, mes chantages inutiles, mes conseils malvenus, tu sais mieux que moi, tu ne lâcheras rien, tu dois décider, c’est ton problème à toi. Je m’informe, je lis, je propose, je glisse des brochures dans ta veste, et puis j’arrête, tout cela est vain. Tu crois tout contrôler, tu crois savoir, tu ne te regardes pas vivre, ton miroir est cassé, et tu refuses le reflet de mes yeux dans le tiens. Tu ne vois pas la couleur de tes yeux changer quand tu ouvres une 8.6, tu ne sens pas ta peau si fine qu’il me semble la transpercer quand je te caresse, tu ne contemples par la pâleur lunaire de ton corps quand tu dors. Si tu pouvais te regarder. Si tu pouvais t’aimer. Si tu pouvais te serrer. Si tu pouvais t’embrasser. Mais tu ne sais pas, tu ne peux pas. Et tu bois.

Mon amour, comme ces jours sont étranges. Nous faisons semblant, nous jouons notre partition, je suis passive-agressive, tu es incompris, je suis blessée, tu es endormi. Nous savons qu’il est temps, que nous ne tiendrons pas, que nous devons nous quitter, vivre ou boire, tu choisis, moi je sais. Et je ne te crois plus, et je ne vois pas demain, et je ne sais pas si tu arriveras, et je suis lasse. Et je ne sais pas t’aimer quand tu te laisses mourir, je suis égoïste. Et je ne sais pas t’aimer quand j’ai envie de te frapper, de rage et de colère, de désespoir et de misère.  Et je voudrais pourtant, être parfaite, poser des limites, respecter ton –problème-, te laisser gérer, ne pas être dans l’attente, ne pas vouloir que tu guérisses, t’aimer comme tu es. Mais je ne sais plus. Je ne veux pas te voir crever, c’est aussi simple, et tu crèves mon amour, tu te délites un peu plus chaque jour. La mort ne me fait pas bander, elle te rend laid, toi si beau, toi si parfait. Je me sauve. Pardon.