Dimanche matin

J’ai fait le grand tour pour rentrer je n’ai pas cherché la rue la plus courte ou l’itinéraire le moins encombré. Au contraire, il me semble bien que j’ai voulu me perdre, parce qu’il n’y avait rien de plus agréable que de se perdre ce matin, qu’il n’y avait pas de meilleur moyen pour prolonger l’instant que cette fuite molle en dehors de la réalité qui ne manquerait pas de me rattraper. Si je rentre, je quitte définitivement l’endroit où nous étions, et le reste s’empile sur ce souvenir pour l’étouffer un peu, les tâches et les obligations décolorent ton souffle dans mon cou et les couleurs sur mes poignets disparaissent déjà. Si je me perds, je ne suis ni tout à fait avec toi, ni tout à fait ailleurs, nous pouvons exister en creux, en juxtaposition surexposée sur les façades inconnues des immeubles gris, nous sommes partout encore, ton odeur et ta voix, ton râle et tes doigts.

J’aime ces instants qui n’appartiennent qu’à moi, que je partage pourtant avec l’autre puisqu’il les habite complètement, mais que je peux organiser selon ma propre chronologie du désir, selon ma scénographie préférée. J’annote dans la marge de ma tête ce qui aurait pu être mieux, ce que j’aurai pu dire ou faire, j’entoure en jaune vif mes passages préférés, je les relis, je les revis, je me les raconte et je me les agrafe quelque part sous la peau. J’ai un herbier sous l’épiderme, les feuilles jaunies des histoires anciennes contrastent avec les jeunes pousses, elles se superposent parfois sans jamais pourrir, je m’en occupe avec fierté, elles sont l’engrais fertile de mes fantasmes et de ce qui viendra, elles sont le rappel de ce qui a été et qui ne mourra qu’avec moi, pour un peu que je m’en souvienne et que j’entretienne en curatrice zélée le jardin étrange de mes amours fanées.

J’ai voulu me perdre, mais j’ai fini par me retrouver sur ce chemin que je connais trop bien, chaque bosse et chaque montée. Il faisait beau, les gens sortent de l’église, les boulangeries explosent sur les trottoirs vides, les plus vaillants rentrent se coucher, et moi je rentre du lit de mon amant, l’haleine pleine de café. Et personne ne le sait, ni ceux qui croisent mon regard, ni celles qui oublient de me regarder, il n’y a que cette boule au plexus qui me trahit, ce sentiment d’avoir vécu, enfin, cette nuit. Ce drôle de reflet dans mes yeux, la démarche incertaine de celle qui n’a pas assez dormi, cette odeur dans ma nuque qui n’est pas la mienne, vous l’ignorez et j’aimerai le crier, qu’il est bon de se perdre, qu’il est bon de penser, qu’il est bon d’être dimanche quand il a été samedi, qu’elle est jolie parfois la vie.

La drague

Je suis vraiment nulle pour draguer. Mais vraiment. Mon idée d’une approche réussie, c’est d’envoyer ma copine dire à l’objet de mon désir que, ouais, t’as vu, ma copine là-bas, elle te trouve pas mal. Mais même ca, j’assume pas. Je me cache dans mon double menton et j’attends la fin du monde, la prophétique épée de Damoclès de la hchouma qui viendra m’ouvrir en deux sur la piste de danse. La seule chose que j’arrive à peu près à dire, après quelques bières et les encouragements de mon armée intérieure de cheerleaders, c’est mon intérêt sexuel. Salut, ca te dit de baiser ? Je trouve ca plus simple, oui, non, peut-être, et si tu dis non, c’est ok, on ne peut pas plaire à tout le monde, et je peux passer à autre chose en soupirant, dossier clos, next. Mais imagine que je t’aborde en te disant « hey salut, ca te dirait de venir boire un thé avec moi, et puis peut-être on se plairait, alors peut-être qu’on se roulerait une pelle, et puis la fois d’après je te ferai à dîner et puis éventuellement tu pourrais toucher mes boobs si t’as envie ». Mmm. Sexy non ? Non. Pas tellement. Les gens aiment se faire draguer par des monstres sûrs d’eux, qui sentent bon l’assurance et qui ont les cheveux toujours bien en place je crois. Et ca n’est pas mon cas. Au mieux je peux te promettre d’être bienveillante, de partager mon meilleur bar à date, d’hésiter trois heures avant de t’envoyer un sms, de toujours te dire que tu es beau, d’être loyale et d’être honnête. Je ne saurai pas te vendre la lune, c’est trop loin et je prends pas l’avion. Y’a juste moi sur le plateau, une pomme dans la bouche comme le cochon qu’on va faire rôtir, du persil dans les oreilles, prête à cuire.

Je ne sais pas draguer, et je ne sais pas recevoir la drague des autres. Je subis 75% de la drague, il faut avouer, les mecs étant aussi subtils que des éléphants mécaniques mal programmés, je subis les adjectifs décrivant mes courbes, je subis les allusions à ma poitrine, je subis les clichés de la grosse gourmande qui aime la bite, je subis les regards appuyés et les descriptifs sauvages de ce qui m’attends si j’ose acquiescer. Pour les 25% restants, je ne comprends pas, je n’ai pas l’abonnement, veuillez décliner votre demande en trois formulaires homologués. Je suis persuadée d’être mi transparente mi monstrueuse, un genre de monstre du Loch Ness asexué, mes insécurités m’empêchent donc de considérer que je puisse plaire à qui que ce soit comme ca, en un regard, au détour d’un bar. Je conçois de plaire quand j’ai pu envoyer 36 mails de 17 pages, quand j’ai pu faire rire, quand je me suis rendue un peu utile, quand j’ai pu masquer un peu ma monstruosité derrière quelques jeux de mots bien usés. Mais pas comme ca, jamais. Et pourtant. Je me fais draguer à la piscine, au hammam, je me fais pécho sur des pistes de danse, quelque chose fonctionne parfois. Et puis je suis aimée, toute nue ou décoiffée, suintante ou apprêtée. Je suis aimable donc, désirable même. Je veux m’en convaincre. Ce n’est pas simple. Il faudrait faire taire à jamais ma fidèle compagne, la petite voix qui m’insulte dans le secret de mon oreille depuis l’adolescence, celle qui pernicieusement sape tous mes élans d’amour propre. Elle s’étouffe parfois, elle se meurt, mais elle s’accroche, la conne.

Si j’essaie de te draguer, bon courage. Tu peux t’amuser du spectacle, me regarder me rouler dans la boue à tes pieds, et me tendre une bouée quand t’en auras assez. Tu peux aussi mettre fin à mes souffrances direct, je ferai pas la vexée, promis. Evite de disparaître, de ne plus répondre, ca m’agace, et puis ca m’infantilise, je suis assez grande pour me prendre une veste, tu n’as pas besoin de me préserver en jouant les fugueurs. Je ne suis pas assez folle pour te stalker, pour venir couvrir ton paillasson de déjections enflammées. Je me contenterai de maudire ta descendance sur 37 génération, comme ca se fait. Et puis t’as le droit de venir jouer dans la boue, si t’es pas sur mais que tu veux tenter, t’as le droit d’imaginer ce que ca pourrait être, de dire des trucs pour voir comment ca répond, t’as le droit de me prêter ta bouée pour voir si on tient à deux dessus sans glisser. Peut-être que ca donnera rien, peut-être que je mettrai ma langue dans ta bouche sous un lampadaire, peut-être qu’on décidera que merci mais non merci, pas cette fois. Mais ca sera drôle d’essayer, de se tourner autour et de se décider.