La drague

Je suis vraiment nulle pour draguer. Mais vraiment. Mon idée d’une approche réussie, c’est d’envoyer ma copine dire à l’objet de mon désir que, ouais, t’as vu, ma copine là-bas, elle te trouve pas mal. Mais même ca, j’assume pas. Je me cache dans mon double menton et j’attends la fin du monde, la prophétique épée de Damoclès de la hchouma qui viendra m’ouvrir en deux sur la piste de danse. La seule chose que j’arrive à peu près à dire, après quelques bières et les encouragements de mon armée intérieure de cheerleaders, c’est mon intérêt sexuel. Salut, ca te dit de baiser ? Je trouve ca plus simple, oui, non, peut-être, et si tu dis non, c’est ok, on ne peut pas plaire à tout le monde, et je peux passer à autre chose en soupirant, dossier clos, next. Mais imagine que je t’aborde en te disant « hey salut, ca te dirait de venir boire un thé avec moi, et puis peut-être on se plairait, alors peut-être qu’on se roulerait une pelle, et puis la fois d’après je te ferai à dîner et puis éventuellement tu pourrais toucher mes boobs si t’as envie ». Mmm. Sexy non ? Non. Pas tellement. Les gens aiment se faire draguer par des monstres sûrs d’eux, qui sentent bon l’assurance et qui ont les cheveux toujours bien en place je crois. Et ca n’est pas mon cas. Au mieux je peux te promettre d’être bienveillante, de partager mon meilleur bar à date, d’hésiter trois heures avant de t’envoyer un sms, de toujours te dire que tu es beau, d’être loyale et d’être honnête. Je ne saurai pas te vendre la lune, c’est trop loin et je prends pas l’avion. Y’a juste moi sur le plateau, une pomme dans la bouche comme le cochon qu’on va faire rôtir, du persil dans les oreilles, prête à cuire.

Je ne sais pas draguer, et je ne sais pas recevoir la drague des autres. Je subis 75% de la drague, il faut avouer, les mecs étant aussi subtils que des éléphants mécaniques mal programmés, je subis les adjectifs décrivant mes courbes, je subis les allusions à ma poitrine, je subis les clichés de la grosse gourmande qui aime la bite, je subis les regards appuyés et les descriptifs sauvages de ce qui m’attends si j’ose acquiescer. Pour les 25% restants, je ne comprends pas, je n’ai pas l’abonnement, veuillez décliner votre demande en trois formulaires homologués. Je suis persuadée d’être mi transparente mi monstrueuse, un genre de monstre du Loch Ness asexué, mes insécurités m’empêchent donc de considérer que je puisse plaire à qui que ce soit comme ca, en un regard, au détour d’un bar. Je conçois de plaire quand j’ai pu envoyer 36 mails de 17 pages, quand j’ai pu faire rire, quand je me suis rendue un peu utile, quand j’ai pu masquer un peu ma monstruosité derrière quelques jeux de mots bien usés. Mais pas comme ca, jamais. Et pourtant. Je me fais draguer à la piscine, au hammam, je me fais pécho sur des pistes de danse, quelque chose fonctionne parfois. Et puis je suis aimée, toute nue ou décoiffée, suintante ou apprêtée. Je suis aimable donc, désirable même. Je veux m’en convaincre. Ce n’est pas simple. Il faudrait faire taire à jamais ma fidèle compagne, la petite voix qui m’insulte dans le secret de mon oreille depuis l’adolescence, celle qui pernicieusement sape tous mes élans d’amour propre. Elle s’étouffe parfois, elle se meurt, mais elle s’accroche, la conne.

Si j’essaie de te draguer, bon courage. Tu peux t’amuser du spectacle, me regarder me rouler dans la boue à tes pieds, et me tendre une bouée quand t’en auras assez. Tu peux aussi mettre fin à mes souffrances direct, je ferai pas la vexée, promis. Evite de disparaître, de ne plus répondre, ca m’agace, et puis ca m’infantilise, je suis assez grande pour me prendre une veste, tu n’as pas besoin de me préserver en jouant les fugueurs. Je ne suis pas assez folle pour te stalker, pour venir couvrir ton paillasson de déjections enflammées. Je me contenterai de maudire ta descendance sur 37 génération, comme ca se fait. Et puis t’as le droit de venir jouer dans la boue, si t’es pas sur mais que tu veux tenter, t’as le droit d’imaginer ce que ca pourrait être, de dire des trucs pour voir comment ca répond, t’as le droit de me prêter ta bouée pour voir si on tient à deux dessus sans glisser. Peut-être que ca donnera rien, peut-être que je mettrai ma langue dans ta bouche sous un lampadaire, peut-être qu’on décidera que merci mais non merci, pas cette fois. Mais ca sera drôle d’essayer, de se tourner autour et de se décider.

6 réflexions sur « La drague »

  1. En te lisant, j’ai l’impression de me voir. Ca fait un peu mal à lire,, mal comme quand tu vois ce type qui était chouette rentrer chez lui tout seul parce que tu n’as pas osé le draguer, parce que tu es la grosse et que personne de sensé et possédant des organes sensoriels ne saurait être d’accord, mais ça fait aussi du bien, comme cet élan étrange de bonheur un peu incrédule quand cet autre type t’accepte entièrement et te couvre d’amour.
    Je ne connaissais pas ton blog, mais quelque chose me dit que je reviendrais.

  2. C’est vraiment touchant de lire tout cela sortant de la plume d’une femme. Parce que chez les hommes aussi -et surtout- il y en a qui ne savent pas du tout draguer, qui n’ont jamais su, et qui après vingt ans d’efforts se demandent s’ils ne vont pas tout simplement renoncer à la sexualité, vu le mal qu’ils ont à créer des liens avec une représentante du sexe opposé. A force de se prendre des râteaux on ne sait plus trop bien ce qui va marcher ou pas, et puis comme les filles se font draguer à tout bout de champ par des gros lourdeaux qui accostent les filles comme ils jouent à chat-bite, le premier regard hostile ou suspicieux suffit à faire s’évaporer le moindre espoir de la faire sourire un peu pour engager la conversation. On cherche à ne pas trop avoir l’air con alors on tâche de dire des choses intelligentes, et c’est ce jour-là qu’on va tomber sur celle pour qui ‘intellectuel’ est une insulte. On cherche à être un peu plus direct et on se fait remballer parce qu’on passe pour un crevard needy. On cherche juste à être gentil en fait, et on se fait toiser avec la condescendance méprisante de celle qui confond la gentillesse et la naïveté. Et quand finalement on suscite l’intérêt, c’est dans l’oeil d’une fille toxique que l’étincelle a jailli, de celles qui vont te piétiner le coeur, tenter de te faire marcher au pas ou y aller au diktat de « l’engagement », pour autant qu’il en existe une définition.

    La conversation sympa avec celle qui jouera dans la boue avec moi, je ne l’ai jamais eue qu’avec la fille qui me cadenasse catégoriquement dans sa Friend zone, celle qui me fera fondre intérieurement mais dont il est clair dans chaque geste, chaque regard qu’elle n’envisage rien de sexuel avec quelqu’un qui sait si mal draguer.
    Merci en tout cas.
    Je ne sais pas si ça me console de savoir qu’il y a des filles qui sont dans les mêmes tourments, mais on se sent un petit peu moins seul au monde à te lire.

  3. Cet article, je me le prends dans la face. Complet.
    Je suis en couple depuis plus de 5 ans maintenant (3615 hein), ce démon là devrait être parti hein, non?! Non. Toujours là, cette fichue peur, ce malaise bancal.

    Tu l’écris beaucoup trop bien ce malaise. C’est pile ces mots là. Pile, tout pile, dans le mille.

    Mais bon, j’aime bien les trucs de plein fouet parfois. Ne cesse pas d’écrire aussi vrai.

  4. tu m’as pris aux tripes, j’étais comme en trance en te lisant, merci
    Plus sérieusement tes 3 dernier textes sont magnifiques , donc je te déteste.
    en espérant ne jamais te croiser pour le reste des mois de toutes les années
    merci

  5. Les cheersleaders hummm, le fantasme de tous les Mecs.. J’ai 1 pomme (d’adam) si tu veux croquer dedans 🙂 Les filles timides sont dures à queer finalement.

  6. « Je sais pas draguer ». Moi non plus.
    Et comme je suis un homme, je ne subis (subissais) rien. Privilège de dominateur… Mais rien de rien, cela fait peu.
    Et draguer, c’est traditionnellement un devoir d’homme, non ?
    J’ai écrit des longs mails avec ma compagne durant deux ans avant de se décider de nous rencontrer, et cela a donné du bonus à notre relation : on n’a pas mis le superficiel à l’avant-plan. Quinze ans que cela dure. Mais débuter comme cela fait un peu ringard, non ?
    Une fois, auparavant, je m’étais fait draguer. Je me suis laissé faire, cela m’a plu. Mais j’ai cassé. Trop d’obligations soudain que j’avais pas envisagé de tenir ; il y avait du non-dit fait de coutumes, il manquait un contrat motivé. C’est de là que m’est venue l’envie de « correspondre » longtemps sans engagement. Sans drague.
    Bref : T’es pas toute seule à pas savoir draguer. C’est même un « devoir » qu’on devrait déconstruire un jour.
    Autrement dit : « non D, t’es pas toute seule, mais arrêter de chialer sur le trottoir parce que.. » (Jaques Brel)

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