#moiaussi mais pas moi

Ca doit être chouette de ne pas craindre qu’on force votre bouche avec des doigts pour y insérer un penis. Imaginez le luxe de la tranquillité. Ca doit être chouette d’avoir des relations sexuelles avec une partenaire qui ne risque pas de vous sodomiser alors que vous avez clairement mis un veto sur cette pratique. Imaginez comme cela doit être reposant. Cela doit être formidable de ne pas craindre pour son intégrité physique lorsque le métro est bondé. Imaginez le calme. Cela doit être formidable d’avoir 12 ans et de ne pas se faire solliciter sexuellement par une adulte avec autorité. Imaginez l’enfance.

Ca doit être plus facile ensuite de rire aux blagues sur le viol, sur la pedophilie. Ca doit être plus drôle de faire flipper les nanas en les suivant la nuit. Ca doit être un sport galvanisant que de commenter les tenues des femmes à haute voix à la terrasse des cafés. Ca doit être plus simple de balayer d’un geste sur les témoignages de femmes qui hurlent, qui pleurent, qui se taisent. Ca ne peut pas exister, puisque ca ne m’arrive pas.

Ca doit être plus simple d’imaginer que les violeurs, que les toucheurs, que les harceleurs sont de grands malades mentaux. Pas moi. Moi je suis viril. Moi je suis séducteur. Moi je suis féministe.
Ca doit être très bizarre d’entendre des hommes qui ont, eux aussi, été agressés. Ca doit être simple de mettre ça sur le coup de la déviance. Pas moi.

Est ce qu’en regardant votre histoire sexuelle à la loupe, vous pouvez assurer que 100% des partenaires étaient ok pour toutes les pratiques ? Qu’elles avaient consenti activement à toutes vos envies ? Pouvez vous vous demander si vous avez déjà laisser passer une blague sexiste, juste la, devant vous, sans vous y opposer ? Est ce que vous avez déjà pense que cette victime de viol n’était pas tres claire, qu’on faisait beaucoup de bruit pour quelque chose de pas très grave ? Est ce que vous pensez que le harcèlement sexuel n’est qu’une forme de drague un peu poussée ? Est ce que vous croyez plus facilement un homme qui parle de sexisme qu’une femme qui témoigne ? Est ce que vous refusez de voir que vous pouvez participer, meme par votre inactivité, meme par votre passivité, a un climat anxiogène et dangereux pour les femmes ? Est ce que vous parlez à vos amis, à vos frères du consentement ? Du slut shaming ? Est ce que vos fils demanderont la permission avant de toucher les seins d’une fille ?

Son nom est Marie

Y’a l’assassin de Marie en couverture des Inrocks. Voilà ce qu’on devrait dire. Pas l’artiste, pas le musicien, pas le poète maudit. Il y a l’homme qui a tué Marie sur le devant de ce magazine branché, et je ne m’explique pas, et je ne comprends pas. Je n’interdis pas à cette personne de vivre. Je comprends qu’il continue à respirer, lui. Il a purgé sa peine. Il n’est pas mort, lui. Il crée, il écrit, il chante, il produit, il pourrait fabriquer des fromages ou distribuer le courrier, il pourrait le faire discrétement, il pourrait nous laisser oublier qu’il a tué. Il n’a pas besoin de payer son loyer, il ne manque pas d’argent, il n’a pas besoin des lumières, il n’a pas besoin que nous achetions ses disques, il pourrait éviter le monde, travailler sous pseudo, écrire pour d’autres, se laisser la liberté de disparaître au monde, il pourrait continuer autrement, il choisit de se montrer. Il choisit la lumière, quand il a donné la mort, quand il a laissé mourir, quand les enfants de Marie se souviennent, quand nous nous souvenons, quand nous refusons d’oublier.

Voilà donc ce qu’on dit de l’incroyable violence subie par Marie. Voilà donc ce que l’on laisse dire des violences faites aux femmes. L’impunité des hommes s’étend donc à la mort. Un homme peut donc abandonner une femme à sa mort, seule dans une chambre d’hotel, après l’avoir frappée, et revenir en couverture papier glacé. Parce qu’il est un artiste. Parce qu’il a berçé nos adolescences. Parce qu’il est un personnage de roman noir. Parce qu’il était sous substances. Il existe une litanie d’excuses pour assassiner les femmes. Pour un diner mal cuit, pour une crise de jalousie, pour un appartement mal rangé, pour un regard, un jupe trop courte ou pour rien, les femmes sont tuées. Et ceux qui portent les coups, ces anonymes éventreurs, les voilà bien vengés, les voilà bien réhabilités, les Inrocks sont là pour toi, pour ton visage en A4, et tes mains bien planquées hors champ, les mains qui frappent, les mains qui tuent, elles sont peut-être trop timides encore. En son nom, dit la Une, au nom de l’homme qui tue, au nom de celui qui revient devant nous pour nous vendre des disques, et son nom, celui de Marie, froid dans le marbre.

Quand cesserons nous de pardonner les hommes ? Quanc cesserons nous de considérer qu’il y a toujours un élement perturbateur, quelque chose qui leur fait pêter les plombs, l’alcool ou la passion ? Combien de mois, combien d’années, avant d’ouvrir les yeux sur un système entier qui tue les femmes ? Des mains des hommes aux mains de ceux qui les mettent à la Une d’un magazine, des mains des policiers qui refusent les plaintes aux mains des médecins qui ne voient pas les bleus,des mains des parents qui encouragent les garçons à se battre et les filles à se cacher, ces milliers de mains qui étranglents des femmes partout, quand cesserons nous de les ignorer ? Et vous les hommes, quand cesserez vous de nier votre responsabilité collective dans les violences faites aux femmes ? Quand finirez vous par prendre votre part de responsabilité ? Cantat, DSK, Baupin, vous n’êtes pas eux, mais si vous ne prenez pas la résolution ferme de lutter contre vos propres comportements sexistes, vous alimentez la bête immonde, vous ajoutez vos mains sur les gorges des femmes, tranquillement, sans même y penser.