Brise-lames

Y’a des mélancolies qui ne finissent jamais. Des trucs que tu traînes depuis 10 ans, une chanson, un morceau de texte, un texto, un moment. Ca n’a pas besoin d’avoir existé. Ca n’a pas besoin d’avoir été vrai. Je crois à la mélancolie des rêves, au désespoir des mondes parallèles, ces embranchements pas-vus-pas-pris, ces projets qu’on ne savait pas qu’on avait. Je regrette de n’avoir pas été, de ne pas avoir embrassé, de ne pas avoir osé, de ne pas avoir assez cru, je regrette que les routes se séparent, que les amitiés meurent, je regrette ce que je tiens pour vrai comme ce que j’invente. Je regrette de deviner les gens trop vite, de voir si tôt ce qui va nous tuer, je regrette cette posture qui me fait m’économiser plutôt que de me brûler. Je regrette de vieillir raisonnable, de voir la langueur se transformer en impatience, je me raidis, j’exige, je demande. Je ne sais pas faire autrement, il en va de ma survie, j’ai dilapidé mon capital nerveux dans d’étranges paris, je veux du facile, je veux du transparent, plus rien de rugueux.

 

Je me raconte que je suis blasée, que j’en ai trop vu, que tout se devine, que tout se ressemble toujours à l’infini. Peut-être. J’ai peur aussi. De me laisser surprendre, de ne plus contrôler. De voir revenir la mélancolie, la vraie. Celle qui colle au lit comme une fièvre molle, la télé allumée sur n’importe quoi, des mégots qui flottent dans une bouteille d’eau presque vide. Celle qui t’empêche juste un peu de voir les couleurs, tout moins beau, tout moins fort. J’ai peur des grandes émotions, j’ai peur des promesses, j’ai peur des lendemains qui ne chantent pas ou qui chantent trop. Je ne sais pas si je suis assez dure pour être molle. Je ne sais pas si je suis assez forte pour être souple. J’ai oublié comment on fait pour ne plus deviner la fin des histoires, pour ne pas sortir toujours les mêmes cartes, la roue de la fortune, le bateleur, c’est pourtant pas faute de mélanger, couper, trier, respirer. J’ai peur de voir. Tout change sauf moi. Tout est mouvement sauf moi. C’est moi qui me cache sous le canapé, tas de poils, vieux boutons, piles de télécommande usagées, c’est moi qui m’oublie dans un coin en espérant que quelqu’un vienne m’aspirer. J’ai besoin d’un grand feu, mais j’ai peur de l’allumer, j’ai besoin de mettre à courir, mais mes pieds sont retenus par cents chaînes que j’aime regarder danser.

 

Il est temps pourtant, il est bientôt la moitié de la vie. Il est temps d’être sure d’avoir envie. Il est temps de ne pas choisir. Il est temps de faire confiance à l’univers, puisque rien d’autre n’est fiable, surtout pas les gens, surtout pas moi. Je veux une vie radicale. Je veux une vie où je m’autorise à ressentir. Je ne veux pas vieillir immobile. Je vais lever les chaînes, porter mes ancres sur moi plutôt que de les traîner en terre. Attaquer celles qui résistent à l’acide, je suis grande maintenant, j’ai le droit de manipuler des produits toxiques.

Une réflexion sur « Brise-lames »

  1. Je lis et relis ce texte tout le temps depuis qu’il est là. Et chaque fois, ça serre dedans tellement fort.
    Merci d’avoir mis de si beaux mots sur ce qui veut sortir de moi aussi.

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