8 mars 2021

Je me demande depuis quelques semaines ce que nous devons faire pour le 8 mars. Nous, c’est Gras Politique. Quelles sont nos revendications ? Quelle est notre place dans cette journée ? Quelles associations nous feront la grâce de nous accorder quelques lignes sur leurs tracts ? Les féministes se saisiront-elles enfin de la question de la grossophobie ? Cette année, l’époque est particulière. La pandémie révèle ce que nous savions déja : on est mieux soigné.e.s en France, on meurt moins dans notre “pays républicain”, si on est blanc, riche,et mince. L’impact du virus dans les territoires les plus défavorisés, et donc les plus gros, fait tâche dans les discours de guerriers triomphants de nos dirigeants. La classe, la race et le genre se rappellent à tou.te.s les militant.e.s. Il n’est plus question de rester dans un entre-soi bonhomme, toujours affamé idéologiquement à force de s’auto-digérer. La crise sanitaire nous pousse à l’urgence d’une pensée radicale. Les attaques multiples faites à la justice, à la survie même de celles.ceux qui pâtissent le plus du patriarcat, du racisme, et du capitalisme pèsent lourd dans nos décisions militantes. L’ennemi ne se masque plus, nous ne pouvons plus nous tromper de cible. 

 

Alors que faire, que dire, pour cette journée pour la défense des droits des femmes ? Est ce que nous, les gros.se.s, sommes des femmes ? C’est la question qui m’anime en ce moment. Je ne connais pas une féminité heureuse. Toutes les injonctions à être femme sont des violences subies, clouées dans mon ventre depuis l’enfance. Je ne me suis jamais sentie appartenir au groupe des femmes. Je n’ai jamais pu en partager les codes. J’étais au lycée dans un établissement non-mixte, entouré.e uniquement de femmes. Mon corps me désignait déjà comme étrangère à ce clan. Ma grosseur m’a exclue de la sororité implicite, celle qu’on partage autour des soucis de l’adolescence, des histoires de cœur, des fringues, du corps qui devient désirant et désiré.J’ai longtemps courru après l’idée que je me faisais de la femme grosse idéale. Je me suis faite “jolie”, j’ai pris soin de ma peau, de mes ongles, j’ai déployé une énergie folle à trouver des vêtements qui mettaient mes seins en valeur, car j’ai compris que seule ma poitrine me permettait de sortir du brouillard du genre orchestré par mon poids. J’ai ainsi négocié ma place chez les femmes, adopté leurs signes distinctifs, je me suis rendue reconnaissable comme telle aux autres. Je ne me suis vraiment reconnue femme que dans la violence de mes relations aux hommes cisgenres, que dans une hétérosexualité obligatoire. Comme le négatif d’une pellicule, me confronter à leurs corps, à leurs désirs, à leur violence, me permettait de créer un espace où j’étais sûr.e de ne pas être un homme, j’étais donc rassurée, à ma place. J’ai accepté de me déguiser, de me faire pénétrer, de me faire violence, de nier toute forme d’identité propre à mon histoire, à mon esprit, pour participer à la course à la validation. Celle des hommes, bien sur, mais celle des femmes rendues folles par le patriarcat aussi. Oui, j’en viens à me dire que le système patriarcal rend fou, rend folle. Qu’on organise massivement le silence des femmes en leur imposant un carcan tellement contraignant qu’on ne peut rien faire d’autre de son cerveau que de s’éreinter à trouver l’illusion d’un confort.  Ma rencontre avec le féminisme aurait dû me sauver. Mais là encore, j’ai dû accepter que mon corps ne serait jamais pensé par mes sœurs de lutte. J’ai dû accepter d’être invisible. Bien sur, d’autres questions politiques m’ont empêché de rejoindre les grandes associations féministes existantes. Mais l’impensé de ma réalité de personne grosse a toujours été un frein massif à mon adhésion à ces groupes. Et puis il m’a fallu des années pour organiser le grand tri, celui qui m’autorise aujourd’hui à me poser la question de mon genre, de ma féminité, de l’arrêt de ma course au bonheur genré.

 

Je crois que le féminisme doit penser pour celles et ceux qui ne sont pas des hommes cis. Pour moi, qui ne sait plus vraiment ce qu’elle est. Pour les femmes grosses, pour les femmes racisées, pour les femmes vieilles, pour les femmes et les hommes trans, pour les personnes non-binaires, pour les personnes victimes plus que les autres de violences patriarcales, raciales, économiques et médicales. Il ne s’agit plus de résumer nos combats à une lutte contre les hommes. Il faut que le féminisme soit le lieu d’une existence possible, quand elle est rendue infâme au dehors. Il faut que le féminisme devienne la chambre à soi que l’on prête à celle.celui qui n’en a pas. La solidarité qui nous unit face au patriarcat, voilà ce qui doit faire la base de notre communauté. Être une femme, cela ne m’importe plus vraiment. Et je ne me suis jamais sentie aussi féministe.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *