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Debbie Downer

C’est tout dans la tête, il paraît. L’envie, la faim, l’intelligence, la solitude. C’est tout dans la tête, sauf quand tu te prends une boule au ventre, une boule au sens. Un truc qui te crie le besoin immédiat de trouver les premiers bras qui passent, les premiers genoux, le premier ventre. Quand il devient inutile de parler, quand rien ne sort. Juste le rappel de ta tête qui contrôle le reste. Bloquée. Enragée. Plus tu en dis, plus les mots s’échappent, perdent leur sens, se transforment, pour finir par ne plus vouloir rien dire. Alors je me tais. Je ressemble à mon père dans ces silences pleins de rage. Ma mâchoire, lourde, tombe de mon sourire pour devenir carrée, les dents serrées jusqu’à la crampe, les yeux secs, trop ouverts, trop tendus pour cligner. Tout serrer pour ne rien laisser passer. Ne pas tout donner. Ne pas être tout à fait vulnérable. Peur de l’ouvrir aussi, de trop en dire, torrent de boue, la voix rauque et trop assurée, habitée par quelque chose que je maîtrise pas, les insultes, les coups, les cris, qu’est ce qui se cache là derrière, qu’est ce qui se cache et qu’on ne voit pas ? La bête, la boule, le nuage, l’orage, cette énergie immense que je suis capable de déployer pendant quelques heures, quelques jours, pour tout détruire, tout casser, tout abîmer. Si j’ouvre la bouche, c’est l’autre qui se met à parler, et moi derrière, toujours muette, toujours crispée, je regarde et je ne peux rien faire, tétanisée à moitié, coupée en deux par le milieu.

Alors tais toi. Encore. Une nouvelle fois. Laisse faire. Laisse dire. Laisse penser. Laisse vivre. Ta gueule putain. L’équilibre dans le silence forcé. La balance cassée pour tout le temps, alors à quoi ca sert de réparer. C’est de ma faute tout ça. De ma putain de faute. Si j’étais celle qu’on voudrait que je sois, si j’étais celle que je voudrais être, si j’étais celle qui crie, pour une fois. C’est facile d’hurler. Je sais faire. Sur tout et n’importe quoi. Sur les autres, sur les choses, sur les objets et sur les idées. Crier c’est plus compliqué. Plus vrai. Je ne crie jamais. Je pleure, comme une imbécile. Parce que c’est de ma faute. Tout. Et que ca ne sert à rien de m’opposer. Bras cassés. Jambes cassées. Plus rien à sauver. Bye bye Birdy. Juste la putain de survie qui n’en finit pas. Et la putain de fin qui n’arrive pas. Et l’entre deux dégueulasse. Et encore des larmes. Pour rien. Qui ne changent rien. Qui vident juste le trop plein. Je dépasse des lignes noires du coloriage, les aplats de couleurs coulent et s’entremêlent. Feuille souillée, bonne à jeter.

Et puis je respire. Mon chat fait une connerie. Mon téléphone sonne. J’oublie. Je retrouve les mots qui se fondent sous ma langue, leur goût sucré, l’air froid contre mes dents trop longtemps cachées.

C’est long, putain.

Trop de courbes dans ma vie. La courbe de mes hanches, celle de mon cul, celle qui fait le tour de son coeur, celle qui détermine ma température et celle qui m’annonce l’arrivée de mes menstrues, la courbe de mon humeur, la courbe de mon angoisse, graphiques incessants pour contrôler ce qu’on ne peut pas quantifier, ce qu’on ne peut pas toucher. Compter et recompter, tenir ce blog, écrire un journal, mon petit carnet, la liste des courses et des factures à payer, la liste des impératifs, les choses à ne pas oublier, écrire pour me forcer à exécuter, comme si le papier rendait tangible la nécessité d’agir, le besoin d’avoir quelque chose à rayer, à raturer, la satisfaction débile du devoir accompli, pour le moindre acte basique, se féliciter, comme un enfant devenu propre, je me congratule du moindre effort et de la moindre envie, prendre ma douche tous les jours, descendre la poubelle, répondre au téléphone, tout cela devrait me donner le droit à au moins 12 bons points dorés dans mon album. C’est le problème des courbes, des systoles et des diastoles, des descentes et des plateaux, des secondes et des heures qui se mélangent pour devenir grises, se multiplier et se perdre. C’est l’impatience, et les souvenirs acidulés qui remontent sur ma langue des étés sans notes et sans routine, je n’arrive pas à les saisir, ils m’échappent encore, se moquent et repartent se cacher, courir est inutile, j’attends qu’ils reviennent, résignée.

Les pieds qui traînent, la route comme déformée par le poids éléphantesque de chacun de mes pas, putain, c’est long cette remontée du vide, du rien, c’est tellement long, tellement solitaire, tellement frustrant parfois, compter les pas en plus, chacun, ne pas les oublier, remercier et bénir, chemin de croix, les autres comme des ombres, fantômes, parfois rêves agréables, parfois poltergeists insupportables, prendre sur soi. Demain n’est plus loin, je n’ai plus peur du noir, j’ai juste peur que demain soit à nouveau rempli de rien, de gestes décousus et incapables, de tentatives mornes et de victoires minuscules, se raccrocher aux phrases des autres, ceux qui ont réussi, comme aux branches d’un arbre de vie, slogans baltringues pour paumés anonymes, chaque jour compte, chaque minute, chaque seconde, se bouffer son orgueil en pleine face, sa suffisance, son intelligence, accepter que ton cerveau te ment, accepter de fonctionner autrement. Exercice de style, pas seulement pour un paragraphe, pour une dissertation, mais pour le reste du temps, celui-la même qui refuse de jouer dans mon camp, trop vite ou pas assez, reste à nous réconcilier.

Cat in the hat

J’voulais pas faire de billet sur mon chat. Parce que je suis pas une putain de blogueuse à chat. Parce qu’Adamo ne passe pas son temps à être super mignon, à rentrer comme un con dans des boîtes vides ou à porter des chapeaux de cow-boys, à poser pour le polaroïd. Non, pas trop le genre. C’est plutôt le genre à vivre sa vie et à se coller contre ta cuisse quand tu bosses, sans trop te déranger, juste pour te chauffer un peu le dos du muscle. Quand je dors, il se love dans mon dos, et comme je bouge beaucoup la nuit, je déborde sur son territoire. Au lieu de se casser,  il reste là, écrasé, en train de ronronner comme un gros fétichiste. C’est lui qui m’empêche de me lever le matin. On s’engueule pas mal, rapport aux poils et aux pipis sur les T-shirts dans la salle de bain. Mais on est en symbiose. On se cause. Il me griffe les mollets quand j’ai du thé brulant dans les mains. Je le traite de blogueuse angora. C’est de bonne guerre, tout ca.

Hier soir, mon chat s’est cassé. Pouf. Disparu. Envolé. C’est con hein. Il était là. Et puis, hop. Il était plus là. Aucune idée de ce qui a pu se passer. J’ai passé des heures à le chercher dans le noir. J’ai passé des heures à chialer. Et, à dire la vérité, j’ai toujours pas arrêté. Je traîne sur les forums d’associations de mamies à chats, et la moindre histoire de retour du poilu prodigue déclenche l’équivalent des chutes du Niagara. C’est normal, je suis hypersensible, il faut réduire le volume par 10 pour avoir une idée. Disons que je chiale une Garonne. C’est con hein. J’arrête pas de me dire ça. Que c’est trop con quand même. Tout ça pour un putain de chat. Mais ce soir il pleut, et puis comme par hasard, il fait un peu froid. Alors je regarde le parking glauque en bas de chez moi, et j’me demande ce qu’il fout, ce con de chat. S’il est planqué dans le parking, avec une tonne de rats et d’autres potes chats, ou s’il est tout seul dans un tuyau, tout mouillé, tout pouilleux, tout las. Alors je re-chiale, un coup. Juste comme ca. Toute la journée je me suis dit que j’allais le retrouver. Qu’en rentrant il serait là. Que c’était un coup pour rire. Un genre de blague de con de chat. J’avais laissé de la bouffe sur la balcon, les portes ouvertes, je pensais vraiment qu’il serait là, l’air débonnaire, assis sur son gros cul, à se foutre de moi. A la place, j’ai été coller des conneries d’affiches avec mon numéro de téléphone et sa description, et je suis à peu près sure que dès demain, je vais avoir droit à des coups de fils genre « hey madame j’ai vu ta chatte ». Super. Mais que je ne le retrouverai pas.

J’ai lu qu’il y avait une technique imparable pour faire revenir le matou vagabond. Faut se poster au même point toutes les heures à la tombée de la nuit, et secouer de la croquette en appelant. Tous les jours, jusqu’à ce qu’il revienne. Je l’ai fait ce soir. Je le ferai surement demain. Seulement, dans mon habitat urbain à forte concentration, ca passe moyennement bien. Quand je siffle, y’a toujours un connard pour me répondre en sifflant. J’ai l’air de secouer ma gabelle, au milieu du parking, c’est folklo. Demain j’irai voir les mômes qui jouent au foot en bas, ils me fileront peut-être un coup de main. Peut-être pas. Tout ca pour dire que j’ai perdu mon chat. Et que c’est incroyablement douloureux. Et que je me sens débile. Et conne. Et stupide. Et faible. Et irrationelle. D’être dans un état pareil, pour un putain de chat.

Pauvre Baby Doll

Tu sais comme ils te disent que l’important c’est pas vraiment d’avoir un père, mais plutôt d’avoir une figure masculine, quelqu’un sur qui projeter, quelqu’un sur qui passer ton Oedipe, quelqu’un qui t’aimera tout pareil, quelqu’un qui pourrait même être une femme, un épouvantail pour tes colères et tes fantasmes, une statue du commandeur à dézinguer. C’est ce qu’on raconte aux mères seules, aux femmes et aux couples de femmes homosexuelles qui procréent ou qui adoptent, à tous les utérus qui traînent sur le bord de la route par choix ou par accident, aux mômes qui inventent la signature d’un père sur le carnet de correspondance au lycée, quitte à ne pas avoir de paternel, autant s’en fabriquer un, autant qu’il serve, les mots d’absence écrits de ta main deviennent vrais. J’ai pas vraiment d’avis sur la question. Je n’ai pas de vraie figure paternelle autour de moi, pas de grand-père, d’oncle ou de grand frère à aduler et à brûler. Ca a failli, et puis ca a raté. Y’a bien un mec qui me cause, à l’intérieur, quand je vais pas bien, un mec qui me rassure. C’est vrai, il ne m’offre pas de cadeaux à Noel, il ne m’appelle pas pour mon anniversaire. D’ailleurs il ne sait même pas que j’existe. Mon père à moi, dans ma tête, c’est Eddy Mitchell.

Je sais que c’est pas mon vrai père. Je suivrai pas sa dépouille en pleurant, j’irai pas lui arracher un morceau du prépuce pour faire un test ADN dans dix ans. Mais entre Schmoll et moi, y’a un truc qui passe. Tu peux penser ce que tu veux, le comparer à Dick Rivers, se foutre de la gueule de ses reprises à la française, de sa période yéyé. Vas-y. C’est pas ça qui compte. Le truc le plus marrant, c’est que je ne sais rien de lui, de sa vraie vie, d’où il habite, du nom de sa femme ou de ses enfants. Pas fan hystérique, la fille. Je ne sais pas vraiment expliquer. C’est comme avaler un Lexomil avant de prendre l’avion, le laisser fondre sous sa langue et sentir tes épaules redescendre, ta mâchoire se décontracter, tes ongles se rétractent de ta peau, et tu prends le temps, de regarder par le hublot, les nuages et puis l’eau. Il me fait ca, Eddy. Il m’apaise.Parfois je tente de trouver des explications logiques à ce réflexe neurologique. J’écoute les paroles. Je fais attention à la musique. Ca ne m’apporte rien de plus. Cimetière des Eléphants. La Fille du Motel. J’ai oublié de l’oublier. Pauvre Baby Doll. Chain Gang. J’vous dérange. Nashville ou Belleville. Celle qui t’a laissé tomber. C’est la maison dans mes oreilles. L’impression de retrouver ma couette. Ou les bras de mon père. Celui que j’aurai pu avoir. Un mec à la voix rauque, avec un cuir. Un mec avec le coeur gros et une dégaine de voyou à la Renaud. Et puis on chante, Eddy et moi, on arrête pas, en duo, dans la chambre et dans la salle de bain, en acoustique dans les couloirs du métro, accapella dans l’escalier. Je fais la voix haute, il fait la basse, il veut jamais échanger.

J’ai pas de photos de mon père. J’ai pas de poster d’Eddy Mitchell. J’ai une idée des deux. Je peux pas m’engueuler avec le vrai. Je ne peux pas lui parler. Pareil avec Eddy. Sauf qu’il me laisse plutôt tranquille. Jamais une remarque. Jamais un mot en trop. Et quand il me saoule, j’appuie sur Stop, et je le zappe à grand coup de Noir Désir, d’Assassin ou d’NTM. Ta gueule putain. Sale loser de rocker français en bottines de merde. Mais je reviens toujours. Parce qu’il me manque. Pas comme avec le vrai.

Dimanche après-midi.

Les pieds dans l’eau, et puis finalement non, le bas du pantalon mouillé que tu relèves sur ton genou, le mollet trop banc et le soleil dans les yeux, le soleil comme si tu l’avais perdu depuis des années, comme si on avait oublié, regarder les poils sur ton bras, microscopiques changements, devenir blonds puis blancs, paupières plissées, la main juste devant, la mer qui s’en va, le sable et puis tes doigts. Le sel en traces blanches sur ton t-shirt marine, les cheveux emmêlés qu’on laisse se nouer, friser et se coller, le pull que tu enfiles sur ta peau encore humide, la serviette trop petite, choisie à la va vite, ce matin où tout était gris, où rien n’était bleu, le sable mouillé, ton nom à la trace, les patés, les mouettes et les rochers.

Les lèvres pourpres et les ongles violets, le froid des os, le chauffage à fond dans la voiture, l’odeur de la poussière réchauffée, la pluie comme par erreur, les vitres noyées, la plage devenue grise, le parking déserté, le sel qui se confond à la terre, le parfum de l’herbe détrempée, ta mâchoire qui s’entrechoque, ta main dans la mienne, mon souffle tiède pour la réanimer, tes chaussures pleines de sable, tes pieds encore au bord de l’eau, tes yeux mouillés. Quelques kilomètres à l’aveugle, la radio qui crache et ta voix qui chante, et puis soudain ton rire, presque hystérique, incontrôlé, torrentiel, la fenêtre que tu ouvres et tes bras qui attrapent les gouttes, sans les saisir jamais, tes mains tendues vers le ciel, et ta tronche fendue en deux, grimace incompréhensible.

Jack Lang, Défenseur des Enfants, vraiment ?

Dans un article d’avril dernier, le Figaro nous informe de l’arrivée probable de Jack Lang au poste de « Défenseur des Enfants ». Drôle de nom pour ce poste fraîchement créé par la loi du 20 mars 2011, qui définit le poste comme suivant :

« Les attributions du Défenseur des droits reprendront celles du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, celles de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) ainsi que de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE).

Le Défenseur des droits sera nommé par décret pris en Conseil des Ministres, les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat pouvant s’opposer à une nomination à condition de le faire par au moins les 3/5ème des voix.

Le Défenseur des droits pourra être saisi par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’une administration ou d’un service public. Il pourra également s’intéresser aux agissements des personnes privées en matière de protection de l’enfance et de déontologie de la sécurité. Il peut être saisi de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France. La saisine du Défenseur des droits sera gratuite.

Le texte de la loi organique instaure une immunité pénale pour le Défenseur des droits et ses adjoints. Dans une de ses réserves, le Conseil constitutionnel a précisé que cette immunité ne pourrait s’appliquer qu’aux opinions et actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. En sont donc notamment exclus les violations des règles relatives à des secrets protégés par la loi ainsi que la violation des lieux privés.  » (Source ViePublique.fr)

Depuis cette annonce, de nombreuses associations de victimes de l’inceste ou de protection de l’enfance multiplient les appels à Nicolas Sarkozy pour qu’il considère les éléments les plus troublants du passé médiatique de l’homme politique plusieurs fois ministre. Ce dernier a en effet tenu a plusieurs reprises des propos jugés au mieux décalés , et parfois même inquiétants sur la sexualité mêlant mineurs et majeurs. Il se place dans la lignée des propos aujourd’hui regrettés par Daniel Cohen-Bendit dans les années 1970 sur la libération sexuelle de l’enfant, et on ne s’étonne donc pas de le voir signer un appel à la relaxe et à la solidarité avec trois hommes poursuivis pour « attentat à la pudeur sans violence sur des mineurs de quinze ans » dans Le Monde du 26 janvier 1977 :

« Les 27, 28 et 29 janvier, devant la cour d’assises des Yvelines vont comparaître pour attentat à la pudeur sans violence sur des mineurs de quinze ans, Bernard Dejager, Jean-Claude Gallien et Jean Burckardt, qui arrêtés à l’automne 1973 sont déjà restés plus de trois ans en détention provisoire. Seul Bernard Dejager a récemment bénéficié du principe de liberté des inculpés. Une si longue détention préventive pour instruire une simple affaire de  » moeurs  » où les enfants n’ont pas été victimes de la moindre violence, mais, au contraire, ont précisé aux juges d’instruction qu’ils étaient consentants (quoique la justice leur dénie actuellement tout droit au consentement), une si longue détention préventive nous paraît déjà scandaleuse. Aujourd’hui, ils risquent d’être condamnés à une grave peine de réclusion criminelle soit pour avoir eu des relations sexuelles avec ces mineurs, garçons et filles, soit pour avoir favorisé et photographié leurs jeux sexuels.

Nous considérons qu’il y a une disproportion manifeste d’une part, entre la qualification de  » crime  » qui justifie une telle sévérité, et la nature des faits reprochés; d’autre part, entre la caractère désuet de la loi et la réalité quotidienne d’une société qui tend à reconnaître chez les enfants et les adolescents l’existence d’une vie sexuelle (si une fille de treize ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire?)La loi française se contredit lorsqu’elle reconnaît une capacité de discernement à un mineur de treize ou quatorze ans qu’elle peut juger et condamner, alors qu’elle lui refuse cette capacité quand il s’agit de sa Vie affective et sexuelle. Trois ans de prison pour des caresses et des baisers, cela suffit. Nous ne comprendrions pas que le 29 janvier Dejager, Gallien et Burckardt ne retrouvent pas la liberté. »

Ces trois hommes, accusés d’avoir eu des relations sexuelles avec des jeunes filles de moins de quinze ans et d’avoir photographié et filmé leurs ébats, sont soutenus par toute une partie de l’élite intellectuelle. Jack Lang n’est pas le seul, il est aux côtés de Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Fanny Deleuze, Bernard Kouchner, Françoise Laborie,  Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers, Gérard Soulier, et même de psychiatres et de psychologues. Cela n’enlève en rien sa responsabilité individuelle à l’individu Lang.

Il récidivera, en déclarant par exemple dans le magazine Gay Pied le 31 Janvier 1991 « La sexualité puérile est encore un continent interdit, aux découvreurs du XXIe siècle d’en aborder les rivages ».

Je n’aime pas les énigmes dans les déclarations des hommes publics. Je n’aime pas l’ambivalence. Et j’ai conscience que ces vieux dossiers, ces phrases que Jack Lang traîne comme des boulets, sont des arguments faciles contre un homme politique soucieux de son image. Mais encore récemment, lors de la terrible affaire Polanski, c’est encore Mr Lang qui assurait la défense du cinéaste dans la presse et sur les plateaux de télévision.

Je me place du côté des Filles de Rien. Et je relaie, à mon tour, cette demande : Mr Sarkozy, il doit y avoir dans votre entourage politique, dans l’opposition, chez vos amis ou chez vos ennemis utiles, quelqu’un qui puisse assumer le rôle de Défenseur des Enfants sans avoir à se justifier sans cesse de positions troubles ou de paroles maladroites. Il doit y avoir quelqu’un de plus clairement investi que Mr Lang.

(J’ai un mois de retard sur la polémique, mais je m’en fous) (au cas ou)

Tu vas où quand tu pars ?

Je ne sais pas ce qui me fait partir là bas, la nuit, les yeux ouverts, quand rien ne bouge, juste l’écran sale de mon ordinateur, une chanson en boucle que je n’entends plus, le bruit de la chasse d’eau qui n’arrête pas de fuir, et dans mes yeux la falaise et la mer, la plage des mes étés de petite fille, les escaliers en bois qui craquent et l’odeur des serviettes qui sèchent sur le banc vermoulu de la cour en gravier. Les odeurs sont celles de l’été, mais les images sont en hiver, je vois le sable mouillé par la pluie, la plage vide, le radeau échoué, au loin l’hôtel biscornu planté là comme par hasard, mon point de vue est toujours le même, c’est le chemin de ronde, celui qui monte en rentrant du port. La barrière blanche fatiguée empêche les curieux de se jeter sur les rochers, et mon esprit flotte quelque part entre le sol et le ciel, en résidence secondaire. J’ai cette photo animée imprimée dans la cornée, en tâche de fond, et je ne m’en débarrasse qu’après plusieurs mouvements de paupières, bien conscients, comme s’il fallait partir, m’aider à décoller de mon point d’observation, fini la récré.

Flippée comme je suis du moindre événement corporel, je devrai déjà être en train de dévorer les forums et le Vidal à la recherche d’une possible pathologie, d’un cancer du nerf optique ou d’une tumeur maligne. De toutes façons, quelque soit ton symptôme, Google te diagnostique toujours le Sida, le cancer ou une infection urinaire. Et te propose toujours de te traiter à l’aide de médicaments achetés au Mexique, ou par l’insertion de produits courants de consommation dans différents orifices. Cette fois, je passe mon tour, je ne cherche même pas. Je fais mon petit voyage intérieur, je m’envoie ma petite carte postale, tranquille. J’ai mon billet de retour, je rentre quand j’ai envie. Je choisis pas encore tout à fait l’heure de départ, mais tant que ca ne m’arrive pas au rayon Charcuterie ou en pleine session de recrutement, ca ne me gêne pas vraiment.

Le plus étrange dans cet état demi-second, c’est que je suis parfaitement bien. Parfaitement rien. C’est l’immobilité qui me sort de ma veille prolongée, les yeux qui piquent d’être restés ouverts. Vieille chouette. Je ne crois pas aux esprits, je ne crois pas aux fantômes, aux manifestations, mais je me demande parfois si je n’y vais pas vraiment, pour un court instant. Si ma tête ne s’échappe pas, ne voyage pas, ne me quitte pas. Elle prend le vert, quelques micro-secondes. Elle va regarder les mouettes, retrouver son pote Julien qu’elle avait avant. Le temps de quelques respirations. L’iode, l’air marin, il paraît que c’est très bon.

L’horloge agoraphobe

Grosse, grosse, grosse obsession du temps. Celui que je perds. Celui que j’ai perdu. Celui que je ne rattrape pas, celui qu’on ne rattrape plus.Celui qui file trop vite. Celui qui s’en va. L’impression de ne jamais se réveiller au bon moment, comme si mes yeux restaient fermés pendant tout le film pour s’ouvrir au générique, dans la salle vide, juste bonne à ramasser le pop corn sale sous mes pieds, déplier ma veste et rentrer. Procrastination ultime, compter les secondes qui me séparent de la minute d’après, comme si le passage de la grande aiguille sur le trait suivant pouvait tout bouleverser, penser à attendre, attendre pour penser, et puis finalement ne rien faire et se distraire de l’essentiel, par trouille massive de la seconde d’après, de ce qui pourrait se passer si j’osais. Reculer pour mieux sauter, connerie, plus tu recules plus le départ de course s’éloigne, plus tu le fantasmes, plus il se déforme et se noie, plus tu rames pour revenir, pour te rapprocher, pour repartir.

J’ai perdu beaucoup de temps à m’observer. A me demander si j’allais bien. A me demander si je tournais rond. A m’assurer que j’avais raison de penser que j’allais bien. Que je tournais rond. A m’inquiéter de la moindre douleur, du moindre changement, de la moindre humeur. Je me suis observée sous microscope, découpée sur lames, cerveau, corps, coeur. J’ai appris à m’adapter à quelqu’un que je ne connaissais pas vraiment. Je me suis découverte autrement, avec de nouveaux outils, avec de nouveaux mots, de nouvelles théories. Tout ceci faisait sens, pour une fois, pour la première fois peut-être. Je ne regrette donc pas ce temps d’apnée, puisqu’il me permet de poser des mots sur ce qui m’habite, puisqu’il me permet, à long terme, de me sauver. C’est juste très long, justement, ce long terme. C’est trop long, quand on voudrait l’immédiat, le tout de suite. Je suis pressée d’être, de vivre, de sortir, d’achever ce que j’ai commencé, de commencer ce qui me m’attend, juste là, juste après tout ça. J’ai quelques pas à faire, quelques pas seulement, ils sont encore trop difficiles pour l’instant. Il faudra bien qu’ils cédent. Pas possible autrement.

Il y a aussi les pas, les vrais, ceux qui mènent quelques part, dans le métro, vers des amis ou nulle part. C’est un drôle de truc l’agoraphobie. Ca vous prend comme ça, sans prévenir. Le jour d’avant, tu fais la fête, tu vas au bureau, tu vis ta vie, tu ne penses à rien. Le jour d’après, aller chercher le courrier te demande un effort d’une journée. Ton coeur s’emballe, tes mains se serrent, tes pieds se contractent, tes bras refusent de t’obéir. T’es là, comme une conne, derrière ta porte, la clé à la main, incapable de sortir. Spasmophilie, tétanie, magnésium, on m’aura tout dit. Tu luttes comme tu peux, tu te bourres d’anxiolytiques, tu prends plus le métro, tu passes ta vie en taxi, tu leur craches ton loyer, jusqu’à ce que ton corps refuse même de t’autoriser à sortir de ton lit. Ecrasée par la mort, rétamée sous tes draps, tu respires plus, enfin, c’est ce que tu crois. Et puis tout le monde se fout un peu de ta gueule. Les crises d’angoisse, ma petite dame, tout le monde en fait, faut pas vous inquiéter. Ouais ouais. Et l’impression de devenir cinglée. Mais vraiment. Tout devient flou. Tu perds la tête. Ce qui te semblait simple hier, aujourd’hui c’est l’enfer. Aller chercher des clopes. Faire des courses. Parler aux gens au téléphone. Et la peur. De ne plus jamais pouvoir respirer. Et le monde de dehors, celui qui t’échappe, celui qui continue de boire des coups, de s’aimer, d’apprendre, d’aller au ciné. Sans toi. Et le monde de dedans, et ton appart qui pue la mort, et toi dedans. C’est marrant l’agoraphobie, ou alors, pas tellement. Mais si j’en parle ici, c’est que ca va mieux maintenant.

Et ne rien dire

Se plaindre en silence. Insulter le mug qui tombe sur le parquet. Des larmes inutiles pour une chanson aux basses un peu trop profondes, à la voix un peu trop dense. Des mots en moins, alors qu’il faudrait en dire trop. Des mots en trop, voilà quelque chose qu’on ne pourra pas me reprocher. Cela ne m’arrive pas. Je ne parle pas. Les quelques récepteurs chairs de mes émotions parlées sont triés sur le volet. Pour le reste il y a ce putain de clavier. Ce putain de carnet. Et puis surtout la boule au ventre, à la gorge, à la jambe, la boule-ventre, la boule-moi, la bouffe comme pour m’empêcher de parler, encore, me faire taire en me remplissant le gosier, on ne parle pas la bouche pleine tu sais. D’abord tu t’empêches de penser que c’est aussi simple, la relation dedans-dehors, contenu-contenant, parce que tu aimerais être plus compliquée. Et puis tu arrêtes de bouffer, de façon volontaire, pour prouver le contraire, et tu mords l’oreiller, remplir ta bouche pour l’empêcher de dégueuler.

J’ai envoyé un mail, à une amie, perdue depuis deux ans. Je lui demandais pardon, pour le silence, justement. J’ai essayé de lui expliquer. Je n’y suis pas arrivée. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle m’accueille, bras ouverts, fille prodigue. Je voulais juste lui dire ces deux ans, m’excuser. Je crois qu’elle aurait préféré ne rien entendre. Elle se demande ce que j’attends d’elle. Je n’attends rien. Qu’est ce que je peux répondre maintenant ? Rien. Elle me renvoie, à juste titre, l’image brute de ce qui me rend invivable. Cette image que je tente d’adoucir. Je ne trompe personne. Même pas moi. Je pourrai lui reprocher de ne pas prendre en compte mon histoire, mais après tout, pourquoi le ferait-elle. Qui a dit qu’on comptait les points. Le lien est brisé. Son ton est sec. Je suis celle qui a manqué, à son devoir d’amie, à ses obligations de camaraderie. Elle a raison. Je suis une merde. Rien de nouveau sous le soleil.

Depuis ce mail, j’ai l’ego dans les talons. Je me piétine gaiement. J’ai l’impression que l’acide de mon estomac vient me ronger la mâchoire. Retour de la boule noire.

La valeur, les années, mon cul

Quand t’es ado et que tu es persuadé d’avoir raison, parce qu’à l’adolescence tu t’interroges en permanence sur des milliers de choses et tu trouves des réponses instantanées dans les premiers bouquins que tu ouvres, voire mêmes les premières phrases, genre  »ouais je suis trop Nietzschéenne comme meuf » alors que tu t’es contenté de lire les citations sur Evene, bref quand tu es jeune, et relativement dépourvu d’expérience de vie, tu n’as pas peur de dire à tes parents, à tes profs, ou à n’importe qui que « OK j’ai QUE 15 ans mais je suis super mature OKAY ». On est plein à s’accrocher au même raisonnement tout au long de notre vie, considérant qu’on a acquis à la force de notre existence des points supplémentaires de connaissance qui nous permettent de juger en toute objectivité et en toute omnipotence les questionnements et les dilemmes des autres, genre « à ta place, et laisse moi te dire que j’ai déjà vécu EXACTEMENT la même chose … ». Y’a juste un moment, pour moi ca se passe autour de 28 ans, mais chacun son chemin, je m’en voudrais de vous imposer la même échelle de transition, où on finit par se rend compte que la valeur du conseil est bien en adéquation avec le nombre des années, et qu’y a pas à chier, les gens qui ont quelques années de plus que nous sont généralement détenteurs d’un truc incroyablement important dans la vie : le recul.

En ce moment, je supporte pas les jeunes. Tu sais, cette catégorie de gens de moins de 25 ans qui sont généralement encore étudiants et qui pensent détenir le savoir suprême sur leur avenir, le monde de l’entreprise, la façon de se torcher le cul et de réussir dans la vie. Alors bien sur, on pourrait me dire que c’est un symptôme de mon aigreur légendaire, de mon intransigeance. Je jure sur la tête de ma factrice que c’est tout le contraire, j’ai au contraire beaucoup de sympathie pour ce qui les attend, pour les claques successives qu’ils vont certainement devoir affronter, mais les écouter divaguer sur leur futur et sur leurs patrons de stages me met dans une situation difficile. Si je l’ouvre, je me transforme en gorgone vomissante, leur intimant l’ordre de se taire et de revenir me parler quand ils auront vraiment été dans une situation d’entreprise, avec un vrai contrat, un vrai loyer à payer. J’ai aussi un peu l’impression d’être une vieille conne, ce qui n’a rien de flatteur. Si je me la ferme, je ne dis rien, et socialement, ce n’est pas bien vu. Donc j’évite ces conversations, et j’évite surtout au maximum de me mettre en position de demander conseil à ces gens là (oui, ces gens là, qui n’ont jamais vu de chats, ou alors y’a longtemps), parce que je sais par avance qu’avec la meilleure volonté du monde, ils sont à des milliers de bornes de pouvoir se mettre dans mes pompes, et que leurs conseils vont me donner envie de leur administrer des frappucinnos glacés en lavements intimes.

Le mieux serait donc de demander conseil, et de ne converser qu’avec des gens parfaitement semblable à moi. Ahah. Oui, bon, c’est là que ma théorie s’effondre, c’est évidemment très mauvais, et je ne veux même pas envisager la possibilité de ne me faire que des amis « mûrs et matures », un genre de casting amical de Milf’s et de Filf’s, on tombe carrément dans le glauque. Alors je vais continuer à en dire le moins possible, à péter un cable de temps en temps, et surtout, à accepter que je suis aussi l’étudiante de quelqu’un d’autre, dans la chaîne merveilleuse de l’humanité qui m’entoure (gasp). Je n’ai jamais vraiment été douée pour m’adapter aux groupes et aux gens, et à cela, l’âge ne semble rien changer.