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8 mars 2021

Je me demande depuis quelques semaines ce que nous devons faire pour le 8 mars. Nous, c’est Gras Politique. Quelles sont nos revendications ? Quelle est notre place dans cette journée ? Quelles associations nous feront la grâce de nous accorder quelques lignes sur leurs tracts ? Les féministes se saisiront-elles enfin de la question de la grossophobie ? Cette année, l’époque est particulière. La pandémie révèle ce que nous savions déja : on est mieux soigné.e.s en France, on meurt moins dans notre “pays républicain”, si on est blanc, riche,et mince. L’impact du virus dans les territoires les plus défavorisés, et donc les plus gros, fait tâche dans les discours de guerriers triomphants de nos dirigeants. La classe, la race et le genre se rappellent à tou.te.s les militant.e.s. Il n’est plus question de rester dans un entre-soi bonhomme, toujours affamé idéologiquement à force de s’auto-digérer. La crise sanitaire nous pousse à l’urgence d’une pensée radicale. Les attaques multiples faites à la justice, à la survie même de celles.ceux qui pâtissent le plus du patriarcat, du racisme, et du capitalisme pèsent lourd dans nos décisions militantes. L’ennemi ne se masque plus, nous ne pouvons plus nous tromper de cible. 

 

Alors que faire, que dire, pour cette journée pour la défense des droits des femmes ? Est ce que nous, les gros.se.s, sommes des femmes ? C’est la question qui m’anime en ce moment. Je ne connais pas une féminité heureuse. Toutes les injonctions à être femme sont des violences subies, clouées dans mon ventre depuis l’enfance. Je ne me suis jamais sentie appartenir au groupe des femmes. Je n’ai jamais pu en partager les codes. J’étais au lycée dans un établissement non-mixte, entouré.e uniquement de femmes. Mon corps me désignait déjà comme étrangère à ce clan. Ma grosseur m’a exclue de la sororité implicite, celle qu’on partage autour des soucis de l’adolescence, des histoires de cœur, des fringues, du corps qui devient désirant et désiré.J’ai longtemps courru après l’idée que je me faisais de la femme grosse idéale. Je me suis faite “jolie”, j’ai pris soin de ma peau, de mes ongles, j’ai déployé une énergie folle à trouver des vêtements qui mettaient mes seins en valeur, car j’ai compris que seule ma poitrine me permettait de sortir du brouillard du genre orchestré par mon poids. J’ai ainsi négocié ma place chez les femmes, adopté leurs signes distinctifs, je me suis rendue reconnaissable comme telle aux autres. Je ne me suis vraiment reconnue femme que dans la violence de mes relations aux hommes cisgenres, que dans une hétérosexualité obligatoire. Comme le négatif d’une pellicule, me confronter à leurs corps, à leurs désirs, à leur violence, me permettait de créer un espace où j’étais sûr.e de ne pas être un homme, j’étais donc rassurée, à ma place. J’ai accepté de me déguiser, de me faire pénétrer, de me faire violence, de nier toute forme d’identité propre à mon histoire, à mon esprit, pour participer à la course à la validation. Celle des hommes, bien sur, mais celle des femmes rendues folles par le patriarcat aussi. Oui, j’en viens à me dire que le système patriarcal rend fou, rend folle. Qu’on organise massivement le silence des femmes en leur imposant un carcan tellement contraignant qu’on ne peut rien faire d’autre de son cerveau que de s’éreinter à trouver l’illusion d’un confort.  Ma rencontre avec le féminisme aurait dû me sauver. Mais là encore, j’ai dû accepter que mon corps ne serait jamais pensé par mes sœurs de lutte. J’ai dû accepter d’être invisible. Bien sur, d’autres questions politiques m’ont empêché de rejoindre les grandes associations féministes existantes. Mais l’impensé de ma réalité de personne grosse a toujours été un frein massif à mon adhésion à ces groupes. Et puis il m’a fallu des années pour organiser le grand tri, celui qui m’autorise aujourd’hui à me poser la question de mon genre, de ma féminité, de l’arrêt de ma course au bonheur genré.

 

Je crois que le féminisme doit penser pour celles et ceux qui ne sont pas des hommes cis. Pour moi, qui ne sait plus vraiment ce qu’elle est. Pour les femmes grosses, pour les femmes racisées, pour les femmes vieilles, pour les femmes et les hommes trans, pour les personnes non-binaires, pour les personnes victimes plus que les autres de violences patriarcales, raciales, économiques et médicales. Il ne s’agit plus de résumer nos combats à une lutte contre les hommes. Il faut que le féminisme soit le lieu d’une existence possible, quand elle est rendue infâme au dehors. Il faut que le féminisme devienne la chambre à soi que l’on prête à celle.celui qui n’en a pas. La solidarité qui nous unit face au patriarcat, voilà ce qui doit faire la base de notre communauté. Être une femme, cela ne m’importe plus vraiment. Et je ne me suis jamais sentie aussi féministe.

Retour de séminaire, Paul B. Preciado, une nouvelle histoire de la sexualité

Pourquoi il m’a fallu tant de temps pour comprendre la grossophobie comme un problème de validisme ? Qu’est ce que ça dit de ma propre peur de l’invalidité, cette construction institutionnelle monstrueuse dont il faut s’éloigner à tout prix pour avoir le droit d’exister, que de temps perdu à hurler que je suis grosse mais que je peux faire ceci, que je suis grosse mais que je n’ai pas telle pathologie, que de mots blessants et dangereux pour mes adelphes gros, pour mes adelphes en situation de handicap. Ce temps perdu à fuir le validisme de la société, parce qu’au fond, je le savais, je le sentais sans me l’avouer, que c’est bien la performance de mon corps qui est jugée et attaquée dans la grossophobie. Performance au travail d’abord, on ne veut pas de vous ici, vous ne faites pas dynamique, vous devez tomber souvent malade, vous aurez du mal à tenir le rythme, mon corps incapable de servir le capitalisme.  Performance amoureuse, je veux bien te baiser mais pas m’afficher avec toi, je ne pourrais jamais te prendre la main dans la rue, l’incapacité de performer mon role de femme sac à main, celle qu’on prend sous le bras pour se montrer dans des endroits comme il faut, celle qu’on ne peut pas exhiber comme marchandise signifiante de la réussite. Performance sexuelle, mon corps fantasmé comme incapable de jouir, coupé de mon sexe par ma graisse, mon ventre comme barrage à l’orgasme, mon corps désiré pour sa gourmandise supposée, engloutir le sexe de l’homme comme qualité intrinsèque à mon état de grosseur, bonne bouffeuse de bite, bonne cochonne gourmande, celle qui performe mieux au lit parce qu’elle est reconnaissante d’etre pénétrée, celle qui en fait plus que les belles, que les jolies, et donc que les minces, pour faire oublier sa monstruosité. Performance domestique, femme grosse bien docile, qui fait tout pour etre à la hauteur de son ménage, performance reproductive, des hanches faites pour porter des enfants, voilà ce qu’on me dit depuis l’enfance, légendes de fertilité des vénus préhistoriques, balayées par une médecine de performance, il faut enfanter vite et bien, il faut avoir des grossesses parfaites, sans risques et sans incidents, il faut avoir un corps efficace, facile à manipuler pour les médecins, facile à sonder, à découper, à coudre et à recoudre. Performance de la féminité, pour peu qu’on trouve enfin une définition à ce mot, mon corps fantasmé comme trop femme, trop de seins, trop de fesse, trop trop trop, proie pour les prédateurs pédophiles qui se cachent derrière l’excuse d’une maturité précoce de ce corps qui déborde dans leurs mains ignobles, performance de l’hétérosexualité obligatoire des corps divergents, ne jamais avoir l’espace de réfléchir sur son désir, aller vite, performer la victoire sur une société normative par l’accouplement normatif lui aussi “C’est mon choix : ils aiment les femmes rondes et elle le leur rendent bien!”. Performance du genre, les vetements comme des costumes, gros tas en jogging jugé masculin, grosse pin up au décolleté plongeant jugée grosse putain, pas de place pour la nuance, pas de place pour nos gros cerveaux, toutes nos vies sont consacrées à la fuite, à la planque, revendiquer l’acceptation des violences comme seul lieu sur, dire qu’on sait que c’est pas normal, qu’on se sait maltraitée, mais que c’est comme ca, on ne changera pas le monde, alors autant s’y mettre bien, s’y trouver une place la moins douloureuse possible, puisque le confort nous est interdit, tout est trop petit. Se contorsionner le corps et l’esprit des années durant, devenir les grosses et les gros invisibles, ou avancer en pointant du doigt nos masques, entrer dans chaque pièce toute nos vies en hurlant JE SUIS GROSSE de peur qu’on vienne nous reprocher ensuite de nous être travesties comme non monstrueux, comme normaux. La peur d’être découvertes dans nos différences, dans les adaptations multiples que demandent nos corps pour affronter une réalité qui ne ne calcule pas nos volumes, échanger des astuces sous le manteau comme des pestiférées, telle marque contre le frottement de cuisses, tel médecin qui ne nous fera pas pleurer. Survivre en apnée, courir derrière l’idée qu’on arrivera à performer comme les autres, c’est la seule solution, pas le loisir d’imaginer d’autres vies possibles, pas le temps de faire communauté. 

 

Se réveiller. A cause des violences, pas grâce aux violences, à cause d’une énième consultation, de la dernière micro agression, à cause d’une lecture, à cause d’un endroit en soi où l’on cultive dans le noir les derniers espoirs d’une vie sans la contrainte de la norme, un jardin fantasque et révolutionnaire où l’on peut s’imaginer s’asseoir dans un fauteuil à notre taille pour prendre le temps de penser nos corps comme nos alliés. Un endroit de douleur aussi, où nos corps se racontent, ces corps qu’on fait taire depuis nos naissances, nos peaux qui pleurent l’inceste et la violence, la pauvreté et la maltraitance, l’indignité apprise par coeur pendant nos parcours scolaires, nos os broyés par la machine institutionelle, par la machine travail, qui les brise pour nous faire rentrer dans les cases des autres, comme les os des gros morts dans leurs cercueils trop petits, rabotés et reboutés pour rejoindre la terre comme des morceaux désarticulés. Un endroit où le corps prend le temps de se vivre souffrant, sans que cela soit grave, sans que cela engage notre dignité, un endroit où les genoux peuvent grincer sans qu’on vous hurle que c’est de votre faute, que vous n’aviez qu’à jeuner, un endroit où les ovaires dévorées par les kystes de mes adelphes polykystiques sont enfin soignées, comprises et soulagées, un endroit où nos corps peuvent remiser leurs armures, prendre le temps de se regarder dans un miroir qui ne menace pas de vous couper l’estomac puis de vous l’agrafer pour votre bien, parce que vous allez mal performer la vieillesse, ou que vous ne correspondez pas aux attentes esthétiques des mâles en rut. Un endroit où je pourrais, peut-être, comme je l’ai commencé pendant ce morceau de séminaire, commencer à me débarrasser de ce validisme ingéré dès ma naissance comme une bouillie bien pensante et rassurante, où je peux envisager que l’inadaptation de mon corps, c’est aussi son seul moyen de refuser de participer à la grande messe mi néolibérale mi spartiate du corps sain et bronzé. Je ne pense pas qu’on puisse naître grosse, comme pour ma sexualité, je refuse le born this way, de cet endroit de confiance et de paix il me semble que je peux envisager que mon corps grossissant est la meilleure réponse aux violences justement, je peux remercier ce corps souffrant de m’avoir protégé de bien pire, de m’avoir enrobé et embrassé, de m’avoir porté à travers les ravins de la mort psychique bien des fois. Reconnaître que je ne suis pas grosse par hasard, et que mon gras est une réaction sensée et intelligente à l’horreur, aux traumas, à l’impossibilité d’être autrement, qu’il n’est pas qu’une matière jaune à éliminer, qu’il garde entre ses plis le secret qui me garde en vie. Mon corps gros, mon corps qu’il me faudrait quitter pour rejoindre celui des happy people, des gens des magazines et de la normalité, ce corps difficile et massif à manoeuvrer, il m’apporte joie et questionnements, il est mon baromètre et mon gouvernail, il me met joyeusement à l’écart des autres, de ceux à qui je ne veux plus ressembler. 

 

 

Texte écrit au retour de 2 journée du séminaire à Pompidou

Tunic (song for Karen)

Ca s’arrête jamais ces conneries. Tu y crois pendant quelques mois, liberté conditionnelle, tu penses plus à la bouffe, t’arrêtes de te lever le matin dégoutée par les cadavres de ta dernière crise. Tu supportes la frustration, tu manges tes légumes parce que t’aimes ca, tu cuisines, tu partages. Et puis ça revient. La nausée. L’état second. L’obsession. Le cercle vicieux de vouloir t’empêcher de te détruire qui te donne envie de te flinguer. Le poids, les joues qui s’alourdissent, les fringues de plus en plus vagues, le corps qu’on cache parce qu’il désobéit. Cour martiale pour le vieil ennemi, il a trahi, encore. Il ne mérite plus. Condamné à l’implosion malgré soi, noyade fatale dans un océan de graisse dure, je perds pied dans mes bourrelets, en apnée entre deux bouchées. Je n’arrive pas à me sauver. Je me fous d’être grosse. Je ne supporte plus de ne pas contrôler pourquoi je grossis. Entre ce que je veux et ce que je porte à ma bouche, il y a cette zone grise créée par mon cerveau malade, ce Larsen continu qui m’empêche, qui m’évite peut-être, de m’écouter.

Ce n’est pas faute de vouloir guérir. La thérapie, le self-care, les médicaments, oui, merci. Je me retrouve dans des récits d’alcooliques abstinents, malades pour l’éternité, toujours hantés par l’idée de retomber dans un verre, jamais à l’abri d’un excès qui conduit à l’enfer.  Ce ne sont pas pas les excès qui déclenchent mes périodes de gavage, mais les contrariétés d’abord, les contraintes ensuite. Je peine à expliquer le mécanisme exact, au bout de 20 années de troubles du comportement alimentaire, je n’en sais que ce qu’on m’a raconté. Quand je commence à manger, je déconnecte de la personne que vous connaissez. Je n’ai plus ni rage, ni volonté, ni répartie, ni humour. Je suis ailleurs. J’ai conscience pourtant de ce qu’il se passe, je me regarde enfourner. Je sais à quel moment j’arrêterai. Je sais que j’essaierai d’en vomir un maximum. J’ai de plus en plus de mal à gerber. C’est pire. Quand la crise est passée, quand je reviens à moi, je reste le ventre déformé par le trop plein, incapable d’expulser, coupable, malheureuse et désespérée. Il m’arrive de manger dans un demi-sommeil la nuit, je me lève et je mange, je me recouche, j’oublie. Je trouve au matin les restes dégueulasses de mes agapes morbides. Je me hais. Je mange. Je me hais. Je remange.

Et puis je traîne cette culpabilité de présenter au monde le visage de la grosse apaisée. Je ne le fais pas consciemment. J’ai toujours parlé ici de mes difficultés. Les gens retiennent ce qu’ils veulent. J’ai du courage, je suis une leçon de vie, toutes ces phrases que je reçois comme des grandes claques, qui me rappellent à la fois à ma monstruosité et le rôle que l’ont entend me faire porter. Les gros ne sont pas les seuls à souffrir de graves troubles du comportement alimentaire. Les autres, aussi. On parle beaucoup de l’anorexie, sans doute parce qu’elle est spectaculairement inquiétante, qu’on lit la souffrance dans les os apparents des malades. Peut-être parce qu’elle est considérée comme une maladie « noble », celle de de l’hyper-contrôle de soi. La boulimie, le Binge Eating Disorder, l’hyperphagie, tous ces maux tuent aussi. La culpabilité que nous portons, parce que vous associez ces TCA à notre manque de volonté, à notre stupidité ou à notre manque d’éducation diététique, nous abime aussi. Elle nous intime le silence. Elle nous empêche de vous raconter que nous mangeons, et que nous souffrons de manger. Elle nous condamne à grossir, et à continuer de souffrir.

Chère Delphine Desneiges de Cosmopolitan

Madame,

Le 25 juin 2012 vous vous fendez d’un article intitulé « Les rondes et la mode ». Je suis moi même de consistance molle à très molle. Je m’empresse donc de lire avec intérêt votre billet, que je me permets de reproduire ici en italique. Il est ligne ICI.

Je dois avouer avoir d’abord réagi de manière un peu franche. Je pense que « bande de trous du culs » a été mon premier sentiment sur Twitter. Votre texte est d’une telle hypocrisie que j’ai failli m’étouffer dans ma tartine de saindoux. Et puis, sans doute prise d’un élan soudain de charité, j’ai décidé d’éclairer votre vessie à l’aide de ma lanterne.

Reprenons donc.

Malaise. Et débat : ce matin, à la rédaction, nous recevons un communiqué de presse intitulé « 1er shopping avec mannequin pro taille 48 ».

Soit. L’info est en effet intéressante en soi. Sauf que… Le côté racoleur nous interpelle.

(Vous pouvez voir le shooting ici : Ma Grande Taille)

Tiens, je trouve ca rigolo « racoleur » comme choix de mot. La pub Gleeden, par exemple, jouant sur l’infidélité, je trouve ça racoleur. Une fille en vitrine qui propose ses charmes, c’est du racolage. Une couverture de New Look avec « Les photos des seins de Kim Kardashian », c’est racoleur. Quand je lis vos dossiers de sexologie, pleins de clichés, d’informations erronées, d’idées sexistes pour « pimenter sa relation » ou « satisfaire ses fantasmes », je juge cela racoleur. Mais une mannequin en 48 ? Vraiment ? C’est l’association de la taille et du mot mannequin qui vous fait vomir ? Vous ne vous imaginiez pas qu’une femme « si grosse » puisse prétendre au statut de mannequin ou qu’elle puisse porter à elle seule une marque et une campagne ? Qui racole ici, Madame la journaliste ? Vous sans doute, en mettant ce communiqué de presse en question. Ou en vous prenant en photo sous tous les angles en portant un masque de tête de mouton, mais c’est une autre histoire.

 

Oui, il y a définitivement trop de mannequins bien trop maigres dans les pages des magazines, oui, les filles shootées sont très loin de refléter la réalité, et oui, la mode exclut bien trop facilement les rondes. Tout cela, on ne le sait que trop. Lorsque l’on élabore un dossier mode, on tente, à notre petite mesure, de régler ce différent, même s’il n’est pas toujours évident – pour ne pas dire franchement difficile ! – de trouver des visuels de jeunes femmes plus en chair que celles que l’on a coutume de voir partout, tout le temps.

Donc si je vous suis, c’est uniquement de la faute des annonceurs, des marques, des méchants grands de la mode, si je n’ai pas ma place dans les pages modes de votre magasine ? Vous, vous luttez pour mon bien, vous vous imposez régulièrement au sein de votre rédaction en levant le poing, l’autre main fermement ancrée sur vos hanches de prolétaire en colère. Mais bien sur. Et les séries modes, shootées sur de jolies plages par des mannequins de 16 ans aux formes inexistantes, cela n’a rien à voir avec Cosmo. Et les photos en maillot, ou pour présenter des bijoux, tout cela est uniquement le fait des grands vilains de la mode. Mais alors à quoi servent les pages « fashion » de votre magasine ? Elles ne sont qu’un vulgaire catalogue. Le Diable en Prada m’aurait il menti ? Il n’existe pas de casting pour votre encart mode ? de prises de vues ? de prêts de créateurs pour vos pages ? Les journalistes, les rédacteurs en chef, n’ont donc aucun pouvoir sur ce qui est publié ? Allons. Soyez au moins honnête.

« Rome ne s’est pas faite en un jour » : c’est un fait, cela prendra plusieurs années avant que tous les acteurs du secteur de la mode intègrent que les lectrices en on assez de voir des photos de jeunes femmes faméliques qui ne leur ressemblent guère.

Selon Wikipedia, Cosmo existe depuis plus d’un siècle aux USA, et depuis 1973 en France. Le problème de la place de la femme et de sa représentation est au cœur des réflexions de nombreux mouvements depuis bien plus longtemps. Si l’ensemble de la population française continue à grandir et à grossir, les mannequins que vous choisissez pour vos images ont eux connu une baisse sensible de leur âge et de leur tour de taille. Vous n’êtes pas là pour rendre un service aux femmes, pour leur ressembler ou pour leur plaire, mais bien pour les conforter dans un perpétuel malaise, une perpétuelle insatisfaction sur leur physique et sur leur mode de vie. Ainsi, le corps moyen de vos lectrices ne correspondra jamais à celui de vos modèles, et le shopping proposé dans vos pages sera toujours au dessus de leur budget. Il s’agit de vendre du rêve, certainement pas d’être bienveillant, de se rapprocher de la lectrice. Cessez de mentir, de proclamer votre volonté universaliste de représenter toutes les femmes. Vous mentez. Vous le savez, non ?

 

Pour autant, faut-il toujours et systématiquement mettre en exergue les rondes lorsqu’on leur consacre une série mode, par exemple ? Et, plutôt que de dédier une série aux rondes, ne peut-on pas, au contraire, les intégrer aux côtés de mannequins plus en phase avec les silhouettes « moyennes », sans être rachitiques ? En d’autres termes, doit-on forcément passer pas une phase de « discrimination positive » pour faire avancer les mentalités ?

Quand je vous lis, j’ai l’impression que je prends un cours de coréen avec Kim Jong Il. Vous qui pratiquez depuis des années dans votre magasine des choix éditoriaux visant à discriminer et à ostraciser les femmes qui ne rentrent pas dans votre prisme de la normalité, vous souhaitez aujourd’hui donner des leçons d’intégration ? J’ai lu Cosmo UK, US et Fr pendant toute mon adolescence.Vos éditions anglo-saxonnes font parfois l’effort d’intégrer des femmes aux physiques différents dans leurs pages, et donnent assez fréquemment des conseils de mode jusqu’à des tailles 54 ou 56, mais je ne me souviens pas d’avoir une seule fois trouvé quelqu’un qui pourrait me ressembler dans les pages de l’édition française. Vous n’avez pas l’air de souffrir de votre apparence, si j’en crois votre blog personnel, et les marques que vous portez me laissent penser que vous devez vous trouver fort à l’aise dans les pages que vous défendez. Ce n’est pas mon cas, ni celui de toutes les femmes qui dépassent la taille 42. Cela fait un paquet de monde. Vous avez su nous conseiller les dernières diètes des stars, comparer les produits protéinés aux sachets solubles, vous nous avez convaincu qu’on allait vraiment perdre 4 kilos en une semaine sans les reprendre, qu’on pouvait avoir l’air mince en choisissant bien nos couleurs, vous nous avez vendu la maigreur comme rêve ultime, comme quelque chose de facile, quelques jours de régime, un peu de volonté, quelques abdos et des litres de crèmes pour le corps caféinées. Bien sur vous avez pondu quelques articles sur le zen, le yoga, le fait de vivre en paix avec son corps, de s’aimer, mais faites un ratio, combien de haine, de régimes restrictifs débiles, et combien d’aide réelle ?

 

Vous évoquez les silhouettes moyennes. Je suis d’accord. Qu’attendez vous pour le faire ? Combien de femmes en taille 42 avez vous affiché dans vos colonnes cette année ? Combien de femmes en taille 42 ont été mises en valeur dans des pages mode ? Combien ? Combien de modèles ont plus de 20 ans ? Combien sont noirs ? orientaux ? Quelle diversité offrez vous ? Quelle normalité ? Dans quelle monde vivez vous pour si mal le copier dans vos pages ?

Vous évoquez la « discrimination positive ». Vous la jugez inutile. Injuste peut-être. Vous parlez des mentalités. Vous avez donc conscience du poids de ces fichues mentalités sur les femmes jugées rondes, grosses, obèses. Vous savez lire, et vous avez donc consulté les études sociologiques récentes qui prouvent qu’elles sont discriminées à l’embauche et au long de leur carrière. Vous ne le savez peut-être pas, mais laissez moi vous apprendre qu’elles le sont aussi médicalement, dans leur parcours de soin, et de manière flagrante dans leurs parcours de procréation assistée (FIV). Je vous passe les petits ennuis du quotidien, les injures, les blagues, les moqueries, l’adolescence. Les rondes ne sont pas toutes Beth Ditto. Elles n’évoluent pas toutes dans un monde parfait de tolérance et de petits poneys. Elles n’ont pas toute le cran nécessaire à l’affirmation de leur condition. Elles ne sont jamais mise en valeur. Nulle part. A part peut-être sur des sites pornos, ou des hommes ont le bon goût de se masturber sur leurs corps pourtant jugés imparfaits par des magazines comme le votre. Alors avant de l’ouvrir sur la «  » » » »discrimination positive » » » » » » », peut-être pourriez vous faire l’effort de vous interroger vraiment sur la réelle discrimination. De vous y intéresser. D’écrire sur le sujet. De vous sensibiliser.  Ne prenez pas les choses à l’envers. Ne pensez pas que les rondes ont tout gagné, qu’il n’y a plus rien à faire, parce que vous dansez sur les Gossips et que vous trouvez Marianne James géniale. Ne changez pas l’ordre des douleurs et des priorités.

 

Ces questions méritent d’être posées. Car, si nous sommes les premières à vouloir que les séries mode nous ressemblent davantage (on est toutes loin de faire une taille 36 à la rédaction !), il nous semble bien que de se servir des rondes comme axe de communication ne sert pas franchement les rondes, justement…

Sérieusement, toute démagogie journalistique mise à part, quand parlez vous des grosses ? Des rondes ? A part pour évoquer la chirurgie bariatrique, le cul de Kim Kardashian qui la classerait dans la partie obscure de la force, les régimes, ou les 2 ou 3 starlettes qui connaissent des problèmes de poids ? Quand avez vous de votre plein gré fait réaliser une série de mode avec des modèles Plus Size (c’est à dire portant plus qu’un 42) ? Quand avez vous mis en lumière des rondes sans y être forcés par l’actualité, une mode ou une chanteuse ? quand avez vous pris vos responsabilités ? quand avez vous mis en œuvre quelque chose de concret pour répondre aux questions que vous lancez dans votre article, pleine d’une naïveté presque touchante ? Plutôt que d’interroger vos lectrices, qui sont certainement une majorité à ne pas ressembler aux modèles que vous proposez, pourquoi ne pas vous interroger vous, les professionnels, les journalistes, les stylistes ? Qu’attendez vous pour faire cessez l’hypocrisie ? Qu’attendez vous pour nous faire exister, pour de vrai, dans vos pages, sans nous stigmatiser, sans nous étiqueter ? De quel coup de pouce divin avez vous besoin ? A quoi sert votre article ?

 

 

 

Alcool

Je n’arrive pas à me mettre en colère, alors je tourne sur moi même, je fais les cent pas, je gueule sur l’inutile et je me tais sur l’essentiel, je voudrais vomir, mais tout reste coincé, j’ai de trop gros morceaux à faire passer, je ne digère pas, je voudrais qu’on me frappe au ventre, qu’on m’attende dans une allée sombre et qu’on me claque la tête sur le pavé, je voudrais avoir mal, pour de vrai, qu’on me laisse pour morte, usée, bleue, sanguinolente, je voudrais qu’on m’humilie et qu’on me souille de crachats, je voudrais qu’on écrive sur mon corps à l’encre indélébile ces mots qui ne sortent pas. J’ai besoin de me faire du mal, d’une façon ou d’une autre, en me brûlant la peau ou les ailes, en cherchant le vice dans ce qui aurait pu être joli, en salissant ce que je touche, en m’oubliant parmi ces autres qui s’en foutent. Le plus cruel c’est sans doute d’être assez sobre pour être réaliste, se voir agir sans pouvoir se l’interdire, je préférais l’ivresse, je préférais le bruit, à trop voir le contraste, à trop lire les reliefs, je n’ai que le vertige, la nausée sans le whisky.

Je contemple parfois un verre d’alcool qui traîne, seule chez moi. Je le pose sur la table, et je m’assois en face de lui, je décompose sa formule, regarde le glaçon disparaître. Je ne bois pas. Je ne boirai plus. C’est peut-être pourtant ce qui me manque pour me permettre d’exploser, me détendre assez pour faire céder mes vannes, laisser la boue couler. J’ai voulu rester sobre pour ne plus jamais me perdre, pour verrouiller sous ma peau ces autres qui m’habitent quand l’alcool les libère, pour me protéger des hasards, des rencontres, de la danse et du rire, pour me prouver que je n’avais pas besoin de crier pour être entendue, de forcer ma chance pour être embrassée. Résultats mitigés. Je me suis enfermée au lieu de me protéger, réflexe primal de bête blessée, je ne sais pas boire à moitié, je n’aime dans le vin et les alcools que leurs degrés élevés, je veux mon ventre tendu de bière tiède, les reflux acides au parfum cerise. J’ai arrêté de boire, de fumer, de me droguer. Il ne me reste que la bouffe, je chasse le dragon sur les papiers gras et les desserts sucrés, c’est le high du pauvre, du simple, celui qui empêche simplement de penser, la défonce solitaire et honteuse de la boulimique plutôt que la descente festive normalisée du dimanche soir, restes de tequila et de mdma.

Je voudrais arrêter de vouloir tout contrôler. Je voudrais faire confiance, au conducteur de bus, au métro, à ceux qui me proposent leur amitié, aux gens dans la rue, à ceux qui prétendent m’aimer. Pas la confiance naïve des imbéciles heureux, mais l’aisance confortable de ceux qui se supportent, ceux qui ont trouvé comment s’aimer.

Billet de grosse

Je fais des rêves de boyaux et de poumons, d’éventrations et de chairs disloquées. Je vois mon corps inerte, défoncé, troué, tuyauté. Je fais des rêves de gras, de cette masse immonde et dure qui remonte vers ma gorge pour m’étouffer. Je vois mon ventre se soulever comme habité par le malin, m’envelopper, me serrer. Je me rappelle cette scène dans ce bouquin, ce découpage sauvage de bourrelet au cran d’arrêt, pour en finir avec la souffrance de porter cette peau supplémentaire, cette armure de chair. Je vois la baignoire pleine de sang et les boudins coagulés sur le carrelage blanc souillé. Mon corps me travaille, c’est l’angoisse, j’ai l’habitude, les douleurs dans le ventre, dans le dos, dans les bras, mais le corps des autres commence à m’obséder. Sans doute parce que j’ai par moment la certitude de ne plus jamais plaire, de ne plus jamais faire bander. De regarder les autres vivre, noyée dans la jalousie grasse, de n’être que celle à qui on confie, celle avec qui on s’oublie. J’ai oublié comment on plaisait. Les rouages et les yeux doux. Je ne sais plus tenir la main d’un autre. Je ne sais plus quoi écrire ou quoi dire pour manifester correctement mon désir. Mon décodeur est cassé. Je vois le sexe et le rejet, les autres déclinaisons me semblent trop floues pour être interprétées.

Alors je me replonge dans ce rêve, le même depuis toutes ces années. Le même depuis que j’ai compris que je trainerais toute ma vie mon état de grosse comme un boulet. Qu’il me faudrait en rire trop fort, le justifier, le porter à bout de bras, le faire exister. Ce rêve d’être quelqu’un d’autre. De me réveiller un matin dans la peau de cette fille normale. Ni trop ni pas assez. Ce rêve de n’être pas toujours celle qu’on repère au diamètre de son cul ou de son décolleté. Celle qui ne vit pas avec l’angoisse de ce qu’elle porte à sa bouche, trop gras, trop salé, trop sucré, celle qui vit sereine dans son jean, sans en déborder. C’est le rêve de l’adolescente moche qui veut impressionner ses potes de lycée dix ans après. Celle des séries américaines, celle qui passe sur le billard et qui s’invente une autre personnalité pour enfin les épater. Je me perds dans cette illusion un peu glauque que ca va m’arriver. J’arrive dans ce bar et personne ne me reconnaît. Pourtant c’est bien moi, rien n’a changé à l’intérieur, les mêmes doutes et les mêmes peurs. J’ai juste une plastique convenable. Je suis quelqu’un de non-remarquable. Je peux parler aux gens sans m’inquiéter de leur jugement. Je peux parler moins fort. Je peux rire moins gras. Je peux chuchoter. Je peux m’asseoir sur ses genoux sans avoir l’air d’un hippopotame de dessins animés.

Alors pourquoi tu ne maigris pas putain de ta race ? Pourquoi c’est si compliqué ? Je ne sais pas. J’ai des réponses, des tas. Mais pas une seule qui soit vraiment honnête ou vraiment documentée. Je ne sais pas. J’ai maigri. Des tas de fois. J’ai perdu des centaines de kilos. Que j’ai repris. Religieusement. A chaque fois. Je sais me restreindre. Je sais compter les calories. Je connais les semaines entières avec 1 pomme à chaque repas, un yaourt 0% en cas d’évanouissement. Je connais les diètes longues qui n’en finissent pas, les semaines à -340 grammes où ta diététicienne te félicite comme si tu venais de gagner les Jeux Olympiques. Je connais le bonheur de s’enfoncer deux doigts bien profond dans la trachée quand je me sens coupable d’avoir trop mangé. Je connais le bonheur pervers de pouvoir gerber sur commande, dans n’importe quel chiotte, dans n’importe quelle baignoire, sans un bruit, sans qu’on le devine. J’ai vu chez les autres les désastres des anneaux et des chirurgies bariatriques. J’ai vu les gens changer, la peau pendre, des mariages se briser. J’ai vu des gens réussir, c’est vrai, mais pas assez pour qu’ils ne me donnent envie de me lancer. Et puis j’ai peur, peur de me faire ouvrir le bide et de ce qu’on pourrait trouver à l’intérieur de moi, comme si la couche de gras scellait quelque chose de plus grave. Je suis confite à l’intérieure de moi.

Y’a un bébé dans ton ventre ?

C’est charmant les enfants. Mais c’est compliqué aussi. Surtout quand ils posent leur regard sur moi, et que s’en suivent les questions d’usage. Tu attends un bébé ? T’es grosse hein. Et puis leurs yeux qui n’ont pas pris l’habitude de se baisser, et qui te regardent droit dans le gras. Pourquoi t’es grosse toi ? C’est vrai ca. Pourquoi je suis grosse ? Et surtout comment expliquer sans s’enfoncer dans quelque chose de trop compliqué, ou pire, comment éviter de faire trop simple et donc de stigmatiser la petite grosse de leur classe ? Je dis que je suis grosse parce que j’ai trop mangé. Parce que je n’ai pas appris ce qui était bon, quand j’étais petite. Je dis que je suis grosse, comme ils sont bruns ou blonds, petits ou costauds. Je dis que ce n’est pas pareil quand on attend un bébé. Que le bébé a besoin de place pour se lover à l’intérieur. Qu’il a besoin de manger à l’intérieur de sa poche, comme un kangourou. Je dis que je n’attends pas de bébé, mais que peut-être, bientôt, qui sait ? Et comme les enfants sont aussi mignons qu’ils sont cruels, ca ne s’arrête pas là. A la plage, je suis celle qui flotte le mieux. Parce que je suis grosse. Je deviens le bateau gonflable de la bande, on part à l’abordage de mes bourrelets pour mieux s’accrocher, se faire tirer ou plonger. Et je me laisse faire, et j’aime ca, et j’en rajoute, parce que je ne veux pas qu’ils puissent penser que je suis grosse et triste. Je suis le gros clown des enfants de mon entourage, parce que je n’ai pas trouvé de moyen plus simple de véhiculer un message positif et clair. Parce qu’on explique pas la boulimie et son histoire génétique  à sa petite nièce de 3 ans et demi.

Je voudrais pouvoir dire que cela suffit. Que mes pitreries de dodue leur permettent de comprendre que les gros sont des gens comme les autres. Juste gros. Pas stupides ou moches. Ce n’est pas le cas. Il y a les parents d’abord. Ils sont embarrassés. Ils ne savent pas quoi dire quand ils sentent les questions de leurs mômes arriver, et quand ils les surprennent en train de me reluquer la poitrine ou les hanches, leur premier réflexe est de faire taire, de créer une distraction, pour empêcher la question.Parce qu’ils sont mal à l’aise avec leur propre perception de mon « problème de poids ». Parce qu’un jour, ils ont dit « si tu manges trop, tu finiras aussi grosse que Tata ». Parce qu’ils savent que je vais l’ouvrir, que je ne laisserai pas passer. Alors ils étouffent la curiosité, et glissent un mot énervé dans l’oreille du petit, « on en parlera à la maison », « ne dis rien tu vas lui faire de la peine », et autres phrases toutes faites qui ne font qu’augmenter l’incompréhension du mouflet. Pourquoi on ne parlerait pas des gros aux enfants ? Ils n’en voient pas si souvent à la télévision ou dans leurs livres d’histoires. Ils comprennent très tôt qu’il faut être mince pour être beau. Les petites filles surtout, pas de surprise dans cette constatation. Elles ne veulent pas de glaces pour le goûter parce qu’elles vont grossir. Elles mangent des bonbons, mais pas trop, parce que ca pourrit les dents, mais surtout, ca rend gros. Les messages nutritionnels passent, tant mieux, mais en éludant toujours le gros dans la réfléxion. C’est qui, cet épouvantail obèse qui les effraie tant ? C’est moi. Ou alors c’est un autre enfant obèse. Qui est forcément gros parce qu’il mange trop et qu’il ne bouge pas assez. Et qui ne mérite donc pas leur intérêt ou de leur amitié. Parce que c’est souvent con, un enfant, malgré les jolies histoires qu’on se raconte en fiers parents. Ca cherche à ressembler, à imiter, à singer. Ca a du mal avec la différence, surtout si elle est mal expliquée.

Il n’y a pas que les enfants. Il  y a tout ces adultes bien attentionnés qui ont voulu me laisser leur place dans le bus ou dans le métro. Parce que je suis grosse. Et donc je dois être enceinte et faible. Quand j’ai la pêche, je refuse, et je réponds que je suis juste grosse. Ni malade, ni enceinte. Et je regarde leurs visages changer. Parfois ils s’excusent, rougissent et disparaissent. Parfois ils insistent. Comme si mon obésité me rangeait dans la case des handicapés. Je dois avoir besoin de m’asseoir, c’est fatiguant d’être comme je suis, de me porter. Ce qui est fatiguant c’est surtout de supporter la connerie et les manières des autres, mais ce n’est pas nouveau. Quand j’ai un coup de barre, j’accepte, et j’invente n’importe quoi. Des jumeaux consanguins, un cerclage barbare avec des litres de sang, tout y passe pour le passant. Il m’arrive même d’emprunter les caisses réservées aux femmes engrossées, petite revanche mesquine sur les cons qui poireautent en essayant de reluquer mon panier.

Size of the Union

Les grosses veulent être comme tout le monde. Elles demandent l’égalité de traitement en tout, la non discrimination à l’embauche, au crédit, à l’accès au soin, mais aussi à l’amour, à la représentation médiatique, aux fringues, à l’entrée en boite.  Vaste combat. Le droit à la différence dans l’indifférence, disait Anne Zamberlan, figure controversée des premiers mouvements de Size Acceptance en France. Être soi sans avoir à se justifier, sans avoir à demander pardon de prendre plus de place que son voisin, avoir le droit d’être entendu et soigné, d’accéder aux mêmes promotions et aux mêmes opportunités. Faire accepter, par la douceur ou par la force, par la flatterie ou par le gavage, que les attirances sont multiples, que la beauté est diverse, et que les kilos supplémentaires sur nos cuisses ne s’affichent pas en négatif neuronal dans nos cerveaux bien irrigués. Combattre les clichés des grosses soumises, juste bonnes à baiser et à jeter, des grosses bêtes et incapables, des grosses molles et apathiques. Les choses avancent. Il y a 10 ans, quand j’ai commencé à m’impliquer dans le mouvement Size Acceptance, il n’y avait pas une grosse à la télévision. Ca peut paraître négligeable. C’est en fait très significatif. Il y a 10 ans, une émission comme Belle Toute Nue, aussi caricaturale qu’elle soit, n’aurait jamais eu droit d’antenne.  Il y a 10 ans, nous nous battions encore pour obtenir les budgets pour des IRM à champs ouverts pouvant acceuillir les patients les plus obèses, jusqu’alors privès de diagnostics et de traitements. Il y a 10 ans, le Dr Cohen faisait ses débuts télévisuels sur M6 dans « J’ai décidé de maigrir », il est devenu le médecin nutritionniste le plus médiatisé après Dukan, avec livres, site internet, émissions et apparitions publiques. Il restera pour moi Dr Prozac, puisqu’à l’époque il appliquait comme première intention thérapeutique d’amaigrissement la prescription systématique ou presque de 3 mois sous cette molécule.

Je ne suis plus militante encartée grosse depuis presque 5 ans. Je garde un chien de ma chienne au système associatif, qui semble être une vaste farce dédiée à la masturbation de l’ego plutôt qu’au véritable travail. Et puis j’ai grandi, j’ai ouvert mes yeux sur des enjeux plus importants, qui débordent du cadre de mes bourrelets. La très grande violence qui est réservée à la femme dès qu’elle ne correspond pas aux attentes esthétiques du monde s’étend à la condition de la femme tout court. A celles qui veulent faire ce qu’elles veulent. De leur cul, de leur tailles, de leur poids, de leurs vagins, de leurs carrières. Je ne quitte pas des yeux les évènements organisés par les grosses qui se remuent, pour voir ce que ca donne. Et je suis assez critique. Parce que je ne supporte pas d’être mal représentée. Parce que j’ai bêtement l’impression d’avoir donné de mon cul pour cette histoire, avant elles. Le traumatisme de l’ancien combattant ou un truc débile dans le genre. Je n’en suis pas fière, mais je n’arrive pas à me dire que ça ne me concerne pas, même juste un peu. Je visite chaque jours les sites et les blogs des acteurs actuels de la Size Acceptance. Et tout ce que j’y trouve, c’est : fringues, régimes/opérations. Comme récemment avec Osez le Féminisme, qui n’envisage la femme que sous ses traits victimaires simplistes (victime de viol ou privée de plaisir sexuel)  on réduit la grosse à son expression la plus simple : elle est une femme, donc elle parle chiffon, et elle est en surpoids, donc elle cherche à maigrir. Aucune autre réflexion. Juste la surconsommation encore, des solutions rapides et illusoires pour se débarrasser en 1 mois d’un gras acquis en 10 ans, des soldes, des soldes, des soldes, des soldes, des soldes, des soldes, des soldes.  Il ne s’agit pas d’attendre que chaque grosse se mette à brûler sa gaine en signe de révolte dans un grand mouvement de révolte, et je ne m’attends pas à trouver des textes engagés sur les blogs de FaTshionistas, mais mêmes les sites comme AllegroFortissimo, ViveLesRondes, PulpeClub, ne font plus rien. Rien. Juste conseiller des formes de maillots de bains. Mais merde putain. Bien sur que c’est génial de pouvoir retrouver la confiance nécessaire au bronzage en public. Mais y’a pas autre chose à faire, autre chose à développer, à penser ?

Ce qui me choque le plus, c’est la recrudescence des élections de Miss Gras Double. Je suis mauvaise, je sais. Chaque région a maintenant son comité officiel de Miss Ronde. Et elles sont toutes super contentes de ressembler aux vraies Miss. De faire pareil que. De se transformer le temps d’une soirée en potiche stupide. D’être enfin jugée uniquement sur leur physique. YOUHOU JE VAIS M’ACCEPTER PARCE QUE JE VAIS ETRE JUGEE COMME UN BOUT DE VIANDE YOUHOU. Et elles se retrouvent des semaines à l’avance pour préparer leur défile, leur choré, et ca glousse et ca se colle des paillettes dans les cheveux pour être la plus belle pour aller danser.  Et devant le parterre énamouré des conjoints et des familles convoqués pour l’occasion, dans un dancing glauque de zone industrielle, elles vivent leur grand moment en robe du soir, avec discours larmoyant sur les kilos en trop et la volonté d’être jolie pour toute la vie. Et ca ne sert à rien. Et ca ne change rien. Et ca renvoie encore une fois l’image des grosses ghettos, qui se jugent entre elles et qui imitent les vraies, les authentiques, les maigres. Et c’est pathétique.

Fat Ghetto Fortissimo

Il y a quelques jours, suite à ma critique de « Osez l’Amour des Rondes », je me suis bêtement mis dans la tête de me réinscrire sur des sites communautaires du gras, afin de faire partager le texte, et espérer empêcher que d’autres dodues tombent dans le piège de l’achat de ce truc. Re-inscrire, oui, j’avoue tout, j’ai écumé pendant quelques années les associations et les sites spécialisés, animée à la fois par mon désir de tout faire péter, et de rencontrer un maximum de mecs, faut pas se mentir, tout n’est jamais complètement altruiste dans notre société. Je n’ai pas gardé de souvenirs incroyables de cette époque, je crois m’être faite renvoyée ou m’être cassée en gueulant d’à peu près chacune des structures visitées. J’y croyais pourtant, j’ai même été présidente du machin, j’y crois toujours, il y a des réelles discriminations en terme d’accès au soin et de critères d’embauche par exemple, et de vrais stéreotypes sur les gros qui continuent à être exploités par la publicité, les médias, et les cons en général. Mais mon ardeur militante ne suffisait pas, ou plutôt, elle n’en finissait pas de déranger.

Chez Allegro Fortissimo par exemple, ma vision plutôt érotique du corps gros ne faisait pas bon ménage avec les principes presque puritains des responsables de l’époque, mon envie de visibilité, d’actions coup de poing, d’actes forts, étaient étouffés par la longue complainte des grosses culpabilisées par leur état de gras, comme gélifiées dans leurs arguments. Les choses ont changé depuis, je ne connais pas l’équipe en place, et tant mieux, je pensais que ca éviterait les attaques personelles, ces chocs d’egos si nocifs pour l’univers associatif, que ce soit celui des gros ou pas. Allegro Fortissimo aujourd’hui, c’est 250 adhérents, une organisation modèle communiste avec un bureau interne et un conseil d’administration qui gère rondement sa petite affaire. Les personnages contre qui je gueulais il y a dix ans, mais qui pour qui je gardais un profond respect, se sont barrés, eux aussi. Ce qui ne semble pas avoir évolué c’est la moyenne d’âge visible des adhérents. Quand j’avais 20 ans, j’étais souvent mise à l’amende parce que trop jeune, sans experience, sans diplomatie vis à vis de mes aînées, rien de plus frustrant que de se heurter au mur de la bêtise de gens qu’on devrait respecter. J’avais rejoint une autre association, le Pulpe Club, plus jeune, plus énervée, qui a elle aussi fini par se saborder, le site vivote encore aujourd’hui grâce à quelques irréductibles. Aujourd’hui j’ai 30 ans, je ne fréquente plus ce ghetto de gros depuis longtemps, je ne suis plus une menace pour eux, pour leur nombre d’adhésions ou de visites, pour leurs événements privés, je n’ai plus le goût à la provocation, au trollage massif, j’ai tourné la page, pour de vrai. Et pourtant, après seulement une journée passée sur le forum, je m’aperçois que rien n’a changé.

Je m’inscris donc, à l’aise dans mes baskets, puisque près de 6 ans ont passé depuis ma dernière prise de gueule sur les terres de cette vénérable assemblée. Je pousse même l’amabilité jusqu’à me présenter dans le thread adhoc, vraiment, je suis pleine de bonne volonté. Et comme je ne suis pas trop chienne, je me dis que je vais participer à deux ou trois conversations avant de me lancer dans une auto-promo de folie, je choisis donc le sujet brûlant du moment « Pourquoi sommes nous gros? ». Excellente question, puisque l’obésité (la vraie, pas la peine de vous sentir agressé si vous accusez 1,5 point de trop sur votre IMC) est une maladie complexe, aux causes multiples, et boudée par la recherche, le corps médical préférant se ranger derrière le sempiternel « y’a pas de gros à Auschwitz, arrêtez la Danette ».

Ce qui est vrai pourtant, c’est qu’on devient bien obèse en mangeant trop, en mangeant mal, ou en assimilant mal la nourriture. Les cas de gonflements spontanés sont réservés à des pathologies thyroïdiennes, comorbidités du diabète,  ou génétique dans une très rare mesure. On ne peut donc pas honnêtement affirmer qu’on ne sait pas pourquoi on est gros. On est gros parce qu’on mange trop. L’important, c’est de savoir pourquoi et comment on mange trop. C’est donc ce que je me suis empressée de répondre, en expliquant qu’il n’y avait aucune culpabilité à attacher à l’acte de trop manger, puisqu’il est trop souvent lié à des choses plus importantes comme les troubles du comportement alimentaire graves, des problèmes du point de satiété suite aux régimes à répétition, des problèmes gastriques, des réactions chimiques suite à la prise obligatoire de certains médicaments psycho-sensibles etc.

Mon raisonnement, c’est de me dire qu’on a tellement culpabilisé les vrais gros, en leur répétant qu’ils n’étaient qu’une bande de grosses merdes juste bonnes à se carrer le cul sur le canapé en avalant des kilos de chips, qu’il est urgent d’aller contre ce cliché, et d’expliquer ce qui amène à trop bouffer. Parce qu’il n’y a pas de plaisir à se goinfrer, aussi étonnant que ca puisse paraître. Il n’y a aucun plaisir ( à part pour les feedees, sorte de fétichisme) à voir son corps s’immobiliser dans son propre mastic graisseux. Il y a des raisons médicales, sociales, psychologiques, qui poussent les individus à utiliser la nourriture comme un rempart, comme une arme. Et il y a aussi une maladie réelle, celle de l’obésité massive, qui dérègle le fonctionnement des cellules graisseuses, et qui empêche le retour à la normale des corps, malgré des régimes draconiens et des opérations de chirurgies bariatriques. Si tu me demandes pourquoi je suis grosse, je vais te répondre que j’ai trop bouffé. Mais l’important pour moi, c’est que j’ai trop bouffé parce que j’étais boulimique, entre autre. Donc je peux dire que j’ai trop bouffé, je m’en fous, c’est vrai, et ce n’est à aucun moment culpabilisant.

Ce que je ne savais pas, c’est que j’allais offenser toute l’assemblée des grosses réunies en osant proférer ce que je pense être la vérité. Je suis une méchante. Je n’ai rien compris. Je suis une inconnue qui débarque pour dire des âneries. Je n’ai pas le droit de dire des choses pareilles. Je suis dans le faux puisqu’il « arrive de prendre du poids sans manger plus que d’habitude, simplement par le stress ou par le manque de sommeil ». Je rappelle que je m’adresse ici à un forum de vrais obèses, pas à la section Régime d’un forum féminin, je suis atterrée qu’on puisse encore se voiler la face en se disant qu’on a de réels problèmes de poids parce qu’on stresse ou qu’on dort mal ! La technique de l’autruche, appliquée jusqu’au bout, surtout ne pas chercher à aller plus loin que le bout de sa propre culpabilité, de sa propre souffrance, le gros dans toute sa splendeur, dans tout son cliché.

Et puis, tiens, en plus d’être complètement à côté de la plaque, je suis aussi un peu fasciste, on me sert presque du Godwin, on me rappelle les droits fondamentaux de l’Homme, on en vient même à ouvrir des camps (de concentration ?) pour gros sur la base seule de mes messages:

« On mange trop voila tout est dit. C’est simple il suffisait d’y penser. Dans ces conditions on va pouvoir fermer tous les services hospitaliers qui travaillent sur les causes du surpoids depuis des années. C’est génial la sécurité sociale va faire des économies.Les bénévoles d’Allègro qui donnent de leur temps vont enfin pouvoir jouir de leur vie de famille. Quant au forum c’est simple : fermeture on a qu’à aller discuter, voire lire ailleurs. Et pourquoi pas se téléphoner et se faire une bouffe : on aime çà se goinfrer. Au pays des droits de l’homme on peut être de couleur de culture différente et c’est normal mais alors l’aspect physique c’est interdit.Il faut être dans la norme pas le droit de préférer etre dans « l’énorme »  Bienvenue au pays de la dictature de « l’apparence. Vous avez remarqué il (moi donc) a oublié de nous proposer d’ouvrir des centres « pour gros » rien qu’avec des supermarchés géants des restos et des transats. C’est dommage cet oubli. ».

Donc voilà, j’ai tué Sédar Senghor, j’ai mis en prison des petits poneys, j’ai promu le culte de l’uniformisation et d’ailleurs, 1984, c’était mon idée.

Autre technique  : cette fois je suis à la fois une jeune dinde inculte, et pleine de préjugés. PARCE QUE J’AI OSE DIRE QUE LES GROS BOUFFAIENT. ALLO ?

« Notre Messie est arrivé Alléluia ! Merci Merci Dariamarx de nous ouvrir enfin les yeux sur notre surpoids nous ne le savions pas ! Avant de nous asséner ainsi des secrets de Polichinelle il aurait été judicieux de lire tous les posts sur l’obésité Darimarx ainsi que les comptes rendus des émissions médicales et c’est pour cela que les filles ont réagi et que tu t’es fait remettre en place.
Tu ne nous as rien appris que nous ne savions déjà et en plus nous avons l’expérience de l’âge pour te répondre concernant la nourriture depuis le temps. Notre combat mettre fin à tous ces préjugés ridicules qui sont liés à l’alimentation et que si on est gros c’est parcequ’on bouffe ! Eh bien non nous ne bouffons pas plus que les autres et il n’y a pas une obésité mais des obésités alors avant de nous asséner des vérités toutes faites on se renseigne. »

Encore une qui met sa main à couper dans le feu du barbecue qu’elle est arrivée à 150 kilos un beau matin sur la balance en mangeant strictement la même chose que la voisine. Mais bien sur. Et avec votre LSD, vous reprendrez bien une part de space cake ou on s’arrête là ? Le meilleur reste le message d’insulte reçu dans ma boîte aux lettres « Casse toi tu n’as rien à faire ici tu ne comprends pas le but de ce forum ».

Fat Psychose au dessus d’un nid de coucou, résultat, je remballe mon petit espoir putassier de promotion lourdingue dans ma culotte, et je fais mes adieux à ce forum charmant et à ses participantes (oui, je n’ai eu affaire qu’à des femmes), et je viens chier tout ça ici. Pourquoi je viens raconter ? Parce que, encore une fois, j’y crois. Je crois que c’est important d’arrêter de culpabiliser les enfants, les gens, avec leur relation avec la bouffe, mais qu’il est urgent de chercher à comprendre ce qu’elle caractérise et comment elle fonctionne, si on veut vraiment venir à bout de cette épidèmie (non transmissible rassurez vous) d’obésité. Et quand je m’aperçois que mêmes les obèses renseignés et informés, puisque membres d’une association, tombent dans le panneau de la culpabilisation, ca me fait vraiment chier, et je me dis qu’on est pas encore sortis des emmerdes. Et ca m’énerve d’autant plus que j’ai à mon tour le sentiment d’avoir échoué, de ne rien avoir sur apporter de mon passage il y a presque 10 ans maintenant dans cette association. Ca me touche. Et ce discours me rend folle de rage.

Ca fait des générations de gros qui entretiennent leur gras en se rassurant faussement par de grandes cérémonies expiatoires de « C’est pas de ma fauuuuute, c’est pas de ma fauuuuute, j’ai pas repris deux fois du gateauuuu mamaaaaannnnn », des grosses de 60 berges qui t’expliquent les yeux dans leur clavier qu’elles se nourrissent uniquement de carottes crues et de batavia bouillie, des grosses tellement confites dans leur issues de secours pourries que le champ lexical même de la bouffe devient à bannir, source d’angoisse et de colère, de vieilles grosses déguisées en petites filles prises la main dans le pot à confiture par leur mère, le serpent essaie de se mordre la queue, mais son abdomen distendu l’en empêche. Comment peut-on espérer que ces militantes acharnées du « droit à la différence dans l’indifférence » transmettent les messages nécessaires à l’éducation de nos petits gros nouveaux ? En fait, je me trompe peut-être sur la nature même du but de cette association, qui semble dans ce cas présent destinée à entretenir les failles narcissiques d’une poignée de femmes et à fournir en dames adipeuses les besoins d’une population de Fat Admirer sans cesse renouvellée, plutôt que de « lutter contre les discriminations dont sont victimes les personnes de forte corpulence dans la société (problèmes d’accès à l’emploi, au crédit, aux transports, aux soins…). Elle travaille à réconcilier ces personnes avec leur corps et leur image, vis-à-vis d’elles-mêmes, de leur entourage et de la société. ». Si jamais ce billet est lu par les dames honorables de la société bien pensante des gros sans manger, on se donne rendez-vous au tribunal des crimes contre lèse-obèsité, c’est à Brides les Bains tous les étés, j’ai pris le parti de me défendre seule, et croyez moi, ca va chier.

http://www.allegrofortissimo.com (Craypion d’Or anyone?)

Les passages en italique sont des extraits des forums du site de l’association.

Le passage en italique gras est extrait de la définition de mission de l’association disponible sur le site.

Veau D’Or

Je m’assume plutôt, j’ai pas de soucis avec moi, mon corps m’appartient, et je refuse qu’il soit un champ de bataille, je le laisse vivre, parfois on se fait un peu la gueule, mais globalement on s’entend, on s’aime et on se le rend, j’ai fait la paix il y a quelques années déjà, refusant pour toujours de me dire que je n’étais pas assez bien, assez mince ou assez jolie, assez comme on voudrait, assez dans la norme ou assez sexy, je suis moi, je suis grosse et j’emmerde vos regards, je pisse au cul de la norme et j’encule les créateurs, les décideurs, ceux qui voudraient penser pour nous, respirer pour nous, écrire pour nous et choisir, ce qu’on écoute et ce qu’on lit, ce qu’on désire et ce qui nous fait bander, j’arrache la gueule des putes condescendantes, j’ai choisi d’être une punk pondérale, une anarchiste du corps, je ne mettrai pas ma chemise brune taille 38, je ne rentrerai pas dans le rang, c’est presque une raison de vivre bien, d’être heureuse, juste par revanche, juste pour faire chier, juste à mon niveau, juste aussi fort que je puisse le gueuler.

C’est un choix conscient, j’aurai pu me faire opérer, j’aurai pu choisir de lutter contre moi, de me priver, de rentrer dans une clinique boucherie, de renoncer à comprendre, à analyser, à travailler, je comprends tellement qu’on passe par là, qu’on fasse tout pour oublier qu’on a été différent, bruler les photos d’avant et les anciens vêtements, se faire couper l’estomac pour ne plus jamais recommencer, j’ai rien contre, vraiment, c’était juste pas pour moi, je pouvais pas quitter mon gras comme ca, sans lui dire au revoir pour de bon, sans savoir pourquoi il était arrivé là, on se tient chaud depuis 30 ans déjà, c’est mon corps, mon ami, il me rend unique, il me rend moi, c’est absurde peut-être, mais je ne me connais pas sans lui, il m’a donné la rage, il m’a donné la foi, il façonne bien plus que mes bourrelets, il écrit et il porte mes histoires, mon histoire, ma vie tout entière, chaque centimètre de peau, chaque vergeture, chaque pli, pas besoin de tatouages quand on a ses souvenirs profonds dans la peau comme moi.

Pour résumer, le seul problème qu’il me reste, c’est toi, c’est les gens, c’est les codes de la société, comme si le corps devait tout entier nous représenter, comme si mon image était brouillée par une flaque d’huile refusant de se mélanger, j’en viens à tester des trucs pour mieux te niquer, me présenter sous une autre identité, comme si tout ce que je dis, tout ce que je pense, tout ce que je peux écrire était taché de gras, comme un vieux sac à beignet, comme une patate qui se voudrait frite, j’en viens à me dire que je devrais louer une connasse de mannequin pour me représenter, je suis sure qu’elle vendrait mes textes bien mieux que moi, y’a qu’à voir les photos des auteurs choisis par la Star Ac’ de l’écrit, là aussi vaut mieux être tendance frange et jean slim que grosse et dépenaillée, je dis ca, en fait j’y crois pas, j’ai pas envie d’y croire, je suis juste énervée, vouloir changer le regard des gens, c’est épuisant, demain ca ira mieux, je mettrai mon T-Shirt Fuck Fat Never Go Back, j’irai faire quelques doigts aux connards des agences de tendances, et j’aurai le sentiment du devoir accompli, c’est con.