Archives de catégorie : Non classé

Jour 0

Ca se finit sous la pluie, bien sûr. Avec les yeux mouillés et le trottoir pareil. Ca se finit bêtement, avec un silence si lourd que même la ville se tait. Ca se finit dans tes yeux aussi secs que les miens sont humides. Je ne sais pas comment tu fais. Moi je pleure, et je sanglote, je cherche mon souffle à travers l’eau, je suis en apnée, pendue à tes lèvres qui ne veulent plus m’embrasser. Ça pourrait être romantique si ça n’était pas la tragédie ordinaire, la même que pour des milliers d’autres, les mêmes mots, les mêmes serments, les mêmes nuits. Jamais rien d’ordinaire avec toi, jamais rien de commun, j’aime ton bruit beaucoup plus que ton silence, j’aime tes soubresauts nerveux, tes tics, tes colères. Je déteste ce silence et tes yeux qui se posent dans les miens, tu joues bien le froid.

Il m’a fallu trois chansons pour tomber amoureuse de toi. J’ai le coeur difficile pourtant. Un peu blindé. Pas bien aménagé. Mais pour toi j’ai trouvé de la place, sans rien casser, sans rien abîmer. Tu es venu vite, fort, te lover dans ma poitrine, dès nos premiers échanges, dès ton premier baiser. Je n’ai pensé qu’à toi. Avant pendant après. Obsédée. Accrochée à mon téléphone. Je décrypte tes messages, je me demande ce que tu veux, je m’imagine t’apprivoiser. J’ai cru, un soir, y arriver. Un moment, tu t’es laissé approcher, vraiment. Mais tu repartais te cacher, derrière ton masque blindé. J’aime ton masque, et si tu choisis de le porter, je l’aime d’autant plus qu’il te protège, qu’il te permet d’encaisser. Je voudrais t’envelopper de moi, mais tu n’en as pas besoin. Tu es superbe. Tu es entier. Tu es incroyable de milliers de détails que je note pour mieux m’en souvenir. Ta façon de tenir ton verre, ta façon de plaire à tout le monde, ton culot, ta manière de plier là couverture, tes yeux quand tu fais une photo, ta rage quand tu parles, ta pudeur aussi, tes histoires, ta manière d’aimer le plus petit ou le plus laid par principe, ta lumière particulière sur le monde, ton prisme, toi, en entier.

Tout va s’arranger.

Je ne sais pas comment je rentre. Il pleut fort. Je ne me retiens pas pour pleurer. Les bruits des moteurs cachent les bruits de ma gorge. Je suis trempée. Les larmes, la morve, la pluie, la Seine, pourquoi je m’en vais, pourquoi je te laisse, pourquoi je ne t’attends pas, la, sous la pluie. Je voudrais que tu viennes me chercher, dans ma tête, c’est joli. La réalité est plus grise, Paris n’est pas jolie ce soir, elle degueule de voitures pressées et de piétons agacés, tu ne viendras pas me chercher. Je me raconte cette histoire sur le chemin, ça me réchauffe un peu, je n’y crois pas mais ce n’est pas grave. Ça ne compte pas, c’est juste une comptine que je me répète pour me bercer, tu vas venir, tout va s’arranger, tu vas me retrouver, tout va changer. Tout va s’arranger ? Je sais bien pourquoi tu me quittes. Je ne t’en veux pas. Je m’en veux. A moi, à tout le monde. Pas à toi. Tu me quittes c’est terrible. Il y a une heure encore tu ne me quittais pas, et je n’avais même pas compris que cela soit une possibilité. Je suis bête. Je crois fort aux jolies choses, aux belles histoires, mêmes les plus mal barrées. Tout partait mal. Tout partait fort. Tout allait bien. Et puis plus rien. Ni tes bras ni ton sourire ni ta chaleur ni ton odeur ni tes mots ni tes lèvres qui se tordent. Rien. Tu ne seras plus jamais celui que tu étais il y a une heure. C’est une loi physique. Cet état la disparaît. Il se transforme. Rien ne se perd. Sauf nous.

Tu ne viendras pas.

La rentrée

Tiens c’est la rentrée, j’y crois plus qu’au premier janvier, ca recommence pour de vrai, les programmes àla radio, les horaires de piscine et les assos, ca sent la copie double et la ligne 8, tu te prends à dire que ca sera pas pareil, qu’on s’organisera mieux et qu’on fera mieux la vaisselle, t’es encore un peu bronzée, tu refuses de remettre des chaussettes, faudrait accepter les feuilles qui commencent à tomber, l’été se casse si vite que t’as déja la morve au nez. J’ai du mal à m’y remettre, ce septembre, du mal à monter sur la barricade, à m’indigner, à polémiquer, à débattre, à organiser, j’ai du mal à sortir de la torpeur bienveillante de mon climat de vacances, j’ai colmaté ma bulle au béton armé, verrou triple sur les horreurs du monde et surtout sur celles qui pourraient me faire chialer. Pourtant ca se casse la gueule, les belles résolutions de zen, de méditation et de réfléxion, je vois rouge déja, déja envie de casser des burnes à coup de batte, déja envie d’aller menstruer à poil devant l’assemblée, mais ca retombe comme une vieille crèpe molle, comme si j’étais devenue frileuse, comme si je craignais de m’abîmer. Peut-être que c’est l’âge, peut-être que c’est le cerveau mou comme mes fesses, peut-être que j’en ai marre d’en prendre plein la gueule, va savoir. Ce que je vois c’est que c’est septembre et que je peine à faire semblant que c’est juillet.

Faudra y aller pourtant, parce que tout ceci n’est pas supportable, parce que je n’oserai pas me regarder à poil dans le miroir sans celles qui ont gueulé avant moi, parce que j’y crois, parce que je le veux, pour le meilleur et pour le pire, dans la maladie ou dans la santé. Parce que j’ai passé ma journée d’hier à bloquer les commentaires insultants sur les réseaux sociaux, à cause d’une photo, à cause de mon utérus, à cause de mon gras. Parce qu’on a refusé de prescrire une contraception à une copine parce qu’elle était trop grosse pour se faire  baiser. Parce que la société chie à la gueule des gens que j’ai choisi d’aimer. Parce que je voudrais qu’elle soit juste, même pour ceux que je n’ai pas choisi d’aimer. Parce que ca fait partie de mon identité maintenant, que je ne sais plus faire autrement. Il faudra y aller et j’irai, comme on se traîne au premier cours de maths, en oubliant mon manuel et ma calculatrice. Faudra y aller, sans félicitations, sans fleurs ni couronnes, puisque c’est mon plaisir aussi, l’adrénaline, les coups à boire, apprendre, comprendre, avancer, aider. Se jeter dans le tas en sachant déja qu’on va en chier, qu’on va passer par les mêmes doutes et les mêmes cycles, ca ressemble à la définition de l’insanité, mais le reste est tellement joli, je refuse de m’en priver.

J’y vais mais j’ai mis mes genouilleres et mon casque de Derby imaginaire, ma cape d’invisibilité et mon badge Prozac Nation, on m’y reprendra pas. Moins de réseaux sociaux, moins de débats stériles, moins d’agacement systématique, plus d’écoute, plus d’actions concrétes, plus de Gras Politique, plus de yoga pour tousTes, plus de chasse aux fachos et aux empêcheurs d’avorter, plus de fête, plus de convivialité. Plus de temps pour moi aussi, arrêter de courir, prendre le temps de me poser, d’écrire aussi, mais plus long, plus dense, moins me disperser. Je me souhaite tout de même de belles crises de rage, de belles nuits à coller, des cordes à tenir et des coeurs à serrer, je me souhaite des journées pas assez longues, des alliances et des heurts, je me souhaite d’aller là où mon coeur et ma tête s’accordent à désigner comme juste, de sauter dans le train même si c’est long à en crever. Si je ne me bats pas pour moi , personne ne le fera. Alors imagine, si personne ne se bat pour les autres. Etc.

 

Guide du non militant : comment supporter les militant-es, ces hippies-punk-blousons-noirs

CW : ironie sur les liens entre militant-es et non militant-es

Félicitations ! Tu as dans ton entourage quelqu’un-e de militant-e ! Mais tu en as assez de le-la suivre sur les réseaux sociaux car il-elle parle toujours de la même chose ! Marre d’entendre sa rage sur l’injustice ? Assez de ses pleurs sur ses discriminations vécues ? Ras le cul d’écouter sa souffrance ? Pas envie de l’encourager dans son combat pour un monde plus juste ? Envie de légèreté sur son fil, plutôt que le rappel permanent du monde sexiste, raciste et homophobe qui nous entoure ? Trop des témoignages relayés de situations affreuses et pourtant réelles ? Pas de souci, ce guide te permettra de rester confortablement dans ta bulle de privilège sans te soucier du reste du monde !

1/ MUTE LE

Pourquoi s’embarrasser d’un Unfollow dramatique alors qu’on peut simplement faire taire de manière hypocrite les proches qui l’ouvrent trop ? N’hésite pas à employer cette tactique simple, le bouton existe sur Twitter, et sur Facebook, il suffit de choisir de ne pas voir les publications apparaître dans ta ligne d’info ! Et voilà ! Sans remous, sans engueulade chiantes et politiques, tu peux rester dans le confort de ton ignorance sans heurter l’hyper sensibilité hystérique de ton-ta proche militant-e !

 2/ ARRÊTE DE LE VOIR

Pourquoi ne pas y penser avant ? C’est simple non ? Arrête de voir cette personne toxique qui cague sur ton arc en ciel avec ses idées révolutionnaires ! Pourquoi diantre devrais tu te fader les diatribes enflammées et certainement utopiques de ce jeune blouson noir ? Cesse simplement de l’inviter le dimanche midi pour le poulet rôti traditionnel (il-elle est surement vegan de toute façon).

3/ SOIS OUVERTEMENT TOI-MEME

Mais oui alors ! quelle bonne idée ! y’a pas que ces excité-es de la manifestation qui ont le droit de dire ce qu’ils-elles pensent ! Tu n’es pas raciste, mais quand même, tu trouves qu’il y a pas beaucoup de blancs dans ta rame de métro ? Mais dis le bon sang ! Tu n’es pas de droite, mais quand même, ces syndicats de merde, ils bloquent tout le pays et ils empêchent les braves gens d’aller au turbin ? Affirme-toi ! Tu n’es pas privilégié-e, tu crois à la méritocratie, mais ton seul souci c’est de savoir si tu pars aux Baléares ou en Croatie cet été ? Défends ton droit à la richesse ! Ils ont qu’à bosser après tout ! Avec un peu de chance, le-la hippie-punk qui te sert de proche décidera par lui-même de ne plus te fréquenter ! Et hop ! Problème réglé !

4/ CHANTE DU FLORENT PAGNY

Marre de cette énième querelle familiale autour des allocations familiales ? Tu n’en peux plus d’entendre ton-ta militant-e de cousin-e défendre les pauvres ? Mets-toi simplement à hurler du Florent Pagny ! ET VOUS N’AUREZ PAS MA LIBERTE DE PENSER ! EN BOUCLE ! Parce que merde, chié, crotte, on ne peut plus rien dire dans ce pays, marre de la police de la bienveillance, si j’ai envie de dire de la merde et de chier sur l’humanité, J’AI LE DROIT. TU M’EMMERDES MAURICE AVEC TA LIGUE DES DROITS DE L’HOMME D’ACCORD ?

5/ DEDOUANE TOI DE TOUT LIEN AVEC L’INDIVIDU SUS MENTIONNE ET NON DES OUTRES

Lui ? Avec le keffieh là ? Non non, je ne connais pas. Sûrement un hurluberlu qui s’est perdu dans notre quartier cossu. Huhu. Elle ? La dame avec la pancarte qui me fait des grands signes. Non non. Elle doit me reconnaître, j’ai eu un encart dans Stars et Couronnes récemment. Hihi. Et voilà. En quelques petits mensonges sans conséquences, vous n’êtes plus affligé-es du boulet noir et rouge, votre image vous appartient à nouveau, vous êtes libéré-es, délivré-es, vous ne sentirez plus jamais la merguez et vous n’écouterez jamais plus Bella Ciao au réveil. La vie est belle non ?

Pas pleurer

A force de pas pleurer j’ai cassé mes yeux. Pas pleurer, quand ton histoire de 10 ans se fait la belle, quand ton monde s’écroule et qu’il faut continuer. Pas pleurer, quand t’as peur pour tes proches et qu’il faut lever le menton toujours plus haut pour eux, pour qu’ils surnagent au dessus de la bouée. Pas pleurer pour le quotidien, parce que ca se fait pas, parce qu’il y a plus important, parce qu’on vaut mieux que ca. Pas pleurer pour les gens qui trahissent, qui blessent ou qui salissent, pas pleurer pour les idiots, pas pleurer sur du lait renversé, pas pleurer parce que c’est la vie, pas pleurer parce que pleurer ca sert à rien. J’ai pas pleuré assez cette année, j’ai mangé mes joues de l’intérieur, j’ai tenu sur les nerfs, si fort que mon corps tremble parfois, j’ai un fil électrique entre les deux épaules, grandes décharges dans les côtes. J’ai cassé mes yeux, ils ne veulent plus donner, alors l’eau sort en filet moche le matin quand je me réveille, quand j’ai pas encore eu le temps d’être triste pour quelque chose, c’est le trop plein, le ressac pollué qui s’échappe par les orifices disponibles, je laisse couler. Je pense à des choses tristes, exprès. En espérant que mes yeux se mettent à pleuvoir, qu’ils retrouvent leur belle humidité, qu’on chiale un bon coup, mes rétines et moi, et qu’on puisse passer à autre chose, allez, dégage la boule dans la gorge, on va te recouvrir, t’inonder. Mais mes yeux sont cassés, et mon corps se rebiffe, j’ai le sourire qui se tord à l’envers, mais pas une goutte en plus pour ma soif, juste quelques kilos de plomb supplémentaires sur les nerfs, développé-couché de stress, je suis culturiste.

Il en faudrait pas beaucoup pourtant, je sens bien, pour m’enlever le sec des yeux. Au yoga, à la fin, je pleure. Sans savoir pourquoi, parce que j’ai laissé parler quelque chose dans mon corps sans chercher à le maîtriser tout à fait, je pleure tordue entre le tapis et le béton, je pleure comme un bébé, mais je ne suis pas triste, c’est presque thérapeutique, c’est la fin de la séance, c’est physique. Un exercice supplémentaire de souplesse et de concentration, fermez les yeux, respirez, pleurez, encore, plus loin, c’est bien. Je pleure quand je croise le vieux chien et la vieille dame dans la pente qui monte vers mon bureau, c’est le plus vieux chien du monde et le plus joli aussi, il se dandine avec toute la grâce de son âge vers le parc, au ralenti, très digne. Et puis parfois, il s’arrête au milieu de la route, parce que c’est trop raide, parce qu’il n’y arrive plus, mais sa queue continue à battre l’air, et sa vieille maîtresse l’encourage alors qu’elle peine elle aussi à gravir les derniers mètres. Je pleure derrière la vitre de mon bureau en les regardant, parce qu’il n’y a rien de plus touchant que cette répétition d’amour, tous les jours à la même heure, cette discipline du cœur. Je pleure quand j’ai joui parfois, comme si mon ventre s’ouvrait tout à fait, comme si mon sexe faisait exploser le système nerveux sympathique, l’ivresse puis le vide, je pleure d’avoir trop ressenti en une fois, en trop grand pour moi, je pleure du choc des orgasmes incontrôlés, violents, désarticulés, mes jambes se soulèvent, mon bassin s’oublie, je ne me regarde plus baiser, j’ai récupéré mon corps, pour quelques secondes je l’habite entièrement, il colle à mon ombre et nous pleurons de nous retrouver.

Je me souhaite de lâcher prise et de réussir à pleurer. Je me souhaite de parvenir à abandonner l’illusion de contrôle pour plus de sérénité. Je me souhaite de retrouver le goût des larmes fraîches, des larmes pour rien, je me souhaite de pleurer de joie, je me souhaite de pleurer de rire, je me souhaite de me laisser tomber dans les bras moelleux et accueillants de mes amours, je me souhaite de me laisser porter un instant, je me souhaite d’être libre de ressentir la peine et de la laisser venir, sans lui construire de mur ou de mausolée. Je me souhaite de ne plus avoir peur de paraître faible, de paraître fatiguée, je me souhaite d’être entière dans mes bonheurs comme dans mes peines, dans mes luttes comme dans mes difficultés. Je me souhaite des torrents de larmes, de gros hoquets, je me souhaite des soubresauts mouillés, des joues creusées, je me souhaite la morve et les mouchoirs, je me souhaite le sommeil de l’après. Je vais réparer mes yeux, et les coudre entre mon cœur et ma tête, à points serrés, pour ne plus les perdre, je vais rétablir les connexions flottantes, laisser dériver, ouvrir le barrage, enfin, pleurer.

Chèr-e futur-e soignant-e,

On va se mettre d’accord sur un truc. Oui je suis grosse. Et oui ca peut être un truc chiant médicalement. Donc t’as le droit de m’en parler. D’ailleurs si tu m’en parles pas du tout, je vais me dire que t’as du caca dans les yeux, et ca me rassurera pas. T’as le droit de me poser des questions, t’as le droit de me demander si je veux maigrir, oui oui. Mais au premier rendez-vous, alors que tu viens juste de me rencontrer, y’a plein de trucs que j’aimerais que tu prennes en compte. J’aimerais vraiment que tu sois bienveillant-e avec moi. Je sais que t’as des longues journées et que c’est compliqué d’être d’humeur égale avec chaque patient-e, mais essaie, pour moi ? Ne décide pas que j’ai du diabète ou de l’asthme alors que tu n’as pas vu ma glycémie ou que tu n’as pas écouté mes poumons. Ne décide pas que je suis infertile alors que tu n’as pas d’idée sur mon cycle ou mon statut reproductif. Ne me prédis pas du cholestérol alors que tu ne sais rien de ma façon de m’alimenter ou de mes résultats sanguins. Prends le temps de m’écouter, regarde les papiers que je t’apporte, mes analyses, mes radios, mes trucs. Ne me prends pas pour une débile parce que j’ai du gras autour des os, mon cerveau fonctionne, je suis renseignée, alertée, j’ai conscience de mes risques. Si je viens te voir, c’est pour m’occuper de moi, pour me soigner, pour faire quelque chose pour mon corps justement. Alors ne m’envoie pas chier, ne me prédis pas une mort immédiate et violente si je refuse de me faire pratiquer un by-pass. Ne fais pas exprès de rater l’échographie sous prétexte que je suis trop grasse, ton collègue y arrive très bien. Ne me balance pas à la tronche tous les clichés de la grosse, je les connais et je les reconnais, je les supporte, je ne viens pas dans ton cabinet pour être jugée.

Si je viens pour une angine, soigne-moi. Si je viens pour une contraception, aide-moi à choisir, en fonction de mes risques et de mes désirs. Si tu veux parler de mon poids, arrête de penser qu’il faut me faire peur. On me répète depuis mes 6 ans que je vais en mourir. Je sais. Ca ne sert à rien. Ca me donne envie de fuir les médecins, ce genre de discours, de me laisser crever. Foutue pour foutue, qu’est ce que je gagne à t’écouter ? On a pas beaucoup de temps, mais essaie de suivre, les TCA, les traitements psys, marche dans mes pompes 30 secondes avant de me plaquer toute ta clinque sur la gueule. Et puis t’as le droit de pas être d’accord avec mes choix de vie, t’as le droit de penser ce que tu veux, mais t’as pas le droit de me maltraiter. T’as pas le droit de me filer des médicaments qui merdent avec mon traitement. T’as pas le droit de me faire pleurer en me disant des horreurs. T’as pas le droit, pas parce que t’es médecin, juste parce que t’es un humain. Et que ton diplôme, il est chouette, mais sans ca, il sert à rien. Je ne me laisserai pas soigner par un gros connard, je ferai du shopping médical, j’irai de prescription en prescription, de toubib en toubib, je ferai comme maintenant, je passerai par SOS Médecin plutôt que d’avoir un médecin traitant, parce que eux, au moins, ils ont pas le temps d’être cons. J’aimerai bien que tu m’écoutes. J’aimerai bien que tu prennes en compte les spécificités de mon mode de vie, qui ne s’arrêtent pas à mon poids. Ne me dis pas que je n’ai pas besoin de contraception parce que je n’ai surement pas de vie sexuelle. Ne me dis pas que je suis nymphomane parce que je suis bipolaire, ne me dis pas que je prends des risques quand je t’explique que je me protège. Ne me réduis pas à l’image que tu t’es fait de moi, 30 secondes entre ton bureau et ta salle d’attente, la grosse avec un truc dans le nez, ca ne me suffit pas, je suis bien plus. Et je veux bien revenir plusieurs fois pour t’expliquer, si t’as pas tout le temps qu’il faut aujourd’hui. T’es pas mon psy, j’en ai un merci, je vais pas tout te raconter. Juste ce qu’il te faut pour me soigner. Pour une angine, pas grand-chose donc. Pour une contraception, un peu plus. T’es prêt-e ?

En fait c’est simple, je voudrais juste être traitée comme un humain. Si c’est possible. Je voudrais ressortir de ton cabinet sans appeler ma mère en pleurant. Si c’est possible aussi. Je voudrais juste que tu ne me fasses pas mal, avec tes mots ou avec tes mains. Je voudrais que tu me dises honnêtement que tu n’as pas le matériel adapté à ma taille plutôt que de transformer mon bras en aubergine en prenant ma tension. Je voudrais que tu m’avoues que tu sais pas prendre ma tension plutôt que de me trouver 20.18 et de m’envoyer aux urgences alors que tu t’es juste trompé. Je voudrais que tu me dises que tu n’as pas l’habitude de faire un frottis à une femme obèse plutôt que de me faire saigner avec le spéculum. Sois honnête. Je sais que je ne suis pas ta patiente lambda, pas moulée dans la norme. Tu peux pas tout savoir. Peut-être que t’as un-e collègue qui sait mieux, et tu peux m’y envoyer. Peut-être que t’as envie d’apprendre, et que ca peut t’ouvrir des opportunités. J’en sais rien. Mais ne me fait pas payer ton manque d’expérience avec le corps obèse ou ton manque d’intérêt, ou ton dégout. Soigne moi comme un corps de plus, sans me juger. Je prendrai toutes tes recommandations, je t’écouterai, j’irai faire les examens, si j’ai confiance en toi, tu pourras vraiment m’aider, si c’est ce que tu veux au fond.

Dimanche matin

J’ai fait le grand tour pour rentrer je n’ai pas cherché la rue la plus courte ou l’itinéraire le moins encombré. Au contraire, il me semble bien que j’ai voulu me perdre, parce qu’il n’y avait rien de plus agréable que de se perdre ce matin, qu’il n’y avait pas de meilleur moyen pour prolonger l’instant que cette fuite molle en dehors de la réalité qui ne manquerait pas de me rattraper. Si je rentre, je quitte définitivement l’endroit où nous étions, et le reste s’empile sur ce souvenir pour l’étouffer un peu, les tâches et les obligations décolorent ton souffle dans mon cou et les couleurs sur mes poignets disparaissent déjà. Si je me perds, je ne suis ni tout à fait avec toi, ni tout à fait ailleurs, nous pouvons exister en creux, en juxtaposition surexposée sur les façades inconnues des immeubles gris, nous sommes partout encore, ton odeur et ta voix, ton râle et tes doigts.

J’aime ces instants qui n’appartiennent qu’à moi, que je partage pourtant avec l’autre puisqu’il les habite complètement, mais que je peux organiser selon ma propre chronologie du désir, selon ma scénographie préférée. J’annote dans la marge de ma tête ce qui aurait pu être mieux, ce que j’aurai pu dire ou faire, j’entoure en jaune vif mes passages préférés, je les relis, je les revis, je me les raconte et je me les agrafe quelque part sous la peau. J’ai un herbier sous l’épiderme, les feuilles jaunies des histoires anciennes contrastent avec les jeunes pousses, elles se superposent parfois sans jamais pourrir, je m’en occupe avec fierté, elles sont l’engrais fertile de mes fantasmes et de ce qui viendra, elles sont le rappel de ce qui a été et qui ne mourra qu’avec moi, pour un peu que je m’en souvienne et que j’entretienne en curatrice zélée le jardin étrange de mes amours fanées.

J’ai voulu me perdre, mais j’ai fini par me retrouver sur ce chemin que je connais trop bien, chaque bosse et chaque montée. Il faisait beau, les gens sortent de l’église, les boulangeries explosent sur les trottoirs vides, les plus vaillants rentrent se coucher, et moi je rentre du lit de mon amant, l’haleine pleine de café. Et personne ne le sait, ni ceux qui croisent mon regard, ni celles qui oublient de me regarder, il n’y a que cette boule au plexus qui me trahit, ce sentiment d’avoir vécu, enfin, cette nuit. Ce drôle de reflet dans mes yeux, la démarche incertaine de celle qui n’a pas assez dormi, cette odeur dans ma nuque qui n’est pas la mienne, vous l’ignorez et j’aimerai le crier, qu’il est bon de se perdre, qu’il est bon de penser, qu’il est bon d’être dimanche quand il a été samedi, qu’elle est jolie parfois la vie.

La drague

Je suis vraiment nulle pour draguer. Mais vraiment. Mon idée d’une approche réussie, c’est d’envoyer ma copine dire à l’objet de mon désir que, ouais, t’as vu, ma copine là-bas, elle te trouve pas mal. Mais même ca, j’assume pas. Je me cache dans mon double menton et j’attends la fin du monde, la prophétique épée de Damoclès de la hchouma qui viendra m’ouvrir en deux sur la piste de danse. La seule chose que j’arrive à peu près à dire, après quelques bières et les encouragements de mon armée intérieure de cheerleaders, c’est mon intérêt sexuel. Salut, ca te dit de baiser ? Je trouve ca plus simple, oui, non, peut-être, et si tu dis non, c’est ok, on ne peut pas plaire à tout le monde, et je peux passer à autre chose en soupirant, dossier clos, next. Mais imagine que je t’aborde en te disant « hey salut, ca te dirait de venir boire un thé avec moi, et puis peut-être on se plairait, alors peut-être qu’on se roulerait une pelle, et puis la fois d’après je te ferai à dîner et puis éventuellement tu pourrais toucher mes boobs si t’as envie ». Mmm. Sexy non ? Non. Pas tellement. Les gens aiment se faire draguer par des monstres sûrs d’eux, qui sentent bon l’assurance et qui ont les cheveux toujours bien en place je crois. Et ca n’est pas mon cas. Au mieux je peux te promettre d’être bienveillante, de partager mon meilleur bar à date, d’hésiter trois heures avant de t’envoyer un sms, de toujours te dire que tu es beau, d’être loyale et d’être honnête. Je ne saurai pas te vendre la lune, c’est trop loin et je prends pas l’avion. Y’a juste moi sur le plateau, une pomme dans la bouche comme le cochon qu’on va faire rôtir, du persil dans les oreilles, prête à cuire.

Je ne sais pas draguer, et je ne sais pas recevoir la drague des autres. Je subis 75% de la drague, il faut avouer, les mecs étant aussi subtils que des éléphants mécaniques mal programmés, je subis les adjectifs décrivant mes courbes, je subis les allusions à ma poitrine, je subis les clichés de la grosse gourmande qui aime la bite, je subis les regards appuyés et les descriptifs sauvages de ce qui m’attends si j’ose acquiescer. Pour les 25% restants, je ne comprends pas, je n’ai pas l’abonnement, veuillez décliner votre demande en trois formulaires homologués. Je suis persuadée d’être mi transparente mi monstrueuse, un genre de monstre du Loch Ness asexué, mes insécurités m’empêchent donc de considérer que je puisse plaire à qui que ce soit comme ca, en un regard, au détour d’un bar. Je conçois de plaire quand j’ai pu envoyer 36 mails de 17 pages, quand j’ai pu faire rire, quand je me suis rendue un peu utile, quand j’ai pu masquer un peu ma monstruosité derrière quelques jeux de mots bien usés. Mais pas comme ca, jamais. Et pourtant. Je me fais draguer à la piscine, au hammam, je me fais pécho sur des pistes de danse, quelque chose fonctionne parfois. Et puis je suis aimée, toute nue ou décoiffée, suintante ou apprêtée. Je suis aimable donc, désirable même. Je veux m’en convaincre. Ce n’est pas simple. Il faudrait faire taire à jamais ma fidèle compagne, la petite voix qui m’insulte dans le secret de mon oreille depuis l’adolescence, celle qui pernicieusement sape tous mes élans d’amour propre. Elle s’étouffe parfois, elle se meurt, mais elle s’accroche, la conne.

Si j’essaie de te draguer, bon courage. Tu peux t’amuser du spectacle, me regarder me rouler dans la boue à tes pieds, et me tendre une bouée quand t’en auras assez. Tu peux aussi mettre fin à mes souffrances direct, je ferai pas la vexée, promis. Evite de disparaître, de ne plus répondre, ca m’agace, et puis ca m’infantilise, je suis assez grande pour me prendre une veste, tu n’as pas besoin de me préserver en jouant les fugueurs. Je ne suis pas assez folle pour te stalker, pour venir couvrir ton paillasson de déjections enflammées. Je me contenterai de maudire ta descendance sur 37 génération, comme ca se fait. Et puis t’as le droit de venir jouer dans la boue, si t’es pas sur mais que tu veux tenter, t’as le droit d’imaginer ce que ca pourrait être, de dire des trucs pour voir comment ca répond, t’as le droit de me prêter ta bouée pour voir si on tient à deux dessus sans glisser. Peut-être que ca donnera rien, peut-être que je mettrai ma langue dans ta bouche sous un lampadaire, peut-être qu’on décidera que merci mais non merci, pas cette fois. Mais ca sera drôle d’essayer, de se tourner autour et de se décider.

Pardon

J’en ai assez de te regarder mourir. 15 ans déjà. J’en ai assez de compter tes cotes, ton corps décharné contre le mien si plein, ça te rassure sans doute, tout ce gras, toute cette vie qui t’échappe, ça te réchauffe, mais ça ne te sauvera pas. Je ne peux plus te regarder partir à 2h du matin pour aller boire, je ne peux plus me demander si tu respires encore quand tu ne réponds pas, je ne peux plus m’inquiéter. Je ne supporte plus nos vies qui se croisent, ton rythme marche à l’envers, tu te réveilles quand je m’endors, tu m’écris des mots que je ne comprends pas, tu me voudrais dévouée, amoureuse, transie, mais j’ai peur, de toi, de la maladie. Tu me voudrais charnelle, tu es si froid, tu me voudrais sensuelle, tu es la mort quand je te serre contre moi. J’ai arrêté d’essayer de te sauver, j’ai arrêté de vouloir te soigner, ça ne fonctionne pas, mes bras sont trop faibles, mon amour si peu puissant face à la bouteille, mes mots se diluent dans la bière. Rien ne remplace la substance, rien n’est plus fort, tu retournes vers elle, je ne suis que la maîtresse.

Tu dis cette fois, c’est bon. Dans 10 jours, dans 20 jours, le mois prochain, à ton anniversaire, pour ta fête, quand j’aurai rangé, quand tu m’auras prouvé. Le temps se dilate, demain n’arrive jamais, les jours d’après sont les mêmes, je me tais. Je perds à l’ultimatum, mes supplications sont vaines, mes chantages inutiles, mes conseils malvenus, tu sais mieux que moi, tu ne lâcheras rien, tu dois décider, c’est ton problème à toi. Je m’informe, je lis, je propose, je glisse des brochures dans ta veste, et puis j’arrête, tout cela est vain. Tu crois tout contrôler, tu crois savoir, tu ne te regardes pas vivre, ton miroir est cassé, et tu refuses le reflet de mes yeux dans le tiens. Tu ne vois pas la couleur de tes yeux changer quand tu ouvres une 8.6, tu ne sens pas ta peau si fine qu’il me semble la transpercer quand je te caresse, tu ne contemples par la pâleur lunaire de ton corps quand tu dors. Si tu pouvais te regarder. Si tu pouvais t’aimer. Si tu pouvais te serrer. Si tu pouvais t’embrasser. Mais tu ne sais pas, tu ne peux pas. Et tu bois.

Mon amour, comme ces jours sont étranges. Nous faisons semblant, nous jouons notre partition, je suis passive-agressive, tu es incompris, je suis blessée, tu es endormi. Nous savons qu’il est temps, que nous ne tiendrons pas, que nous devons nous quitter, vivre ou boire, tu choisis, moi je sais. Et je ne te crois plus, et je ne vois pas demain, et je ne sais pas si tu arriveras, et je suis lasse. Et je ne sais pas t’aimer quand tu te laisses mourir, je suis égoïste. Et je ne sais pas t’aimer quand j’ai envie de te frapper, de rage et de colère, de désespoir et de misère.  Et je voudrais pourtant, être parfaite, poser des limites, respecter ton –problème-, te laisser gérer, ne pas être dans l’attente, ne pas vouloir que tu guérisses, t’aimer comme tu es. Mais je ne sais plus. Je ne veux pas te voir crever, c’est aussi simple, et tu crèves mon amour, tu te délites un peu plus chaque jour. La mort ne me fait pas bander, elle te rend laid, toi si beau, toi si parfait. Je me sauve. Pardon.

 

An island / A rock

Je cherche les mots pour décoder la beauté. Je cherche les adjectifs et les verbes les plus sincères et les plus clairs. Je cherche à dire ce que je ressens en moi, ce que je vois, ce qu’il se passe dans mon coeur, dans mon ventre, dans ma tête, mais ça ne vient  pas. Je suis trop mobilisée à ressentir, ma peau, mes ongles, mes yeux, il y a trop à faire pour réfléchir et ordonner, penser et classer. Je veux pourtant me souvenir des belles choses, alors je note, je chante, je commence des poèmes que j’ai honte de déclamer, je hurle que ma vie est exactement comme je la voudrais, que je suis enfin arrivée à être moi, et qu’il n’y a rien de plus exaltant, et que si demain est noir, j’aurai la force de m’être trouvée, à force d’en chier. Il aura fallu tout détruire, tout expier, il aura fallu te quitter, il aura fallu trancher les liens et les déclarer cassés pour toujours, il aura fallu apprendre à laisser partir, ouvrir les mains plutôt que de les refermer. Il aura fallu me battre, contre la petite voix qui me répète que je ne suis rien et que je n’y arriverai pas, qu’on est plus au chaud dans le moule des autres, il aura fallu prendre la ferme décision de m’aimer. C’est ma lune de miel personnelle, juste entre moi et moi même. Et je voudrais qu’elle dure, parce qu’on attire le bien en se le souhaitant, je n’y crois pas à ces conneries pourtant. Tout ira bien, même si. Tout est en ordre puisque j’habite enfin dans ma maison, j’ai investi les pièces de mon corps et de ma tête, pas de cartons qui traînent, de vieux dossiers à solder. J’assume pleinement, mes erreurs, mes envies, mes laideurs, mes passés. J’ai usé tant de temps à courir derrière quelqu’un que je n’étais pas, j’ai fait tellement d’efforts pour ressembler à celle que vous vouliez que je sois. C’est terminé.

Auprès de moi, dans la lumière, mes amies, mes soeurs de coeur, celles qui font battre mon sang plus fort, celle qui m’ont aimé malgré moi tant de fois, les très précieuses, les merveilleuses, merci. Pour la route partagée, pour les rires, pour les pleurs, pour les cris, pour les silences, pour la rage, pour la joie, pour ce qui viendra. Des amours, beaucoup, plein, des fidèles et des absents qui reviennent, des douceurs toujours, des découvertes, des neufs qui me font tant sourire que mes joues me tirent, des larmes qui me viennent au moment de jouir. Je suis aimée, et je chéris chacun de ces amours, je tente de les nourrir, des les entretenir, de les faire grandir. Je n’arrête pas d’apprendre, je n’arrête pas d’écouter. Je me nourris de vous, de vos histoires, de vos lumières, de ce que vous choisissez de partager, de vos stratégies subtiles pour m’acclimater. Je me laisse approcher, je n’ai plus peur, venez. Je n’ai plus besoin que les gens soient parfaits, je n’ai plus besoin de serments ou de promesses, j’ai besoin de vous pour les bonnes raisons, pas parce que je crains d’être oubliée. Et si tout cela paraît trop beau pour être vrai, si j’écris un évangile trop simple, pas assez miraculeux pour faire recette, tant pis. Il me va bien, il m’anime, il me transporte, il me protège, il me fait vivre. Je n’ai plus besoin de serrer le corps des autres pour me sentir exister, j’ai conscience de moi, enfin. J’ai besoin de vos rires, de vos colères, de votre tendresse, de vos histoires qui s’imbriquent dans la mienne pour ériger l’autel bancal de nos amours, j’ai besoin de votre peau, de vos odeurs, j’ai besoin de vos cerveaux qui tricotent dans le mien pour me faire avancer. Je n’ai -presque- plus peur d’être rejetée, ou de dire non, j’accepte de ne pas être choisie à chaque fois, je m’autorise enfin à refuser de l’être. Moi aussi, je peux choisir, je peux dire, je peux exister.

Je n’ai pas perdu mon temps jusqu’ici. Je ne regrette pas le chemin, les jolies choses, les ombres me semblent moins dures à présent. Je suis le résultat de ces années à me chercher, à me découvrir, à tester les limites de ma raison, de ma volonté. Je suis le produit de mes erreurs de casting, de mes raisonnements à faux, de mes coups de tête, de ma stratégie de l’échec. Je me réconcilie avec celle que j’ai été. Je me raconte mon histoire dans ma tête, et j’essaie de pardonner le personnage principal, elle n’était pas si mauvaise, elle a bien morflé. Je mets de la crème sur mes vergetures, je décore mes cicatrices de petits dessins naïfs. Je me ferai pousser des fleurs dans le vagin si je pouvais. C’est à ce point. Je célèbre le véhicule qui porte cette nouvelle douceur, je remercie les capitons, les os, mes pieds, de me porter. Oh, je suis dure encore pourtant, la douceur ne m’empêche pas d’hurler, de dire qu’il est très sain d’être en colère, d’alimenter mes révoltes, mon bonheur ne m’empêche pas de penser. Il rend ma peau plus épaisse aux injures, mon cuir est tanné, difficile de réussir à blesser quelqu’un-e qui sait profondément qui il-elle est. Tout glisse, rien ne pénètre en moi sans consentement, ni les bites, ni les mots, ni rien. Je suis une île à moi même, en auto-gestion totale, autonomie de pensée et de décision, et je suis décidée à le rester.

Les hommes violent

C’était le 8 décembre 2015, Luc Le Vaillant publiait ceci, je répondais cela. Et dans une diarrhée verbale née de mon illumination soudaine sur le rapport entre l’islamophobie et la culture du viol, je m’épanche de ceci : tous les hommes sont des violeurs potentiels. Je n’ai jamais appris à modérer mes tweets en fonction du média : Twitter est rarement un lieu de débat constructif. C’est peut-être la seule chose que je me reproche. Cette phrase méritait des explications, que je n’ai pas voulu/pu donner, noyée dans la haine, des exemples :

… et toutes les femmes sont des salopes aussi pfff .. pauvre connasse

Du coup, si tous les mecs sont des violeurs, toutes les voilées sont frigides ?

ma phrase aussi etait tte con , ac sa gueule aucun risque de viol bref bonne aprem mdr

Genre un homme daignerai te passer dessus ? Meme en etant sous exta j’pense il hésiterai

Fais toi soigner sale folle.

avec ton visage maudis la grosse pute sans âme

Comment ça elle a des bourrelets sur les joues & elle se permet de dire « ts les hommes sont de potentiels violeurs »?

toi voilée ou pas tqt pas que j’imagine rien de rien

hey toi franchement vue ta race de mort j’preferais que tu portes le voile a jamais

Voilà pourquoi j’aime pas les féministes … Les femmes aussi à ce moment sale chienne va

a meilleure protection contre le viol ? Etre moche et conne 🙂

toutes des putes

J crois pas que qui que ce soit oserais te violer toi

Si c’est toi sur ta PP tu peux etre rassurée le potentiel va vite descendre a 0 en ce qui te concerne.

c est la fille d hitler réouvre les camps mais tu mets des hommes à la place de juifs. Pas drôles sa vie de persécutée

Toutes les meufs sont des grosses génitrices de fils de pute potentielle ou pas?

Je ne te toucherais pourtant pas avec un bâton de 10 mètres de long, même sous la contrainte ou en échange de 10000€

En tout cas t’es pas une victime potentiel toi

Qd tu croise une feministe une salafiste et une truie

Faut être au bout de sa vie pour te violer @dariamarx T’es tranquille avec les musulmans, il touchent pas au porc.

J’préfère enculer un porc que ce truc !

tu peux m’enlever de ta liste, vu ta gueule ca risque pas d’arriver de sitôt

je préfère me branler que la baiser.

une telle vache avec son anneau s’éxpose au salon de l’agriculture.

Ah mon avis toi tu ne risques rien, Deal with it

Aucun mec n’oserait avec ta tronche, t’inquiètes.

Ferme ta grande gueule en chien de bite. grosse pute que tu es.

Ton papa doit être fier de voir sa fille dire des conneries pareilles. Lui le violeur potentiel

kestu raconte tu croi sa fai bander une racli pa consentante?

ca explique que tu soit un enfant de viol alors.

C’est parce que tu ne trouves pas de partenaires sexuels masculins que tu en veux à ce point aux hommes ? 🙁

Pour les féministes qui pratiquent les réseaux sociaux, rien de très étonnant. Le même bingo bullshit patriarcal et ordurier revient à chaque intervention concernant l’égalité hommes-femmes. Top originalité cette fois ci pour moi, les références à mon papa, comme si j’insultais ma propre identité en étant fille de violeur potentiel. Oui, mon père est un violeur potentiel. Comme le sont mes petits-amis, mes amis, mon comptable et mon dentiste. Je n’ai pas de problème à le dire et je ne me sens pas insultée dans mon identité génétique en l’énonçant. D’autre part, si je suis fille de mon géniteur, je suis aussi une personne à part entière. Et cet être subi les pressions d’une société qui dégueule de culture du viol. Je suis la fille de quelqu’un, mais ils sont plus inquiets pour la supposée réputation de mon père que pour le viol en réunion qu’ils me souhaitent. C’est aussi ca le sexisme.

Nous vivons dans une société patriarcale et genrée. Les hommes cisgenres sont élevés dans l’idée d’être « des hommes des vrais ». Un homme qui ne pleure pas, qui ne porte pas de rose, qui ne cuisine pas, et qui baise des meufs, ainsi les hommes représentent 97% des agresseurs sexuels. Nous vivons dans une société dominée systémiquement par les hommes : ils gagnent plus que nous, accèdent à des postes plus importants plus facilement, sont à l’aise dans l’espace public à notre dépend. Cette domination s’installe aussi dans les relations hommes-femmes : ainsi 1 viol sur deux est le fait d’un partenaire, et 58% des violences sexuelles ont lieu au sein du couple (source UNICEF – Association Stop Au Déni).Nous vivons dans une société patriarcale, hétérocentrée, ciscentrée, qui n’éduque pas les garçons à ne pas violer. Au contraire, on préfèrera enseigner aux filles à prendre des précautions pour ne pas l’être : ne pas rentrer tard, ne pas mettre de tenues vestimentaires jugées comme provoquantes, ne pas « aguicher » l’homme, se tenir dignement : croiser les jambes, ne pas faire de bruit avec ses talons. On ne dira pas aux  hommes d’avoir une consommation d’alcool raisonnable pour ne pas violer, on dira aux femmes de ne pas boire pour ne pas être une proie facile. La culpabilité des agressions sexuelles est portée par les victimes jusque dans le dépôt de plainte : on demande alors à la femme de préciser ce qu’elle aurait pu faire pour provoquer son agresseur, de décrire avec précision sa tenue vestimentaire. Notre société accepte ce constat comme vérité : les hommes violent, et les femmes se « laisseraient violer ».

D’autre part l’imaginaire du viol, documenté par des films comme Irréversible, laisse à penser que les agressions sexuelles ont toujours lieu dans des lieux propices aux mauvaises rencontres, à l’isolement ou à la consommation d’alcool ou de drogue. On imagine le viol dans un parking mal éclairé par un rôdeur, le viol en boite de nuit par un homme alcoolisé … Mais la réalité du viol est tout autre, comme l’expliquent les statistiques précédemment citées. Les viols sont d’abord commis par des familiers des victimes, et plus particulièrement par des compagnons. Les viols ne sont pas seulement des pénétrations vaginales forcées, mais comprennent les pénétrations avec les doigts, les objets, et les pénétrations anales. Un homme qui force sa compagne à une sodomie lors d’un acte sexuel originellement consenti est un violeur. Un mari qui pense qu’une signature au bas d’un contrat de mariage l’autorise à utiliser le vagin de son épouse comme il le veut sans son consentement est un violeur. Un petit ami qui obtient une pénétration vaginale sous la pression (je vais te quitter / je vais dire à tout le monde que) est un violeur. Un homme peut violer sans même savoir qu’il est en train de le faire, dans cette zone dangereuse où se rencontrer le manque d’éducation au consentement d’un partenaire et la peur / l’impossibilité / l’angoisse de dire NON de l’autre partenaire.

Je ne regrette pas mon tweet. Je continue à penser que les hommes sont des violeurs potentiels. J’espère qu’à force d’éducation, de pédagogie, d’interventions d’associations dans les collèges et les lycées à propos de sexualité, de parents qui élèvent leurs enfants dans les valeurs de l’égalité homme-femme, et peut-être d’un sursaut miraculeux du gouvernement et plus particulièrement de l’éducation nationale et d’un hypothétique véritable ministère du droit des femmes, la situation changera. En attendant, je continuerai de parler de viol, et à parler aux femmes de leur droit à dire OUI comme de leur droit à dire NON, de la possibilité de l’autodéfense. Je continuerai à penser qu’il n’y a rien de plus sexy qu’un consentement affirmé, qu’il n’y a rien de négociable dans le sexe, et que nos sexualités n’ont pas à être régies par la pénétration. Vous me pensez radicale, je me pense réaliste face aux menaces concrètes qui pèsent sur le corps des femmes.

Vous vous sentez attaqués dans votre orgueil d’homme quand j’énonce que vous êtes un violeur potentiel ? Faites le tour de votre histoire sexuelle, posez-vous les questions qui vous mettent mal à l’aise, consultez ces 100 questions sur le consentement, évaluez vos comportements quand vous êtes ivres ou sous emprise, interrogez vos ex partenaires. Remettez-vous en question.